Les forêts jouent un rôle essentiel dans le développement durable. Elles sont néanmoins gérées de manière différente selon les pays, et la France se signale par une politique forestière singulière.

Formation végétale dense définie par l’État, la forêt est le résultat de l’action des sociétés. En France, elle constitue depuis longtemps une ressource publique, et un effort significatif a été réalisé sous Louis XIV pour son entretien, afin d’assurer la construction de navires, ou encore sous Napoléon III, avec le reboisement des Landes. Elle occupe des espaces particulièrement importants en Guyane, en Corse ou en PACA et implique donc une gestion spécifique. Le géographe Vincent Moriniaux en présente les enjeux principaux dans la dernière Documentation photographique

La forêt est au cœur du thème consacré à l’environnement en Terminale. Il s’agit de nuancer le caractère « naturel » de cet espace, tout en insistant sur le rôle des actions humaines dans son exploitation et sa protection.

 

Nonfiction.fr : Vous consacrez une Documentation photographique à la forêt en France depuis le XVIIe siècle. Si elle est associée à la présence d’arbres, sa définition diffère selon les pays, et les membres de l’Union européenne ne lui attribuent pas tous le même sens. Qu'est-ce qui distingue la forêt française de celle des autres pays de l'UE ?

Vincent Moriniaux : Les différences entre les forêts des pays de l’Union européenne sont d’abord liées aux données climatiques d’un ensemble continental qui s’étend des rives de la Méditerranée au sud au cercle polaire Arctique au nord. Mais au-delà de ces différences qui vont influer sur la répartition latitudinale des espèces (pour faire simple; les feuillus au sud; les résineux au nord), répartition dont l’histoire est bien connue et évolue sous nos yeux à cause du réchauffement climatique, au-delà donc de ces différences que l’on pourrait qualifier de naturelles, il y a les données de l’histoire. Celle-ci joue un très grand rôle à la fois dans la couverture forestière (un tiers du territoire métropolitain est couvert de forêt ; au Royaume-Uni, la forêt ne couvre que 13 % du territoire), dans la structure de propriété de la forêt, la conduite des peuplements forestiers et même le choix des essences.

Ce qui fait la spécificité française, c’est je crois avant tout le poids du pouvoir royal centralisé. Avant même la grande réformation de Colbert, les rois de France ont eu à cœur non seulement d’agrandir leur domaine forestier mais encore d’en améliorer la gestion. Et les seigneurs n’ont eu de cesse que d’imiter les rois. C’est ce qui nous vaut de très belles et très grandes forêts domaniales, puis une part relativement importante de forêts publiques (un quart) par rapport aux forêts privées (trois-quarts). Avec la Révolution française qui transforme les domaines royal et seigneuriaux en biens publics, nous n’avons pas eu dans ce domaine une rupture mais au contraire une continuité. Ceci explique le fait qu’on observe en France une très grande continuité dans la conduite des peuplements forestiers publics qui ont toujours été orientés vers la production de bois d’œuvre, la forte valeur ajoutée et donc selon le modèle sylvicole de la futaie.

Mais cela n’empêche pas la France d’être un pays où la propriété forestière privée prédomine, ce qui est très comparable à la situation de l’Autriche ou de la Norvège par exemple. Les pays de l’Union européenne où domine très franchement le secteur public, entre les deux tiers et plus de 80 % de la surface, sont souvent des pays de l’ancien bloc de l’Est (Bulgarie, République tchèque Pologne Roumanie). Entre les deux groupes de pays, on trouve les pays où le régime de propriété est plus équilibré comme l’Irlande, les Pays-Bas ou l’Allemagne.

Au niveau des essences, la combinaison entre l’histoire et les données de la nature explique que la forêt française soit une forêt aux deux tiers feuillue alors que chez la plupart de nos voisins comparable en termes de position latitudinale ce sont les résineux qui dominent. Par exemple, en Allemagne, 54% de la forêt résineuse et en Angleterre, où il n’y a pourtant pas de haute montagne, ce sont presque les trois quarts de la forêt qui est résineuse, en raison de choix de gestion et de plantation différents.

 

La surface des forêts françaises n’a cessé d’augmenter depuis la Révolution   alors que les grandes orientaitons de la politique forestière a été associée à des personnages marquants, tels que Colbert et Napoléon III. Quels sont les piliers de la Grande Réformation de Colbert ?

