Dans un récit plein d’anecdotes, Mathieu Lindon revient sur l'histoire des éditions de Minuit, ses auteurs désormais classiques, et « l’intelligentillesse » de son père Jérôme Lindon.

Mathieu Lindon, né en 1955, choisit un titre qui fait référence à la pensée et à l’œuvre de Michel Foucault, pour un livre qui se situe aux frontières de la biographie et de l’autobiographie. Il rappelle dès le début le travail d’archiviste de l’historienne Anne Simonin qui a publié Les Éditions de Minuit, 1942-1955. Le devoir d’insoumission. L’éditeur Jérôme Lindon, qui les dirigea jusqu’à sa mort en 2001, avait le sens de l’archive, qu’en fils de magistrat, il considérait aussi comme une « pièce à conviction ». Mathieu Lindon lui rend hommage, à travers ses souvenirs, dans un récit qui mêle anecdotes savoureuses et analyses de ses liens avec un père qui entretenait le rapport de forces, mais était capable aussi d’une grande « fantaisie », et s’engageait totalement pour défendre ses auteurs, et ses idées, comme le prix unique du livre   .

« Une archive à moi tout seul »

L’auteur présente ainsi son projet : « En vérité, je ne souhaite pas tant évoquer Jérôme que les éditions de Minuit, si prégnantes dans ma vie, telles que je les ai connues, telles qu’on me les a racontées, que je les ai vécues. Soudain, il me semble que ça rassemble ce sur quoi je tâche d’écrire depuis longtemps, tout ce sur quoi je pense devoir le faire : les éditeurs, les écrivains, ma vie dans les livres depuis le premier jour. »

La sphère publique entrait dans la vie privée, que ce soit sous la forme violente de l’appartement familial plastiqué par l’OAS pendant la guerre d’Algérie, ou des repas avec Alain Robbe-Grillet ou Claude Simon, pour ne citer qu’eux parmi tous les membres du Nouveau Roman. La rencontre décisive fut celle avec Samuel Beckett.

« Miraculeusement, un écrivain est venu vers lui parce que miraculeusement personne d’autre n’en voulait et miraculeusement il a immédiatement identifié Samuel Beckett comme Samuel Beckett et a su se démener […] pour que cette reconnaissance s’étende à toute la planète. »

L’esclave de Catherine Robbe-Grillet et les assiduités de Yann Andréa

Mathieu Lindon réserve à son lecteur de nombreuses surprises sur le milieu littéraire qu’il connaît très bien, pour être tombé dans la potion magique quand il était petit. Il décrit Catherine Robbe-Grillet aux funérailles de son mari, en maîtresse SM, avec son « esclave » à ses pieds. Il regrette d’avoir conseillé à Yann Andréa, le compagnon de Marguerite Duras, de se suicider, car il le poursuivait en vain de ses assiduités.

Mathieu Lindon raconte comment l’avocat Jacques Vergès se présenta pour payer ses dettes aux éditions de Minuit avec une mallette remplie de billets de 500 francs. Les pages qu’il consacre à son éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, disparu en janvier 2018, sont émouvantes. Il étonne le lecteur en s’étonnant de n’avoir jamais rencontré Nathalie Sarraute, comme si cela allait de soi pour lui, qui a croisé tant d’auteurs du Nouveau Roman. Ce récit prend parfois des tonalités plus intimes et douloureuses, quand l’auteur évoque son frère André, qui envoya une bouteille d’encre à la tête de son père et prit le large en coupant les ponts, au point que Jérôme Lindon ne connut jamais ses seuls petits-enfants.

Ce récit enchantera les amateurs de littérature, les fous de Minuit et de ses auteurs, comme une sorte d’histoire littéraire très incarnée et racontée de l’intérieur, « intus et in cute », comme le dit l’épigraphe des Confessions de Jean-Jacques Rousseau. On peut juste regretter que le style en soit souvent relâché, les phrases un peu bancales nécessitant une relecture pour être bien comprises. Il eût fallu une forme plus travaillée et aboutie pour être à la hauteur du fond et rendre l’hommage plus complet et plus juste.