Tour-à-tour vénérée et critiquée, Sarah Bernhardt est l’incarnation même de la figure de la comédienne virtuose et anticonformiste.

Sarah Bernhardt aura ébloui le tournant du siècle par la virtuosité de son jeu, mais également par l’incandescence de sa personnalité. Tour à tour vénérée et dénigrée, l’actrice a su conquérir le monde par son anticonformisme et ses outrances médiatiques. Dans son ouvrage, Hélène Tierchant redonne toute sa dimension charnelle à cette femme vibrante qui mettait ses audaces au service des causes qu’elle défendait en sa qualité d’icône dite « Divine ». Ce parcours biographique reprend toutes les grandes étapes de la vie de la comédienne, qui est également le miroir d’une histoire troublée par les conflits, de la guerre de 1870 à la Grande Guerre.

Une virtuose

La famille de Sarah n’est pas comme les autres. Sa mère Judith-Julie, Youle pour les intimes, se dit artiste musicale, mais appartient au monde des femmes équivoques. Son père restera inconnu, malgré de nombreuses hypothèses. Inscrite dans une institution religieuse grâce à une rente viagère versée par son père, Sarah intègre le conservatoire impérial de musique et de déclamation. Elève difficile, elle connaît des débuts contrastés, qui se soldent par une résiliation de son contrat. Contrainte à la prostitution, elle entre ensuite à l’Odéon, où elle s’impose par des rôles résolument tragiques. Ses débuts à la Comédie-Française sont cependant compliqués : sa rivale, Sophie Croizette, récupère tous les premiers rôles, et il lui faudra attendre la pleine maturité de son talent pour être consacrée comme actrice tragique virtuose.

Mais elle veut un théâtre à son image. C’est pour cela qu’en 1893 elle acquiert la Renaissance, où elle sera « cheffesse » et dont elle fera sa tribune. Puis ce sera le Théâtre des Nations en 1899. Son répertoire est à l’image de sa polyvalence artistique : les œuvres tragiques côtoient les mélodrames, mais aussi les films. Car la Divine ne cesse d’explorer d’autres champs artistiques, y compris la peinture, et la sculpture, avec son œuvre majeure Après la tempête.

Une vie passionnée

Toujours excessive, Sarah l’est aussi dans sa vie, qui sera également mise en scène. Elle dormira parfois dans un cercueil en palissandre capitonné. De nombreux hommes traverseront sa vie : Mounet-Sully par exemple, durant sa période à l’Odéon ; ou encore Aristidès Damala, avec qui son mariage se terminera en fiasco. Dans ses goûts également, la Divine sait se singulariser. Sa ménagerie, ainsi, va au fil de sa vie devenir un vrai zoo. Pour se reposer des fluctuations de sa vie mouvementée, elle investit un fort à Belle-Île, qu’elle façonne à son image.

Mais dans le même temps, elle sillonne les routes des différents continents pour se produire : Amérique du Nord, Amérique du Sud, Angleterre, Russie, Scandinavie... La Divine acquiert une renommée internationale qui lui permet d’asseoir sa notoriété, mais aussi de gagner de l’argent. Pourtant, des problèmes d’argent, elle en aura toute sa vie. Très dépensière, elle frôle plusieurs fois la faillite. Elle se brûle à l’incandescence des passions, allant parfois jusqu’à mettre en péril sa propre vie dans de profondes dépressions. À soixante-dix ans, elle doit se résoudre à se faire amputer d’une jambe, ce qui ne l’empêche pas de tourner et de jouer jusqu’au crépuscule de sa vie.

Une artiste engagée

Toujours active, Sarah l’a été également dans ses différents engagements. Durant la guerre de 1870, alors que Paris est assiégé, elle se dévoue durant cinq mois auprès des malades, en tant qu’infirmière. Elle côtoie les plus illustres personnalités, comme Victor Hugo, dont elle interprète avec brio les drames.

Puis, lors de ses multiples voyages, notamment outre-Atlantique, elle dénonce l’acculturation des Amérindiens, la misère des Noirs de la Nouvelle-Orléans. Elle s’engage dans de nombreuses causes. Avec l’ancienne communarde Louise Michel, c’est une amitié profonde qui se tisse. Elle met en scène des pièces comme Les Mauvais Bergers, qui présente les problèmes sociaux soulevés par la révolution industrielle. Elle prend fait et cause pour Dreyfus, monte Jeanne Doré, un vibrant plaidoyer contre la peine de mort. Engagée dans des causes collectives, mais aussi pour sa famille, Sarah sera le soutien indéfectible de son fils, Maurice, et de ses petites-filles.

Quand elle décède en 1923, une foule innombrable lui rend hommage, l’accompagnant au cimetière du Père-Lachaise. Une de ses élèves aura une expression qui saura donner tout son sens à cette existence hors du commun, retracée dans ce livre : « Les dieux ne meurent pas ! ».