Pour bien comprendre la Grande Réformation de Colbert, il faut la replacer dans le cadre des idées économiques de l’époque. Le colbertisme est un protectionnisme étatique. L’idée de Colbert est que chaque pays doit accumuler les richesses et que l’État doit intervenir pour protéger le marché, puis développer le commerce et l’industrie. La forêt doit donc participer à l’enrichissement du pays et à son indépendance économique. À partir de là, les deux grands piliers de la politique forestière de Colbert sont d’abord la volonté de faire de la France un pays autosuffisant pour ses besoins en bois. La Marine à voile est une grosse consommatrice de bois et Colbert va initier une politique en faveur des futaies de feuillus et des futaies de résineux, les résineux servant pour la mature et les feuillus pour la construction. Les lettres que Colbert a envoyées à ces agents pour qu’ils mènent sur le terrain la Grande Réformation témoignent de cette obsession de mettre la France à l’abri de la dépendance vis-à-vis de l’étranger. De cette époque date l’obsession d’avoir davantage de conifères dans les forêts françaises, la souplesse des conifères étant nécessaire pour les bois de mature.

Le deuxième pilier n’est qu’une conséquence de cette volonté de richesse et d’indépendance : il faut rationaliser et contrôler la gestion des domaines forestiers. Colbert arrive après une période de laisser-aller, pourrait-on dire, pendant laquelle les ressources de la forêt ont été soit confisquées à leur profit par les officiers publics qui en avaient la charge, soit grignotées par la population qui n’a pas en vue les intérêts supérieurs de l’État, préoccupée qu’elle est par ses besoins immédiats, notamment en bois de chauffage. Colbert commence donc par renouveler profondément le personnel et mettre fin aux abus de toutes sortes, qu’ils viennent de l’élite ou de la population. Ce contrôle et cette rationalisation passent par un inventaire très précis de la ressource, tant dans les domaines forestiers du roi que dans ceux des seigneurs, de l’Église ou des communautés paysannes. On peut dire que c’est Colbert qui jette les bases de cet effort sans cesse renouvelé qu’on appelle aujourd’hui l’inventaire forestier.

 

Le rôle de la forêt dans l’équilibre environnemental est régulièrement mis en avant. Dans quelle mesure cet écosystème participe-t-il au développement durable   ?

Le rôle de la forêt dans l’équilibre environnemental est indéniable. Dès qu’elle atteint une certaine surface, la forêt fonctionne comme un écosystème autonome, qui régule la circulation des eaux, son microclimat etc. Elle est l’emblème même de la durabilité en ceci qu’elle se régénère sur elle-même et qu’elle est capable de guérir toute seule des attaques, puis des aléas naturels qu’elle subit : tempête, incendie, invasion de bostryches etc. C’est d’ailleurs cette capacité de régénération naturelle qui nous la fait considérer comme un espace naturel quand bien même l’homme la modèle selon ses besoins et ses fantasmes depuis des siècles ! Mais le développement durable, c’est aussi autre chose si on ne parle pas de la forêt comme écosystème en elle-même mais de la forêt comme une part de l’environnement des hommes. Dans le concept de développement durable, on retrouve la forêt dans les trois piliers : dans l’environnement bien évidemment mais aussi dans l’économie (la forêt, c’est aussi du bois !) et dans la société. Le mot qui synthétise le mieux la forêt, c’est le mot « ressource » : en même temps qu’elle est un espace récréatif qui permet aux citadins de se ressourcer, elle est une ressource à la fois une ressource en termes de biodiversité (refuge pour les espèces végétales et animales) mais aussi en termes économiques pour le bois. On n’insistera jamais assez sur le fait que le bois, matériau le plus anciennement utilisé par l’homme, n’est pas du tout dépassé aujourd’hui, bien au contraire. Cette notion de ressource est capitale parce que ce sont les usages que l’homme fait de la ressource forestière qui guident la sylviculture. Les difficultés et les incompréhensions proviennent du décalage temporel entre les besoins qui s’expriment à une époque et le bois que l’on va récolter un siècle, voire un siècle et demi après. Les chênes que l’on coupe aujourd’hui ont été plantés à la fin du dix-neuvième siècle lorsque le béton n’avait pas pris la place qu’il a aujourd’hui dans la construction.

