En nous faisant redécouvrir comment certains chefs-d’œuvre furent loués ou dénigrés dans la presse au moment de leur parution, ce recueil revigore ces textes devenus des classiques.

Chroniques !, un titre succinct, éloquent, dont le point d’exclamation suscite tout l'intérêt, la curiosité du lecteur. Cet ouvrage atypique se propose de rendre compte de la réception immédiate de cinquante chefs-d’œuvre, et surtout d’étayer cette réminiscence par des supports iconographiques révélant des états d’esprit d’époque parfois surprenants. Le corpus est hétéroclite : Les Hauts du Hurlevent côtoient Poil de carotte, Les Chants de Maldoror Monsieur Vénus. Mais surtout, ce que donne à entendre ce recueil, ce sont des voix du passé qui, avec leurs jugements, leurs a priori, rappellent combien certaines œuvres en avance sur leur temps ont pu être décriées.

Des chefs-d’œuvre parfois mal reçus

L’axe chronologique embrasse une période allant de 1802 à 1951, de Delphine de Mme de Staël à Molloy de Samuel Beckett. Quelque cent cinquante ans jalonnés d’œuvres aussi diverses que surprenantes, mais qui ont en commun d’avoir fait l’objet d’une réception immédiate dont les jugements se sont exprimés dans la presse. D’où certaines polémiques qui sont restées dans les mémoires, comme celle qui accompagna la parution des Fleurs du Mal : « des poursuites sont intentées à M. Charles Baudelaire pour un certain nombre de pièces de vers faisant partie d’un recueil qu’il vient de faire paraître, et qui est intitulé Fleurs du Mal. L’affaire viendra, dit-on, dans une dizaine de jours », lit-on par exemple dans La Presse du 4 août 1857. Les jugements portés dans ou par les journaux sont souvent moralisateurs, Bel-Ami étant fustigé, tandis que Cyrano de Bergerac plaît parce qu’il est perçu comme consensuel.

Les jugements de la presse et l’histoire de la critique

Une fiche, une œuvre : cette disposition permet une lecture par petites touches ou au contraire la saisie panoramique, pour ainsi dire, de certains sous-ensembles constitués d’œuvres proches par leur date de parution. Chaque fiche débute par un bref rappel de la substance même de l’œuvre, soit par un support iconographique, soit par un petit texte (celui qui présente Vingt mille lieues sous les mers rappelle par exemple que le livre s’inscrit dans la « démarche de vulgarisation sicentifique qu’on appelle “science amusante ». Puis se déploient les avis critiques, qui oscillent entre engouement et réprobation.

Ce recueil offre aussi à lire des documents iconographiques d’une grande richesse, avec des brouillons, des extraits des journaux, etc. En somme, chaque fiche est une fenêtre ouverte sur une époque et sur des jugements parfois cocasses, l’ensemble rappelant l’importance de la presse, puissant média, qui reflète voire influence les grands courants la critique.

Réveiller les classiques

De la sorte, on relit différemment des œuvres qu’on croyait bien connaître : ce livre, en effet, propose une plongée dans le passé qui permet de redécouvrir comme si elles venaient de paraître des œuvres devenues classiques, voire sclérosées par la faute d’une approche bien trop académique.

Ainsi, certaines œuvres « réfrigérées », pour ainsi dire, par la tradition scolaire à laquelle elles ont été intégrées, retrouvent toute leur jeunesse, toute leur singularité en étant ainsi confrontées aux sentences de leurs contemporains. Certes, certains jugements semblent presque absurdes, avec le recul. Dracula, de Bram Stoker, n’aurait « aucun caractère » et ne renfermerait « aucune création » ; Wilde, pour sa part, aurait prouvé, avec Le Portrait de Dorian Gray, qu’il n’était qu'un « fantoche », qu’« un fumiste » ; et Le Blé en herbe, livre scabreux, serait à l’image de son auteure, Colette, simple « animal instinctif ».

Pourtant, d’autres formules célèbrent justement le génie de l’écriture : Poil de carotte est ainsi décrit tout à la fois come un « élixir de joie » et comme un « élixir de peine ». Dans tous les cas, que les jugements soient laudatifs ou dénigrants, qu’ils semblent pertinents ou malvenus, ils arrachent les œuvres à l’évidence lénifiante que leur a conférée leur statut de classiques. Et c’est au fond tout ce qu’on attend d’un livre de critique.