Pour finir, on ne peut plus parler aujourd’hui de développement durable sans évoquer la question du réchauffement climatique. La question du rôle de la forêt face au réchauffement climatique global est particulièrement complexe et doit s’apprécier à plusieurs échelles. À l’échelle du globe, sauver la forêt de la déforestation permet de lutter contre le réchauffement climatique en utilisant la forêt comme puits de carbone, mais à l’échelle d’un territoire il faut bien voir qu’on ne peut pas planter partout des forêts pour capter le carbone car nous avons besoin aussi d’espaces cultivables pour répondre au défi alimentaire de nourrir huit milliards d’humains. Planter des arbres ne peut donc pas être une solution partout et en toutes circonstances.

 

À l’heure actuelle, les 150 000 hectares des forêts françaises (en métropole et en outre-mer) sont totalement protégés. Dans quels cadres législatifs se fait cette protection ?

Les protections dont bénéficient les forêts françaises sont multiples et peuvent s’analyser à différentes échelles. Il y a d’abord la protection contre le déboisement qui s’applique à toutes les forêts et qui est garantie par le Code forestier. Il est interdit en France de défricher sans autorisation préalable. Cependant, cette règle n’a pas été prise pour défendre l’environnement (sauf pour les terrains de montagne) mais plutôt pour accroître la ressource en bois à une époque où la couverture forestière avait atteint son minimum au début du dix-neuvième siècle. Un deuxième niveau de protection s’applique pour les forêts de l’État. Les forêts domaniales sont par principe inaliénables.

Néanmoins, cette protection, comme la précédente, ne concerne que les surfaces et non pas les essences ou les pratiques sylvicoles. Pour empêcher des coupes rases, des changements d’essence ou des prélèvements excessifs, il faut des protections d’une autre nature. C’est là que les parcs naturels régionaux et les parcs naturels nationaux jouent le rôle principal.

Mais pour que la forêt conserve sa physionomie actuelle, il faut continuer à y intervenir. Protéger les équilibres actuels de la forêt, c’est souvent continuer à prélever du bois et non pas la mettre sous cloche. L’exemple des réserves naturelles intégrales de la forêt de Fontainebleau est éloquent : si l’on n’intervient plus dans la forêt de la région parisienne, les chênes disparaissent peu à peu au profit des hêtres qui les dominent. Si l’on veut garder la chênaie de plaine née des efforts des sylviculteurs des siècles passés, il faut continuer à privilégier le chêne dans tous les plans d’aménagement. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’idée sans cesse de retour d’un parc naturel national à Fontainebleau qui mettrait sous cloche la forêt est rejetée par les forestiers. Ce n’est pas que l’Office national des forêts (ONF) refuse toute idée de protection ; c’est simplement le résultat d’une réflexion sur l’objet que l’on cherche à protéger. Si l’on peut considérer la forêt d’Amazonie comme une forêt primaire (et même cela se discute), il n’est pas possible d’en faire autant pour les forêts de métropole.

La protection intégrale, dans le sens d’une non-intervention de l’humain, est donc relativement rare. Elle peut être le fait de la puissance publique, dans le cadre des réserves naturelles intégrales ou bien des espaces de haute montagne ou littoraux acquis par la puissance publique, mais aussi de l’action de particuliers. On voit se développer aujourd’hui des achats collectifs de forêts par des groupes qui souhaitent soustraire la forêt qu’ils achètent à toute exploitation. Mais en termes de surface cela représente encore très peu de choses par rapport à l’ensemble de la forêt française.

 

Sur le plan culturel, la forêt a toujours fasciné, qu'elle soit présentée comme un refuge, ou comme un espace dangereux. C’est la cas en France comme dans bien des endroits du monde, comme l'illustrent par exemple les légendes de Blanche-Neige ou de la revanche des Ents, dans Le Seigneur des anneaux. Comment expliquez-vous cette présence polymorphe de la forêt dans les imaginaires sociaux ?

La forêt fantasmée est au moins aussi importante à connaître que celle du forestier ou du biologiste. J’irais même jusqu’à prétendre que les forestiers et les biologistes sont influencés par les fantasmes que la société de leur époque projette sur les forêts. Je prendrais deux exemples. D’abord, les forestiers de la deuxième moitié du XXe siècle étaient heureux de traiter un petit peu la forêt comme une usine à bois, des arbres bien alignés, tous les mêmes, sans défaut et qui répondait aux besoins de l’industrie alors que les forestiers du XXIe siècle, sortis des mêmes écoles mais qui partagent d’autres préoccupations que la croissance industrielle, vont davantage apprécier les bois morts, les forêts mélangées, bref les marques de la biodiversité. Mais, il y a un demi-siècle, le concept de biodiversité n’était même pas inventé ! L’expression « diversité biologique » a été proposée en 1980 par le biologiste américain Thomas Lovejoy et contractée ensuite en « biodiversité » par Walter Rosen en 1986. C’est le sommet de Rio de 1992 qui le rend internationalement populaire.

Je pense que l’omniprésence de la forêt dans les imaginaires sociaux, notamment des Européens, s’explique d’abord par l’importance de la forêt comme ressource, ressource en bois, mais aussi ressource alimentaire : on pense aux champignons mais il ne faut pas oublier aussi qu’on envoyait le bétail paître dans les forêts autrefois. Ensuite, il convient de souligner l’omniprésence de la forêt comme paysage. Rares sont les espaces en Europe où la forêt est totalement absente, à l’exception peut-être des grandes plaines agricoles au centre des bassins sédimentaires. La mémoire des hommes a conservé l’idée qu’avant qu’on la défriche la forêt était présente partout. Pour développer sa civilisation urbaine, l’humain est au sens propre sorti de la forêt. Je souligne d’ailleurs que l’étymologie même du mot désigne ce qui est en dehors, au-delà des champs cultivés et des villes. Il y a donc comme une forme d’opposition entre l’humanité, ses activités et la forêt. Elle fait peur et on veut s’en sortir (autrefois les hommes qui vivaient dans les bois, les charbonniers mais aussi les bûcherons n’avaient pas bonne réputation et on évitait leur contact) mais en même temps on sait qu’on peut y trouver refuge et que ses frondaisons sont accueillantes à nos secrets. La production artistique, spécialement picturale et aujourd’hui cinématographique, fait son miel de cette ambivalence ontologique de la forêt, à la fois hostile et maternelle. Dans Blanche-Neige que vous citez, je pense à l’opposition entre la clairière de la maison des Sept nains ou celle qui accueille Blanche-Neige quand elle se réveille au milieu des animaux de la forêt et les ombres effrayantes des arbres qui agrippent les vêtements, puis griffent le visage de la jeune fille quand elle essaie de fuir la menace du chasseur avant de s’enfoncer plus profondément dans les bois.

 

Souvent perçue comme un espace naturel, la forêt reste modelée par l'homme, ses activités et ses lois. Vous développez en ce sens le cas de la forêt des Landes. Comment est née cette « Cité des Pins », pour reprendre l'image de Julien Gracq ?

Plutôt que de raconter à nouveau l’histoire de la forêt des Landes qui est bien connue et dont je redonne les jalons dans le livre, j’aimerais insister sur deux idées principales qui me semblent souvent occultées lorsqu’on prend l’exemple de la forêt des Landes comme forêt modelée par l’homme. La première concerne les motivations des planteurs de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Ils n’agissaient nullement pour restaurer un espace naturel ou en garantir la biodiversité. Ces idées sont celles de notre siècle et il est donc normal qu’elles apparaissent en tête des préoccupations des décideurs au moment où il faut replanter la forêt après les terribles incendies de l’été 2022 mais les planteurs du passé avaient en tête l’idée de mettre en valeur un milieu naturel hostile ; on dirait, dans un langage moderne, d’aménager un milieu naturel hostile, et aussi de s’enrichir. Planter les landes de Gascogne, c’était une façon de rentabiliser des terres marécageuses qui n’avaient aucun intérêt économique qui pouvaient, moyennement des travaux d’asséchement que les collectivités étaient prêtes à financer, devenir une forêt très productive, qui répondrait aux besoins de l’industrie du bois et de la térébenthine. On peut dire en ce sens de la forêt des Landes qu’elle est une plantation d’arbres.

Deuxième idée, le projet d’aménagement des planteurs a rencontré une nouvelle attente du public, apparue sous le Second empire : le tourisme balnéaire. Les débats actuels sur la reconstruction de la forêt après les incendies de l’été 2022 font ressortir cette vérité essentielle, valable pour toutes les forêts : il y a un décalage entre les besoins des sociétés au moment où les arbres sont plantés et les besoins des sociétés au moment où les arbres arrivent à l’âge où on les coupe (ce décalage est de deux à trois générations pour les résineux et de quatre à cinq voire plus pour les feuillus). En clair, pour la forêt des Landes, les pins maritimes qui arrivent à l’âge d’exploitabilité aujourd’hui, ont été plantés à une époque où on avait besoin de pâte à papier, puis d’étais de mine et les touristes d’aujourd’hui voient d’un mauvais œil les coupes parce qu’ils pensent que la forêt est avant tout un espace à protéger pour son rôle de puits de carbone, pour son rôle dans la biodiversité etc. Cette temporalité décalée est la source de tous les débats et conflits actuels sur les forêts.

 

Les incendies de l’été 2022, notamment en Gironde et dans les Pyrénées-Atlantiques, ont marqué les esprits. Vous rappelez qu’une forêt qui brûle n’est pas une forêt qui meurt, et même qu'« il est scientifiquement prouvé que la forêt méditerranéenne telle qu’on la connaît aujourd’hui est adaptée au feu, voire a littéralement besoin du feu pour se régénérer »   . Pouvez-vous expliquer la place de l’incendie, sur le long terme, dans le système forestier ?

Je ne voudrais pas donner l’impression que je minimise le drame que représente des grands incendies de forêt pour les propriétaires, pour les populations riveraines et pour les espaces forestiers. Cela étant dit, il est effectivement très rare que le feu soit synonyme de mort pour la forêt. Si le public pense cela, c’est sans doute parce qu’il fait l’amalgame avec les feux intentionnels déclenchés par exemple au Brésil où des agriculteurs veulent augmenter leur surface agricole au détriment de la forêt. Ces feux de déforestation signent effectivement la mort de la forêt mais ils ne sont en rien comparables avec les feux dans nos forêts. Même si ces derniers sont parfois aussi volontaires, ils n’ont généralement pas pour objectif la déforestation (parce qu’il y a encore quelques pratiques traditionnelles d’écobuage, notamment en Corse, qui peuvent s’apparenter de la déforestation). Et cela fait une grosse différence puisque, après l’incendie, tout est fait dans notre pays pour que la forêt repousse et retrouve sa place. On ne profite pas de l’incendie pour affecter les sols à une autre destination.

Les études scientifiques dans la forêt méditerranéenne montrent qu’il y a toujours eu dans ce climat particulier, qui allie une saison froide relativement humide et une saison très chaude et très sèche, des incendies dans les forêts. Le couvert forestier que l’on observe aujourd’hui est le résultat d’une lente adaptation des cortèges floristiques à cette réalité climatique. Je voudrais d’ailleurs insister sur le rôle de la saison froide dans l’incendie. On pense généralement à l’été et on accuse la sécheresse et la chaleur. C’est bien sûr un élément essentiel pour expliquer le départ et la propagation du feu mais plus essentiel encore est la présence d’une strate herbacée, particulièrement importante. Les hivers cléments et arrosés vont donner beaucoup d’herbe qui, lorsque l’été arrive, sèche sur pied et devient un combustible de choix.

L’adaptation des végétaux de la forêt méditerranéenne au passage du feu peut se voir à 2 niveaux. Il y a d’abord au niveau de l’écorce le développement d’une écorce tubéreuse, c’est à dire qui fait du liège, ce qui permet à l’arbre, pourvu que le feu se soit déplacé rapidement, de survivre. Seuls les tout jeunes chênes lièges meurent lors d’un incendie mais généralement les vieux chênes lièges survivent parce qu’ils ont été protégés par leur écorce spongieuse. Et même lorsque la partie aérienne de l’arbre feuillu est carbonisée, la souche survit généralement et les arbres rejettent de souche. La deuxième adaptation, qui est plutôt celle des résineux. Ils ne rejettent pas de souche, donc l’arbre meurt définitivement dans l’incendie mais ses graines sont très légères et sont emportées par les vents violents qui accompagnent les incendies et germent très rapidement dès le printemps suivant. La chaleur, qu’elle provienne du soleil ou du feu, est une donnée essentielle pour l’éclatement des pommes de pin qui libère les semences. Ceci a bien été étudié sur le pin d’Alep ou le pin parasol. Je voudrais également préciser que si l’on pense généralement que les résineux brûlent mieux que les feuillus, c’est à cause de l’inflammabilité de la sève mais que dans la réalité tout ceci se discute. Il y a des feuillus qui brûlent beaucoup mieux que certains résineux. Par exemple, la litière formée par les feuilles sèches au sol d’une chênaie pubescente et beaucoup plus inflammable que la litière d’une cédraie. Les aiguilles de cèdre sont courtes et fines et forment un tapis très dense avec très peu d’oxygène, qui va donc prendre feu beaucoup plus lentement et qui le propagera beaucoup plus lentement qu’une litière de feuilles mortes. De même la propagation du feu, qui se fait également par les cimes, dépendra avant tout de la densité de plantation des arbres plutôt que de leur essence.

Lorsque dans quelques cas la forêt méditerranéenne meurt, on observe toujours les facteurs négatifs suivants : des incendies à répétition qui vont empêcher la régénération naturelle par les graines des arbres et un lessivage des sols par la succession après l’incendie de très grosses pluies qui emportent des sols déjà naturellement peu épais et qui ne sont plus retenus par aucune strate herbacée. Dans ce cas effectivement on peut avoir l’apparition de secteurs où, sans une intervention humaine extrêmement coûteuse et aléatoire pour reconstituer des sols, la forêt ne peut plus pousser. Il ne poussera plus qu’une formation arbustive relativement clairsemée et on pense généralement que c’est là l’origine de la garrigue dans le monde méditerranéen calcaire.

 

La Guyane, avec 96% de sa surface couverte de forêt, est le département le plus forestier de France, et le Président Emmanuel Macron a affirmé en 2019 : « Nous sommes Amazoniens ». Seuls 6% de cette forêt est exploitée. Comment la France gère-t-elle cet espace amazonien ?

La France gère de manière très prudente la forêt amazonienne parce que la possession de cette forêt équatoriale gigantesque donne à la France une responsabilité au niveau international quant à la conservation de la biodiversité forestière mondiale. On ne peut pas avoir été l’initiateur du de l’accord de Paris et faire n’importe quoi dans sa forêt guyanaise ! L’immense majorité du territoire amazonien français est sous un régime très strict de protection. Aucune exploitation forestière n’est autorisée, à l’exception, dans quelques zones très bien délimitée, des pratiques ancestrales des peuples autochtones dont les droits sont tout aussi respectables que ceux de la forêt. Dans la partie qui est la plus proche du littoral, la plus accessible et la seule qui soit exploitée, on a créé des pistes forestières qui permettent une coupe raisonnée des bois tropicaux. Et même si cette exploitation n’est pas sans poser des problèmes environnementaux, on ne peut pas blâmer les Guyanais de souhaiter mettre en valeur économiquement ce qui est leur principale ressource. Ils exportent des bois tropicaux et, avec les sous-produits de cette exploitation, ils produisent une part croissante de leur électricité. La population guyanaise augmente très rapidement, puis ces ressources en termes d’emplois et d’indépendance énergétique sont essentielles. Le problème environnemental majeur provient du fait que seules 3 ou 4 essences d’arbre sont commercialisées et qu’il faut pour les atteindre dans la forêt très touffue défricher de grandes surfaces, ne serait-ce que pour tracer la piste de débardage. Les forestiers développent actuellement des techniques très novatrices de cartographie de la forêt pour repérer les arbres intéressants, puis les extraire pied à pied en utilisant éventuellement la voie des airs. Tout ceci n’est possible évidemment que si la rentabilité est au rendez-vous dans le cadre d’un marché mondialisé des bois tropicaux.

On a beaucoup accusé également les gouvernements successifs de la France d’avoir délivré des permis de prospection et d’exploitation aux entreprises minières - les ressources minières étant également une des ressources économiques principales de la Guyane - d’avoir favorisé en cela la déforestation. Cette accusation ne tient pas l’analyse puisque aucune autorisation n’a été donnée dans les limites de la zone totalement protégée et que l’essentiel des surfaces déforestées provient des exploitations illégales des orpailleurs qui, par définition, échappent à la décision publique. Et on ne peut pas reprocher aux gouvernements successifs de la France de ne pas avoir toujours lutté contre l’orpaillage illégal effectivement très destructeur de la forêt et très pollueur des cours d’eau.