Une biographie de la biologiste et militante pour l'environnement Rachel Carson revient sur ses engagements contre certains pesticides produits par l'industrie de la chimie.

Les questionnements, de plus en plus nombreux, concernant la crise écologique ont suscité un regain d’intérêt pour tous les précurseurs, scientifiques ou militants, qui ont contribué par le passé à documenter les bouleversements observés à différents niveaux de la nature, voire à alerter sur les risques qu’ils comportaient. Dans cette quête de références quasi-héroïques — la plupart du temps masculines —, les jeunes éditions Calype proposent de réhabiliter, dans leur collection justement intitulée « Destins », la figure de la biologiste et activiste Rachel Carson (1907-1964), témoin en son temps de la dévastation du vivant.

Une trajectoire scientifique

Si les ouvrages de Rachel Carson sont des succès de librairie aux États-Unis, elle demeure relativement peu connue en France (même si certaines écoles, comme à Saint-Denis, portent son nom) et ses travaux sont peu cités (à l’exception par exemple du film de Marie-Monique Robin, Le Monde selon Monsanto, sorti en 2009).

Il s’agit pourtant d’une pionnière de l’écologie mondiale, qui s’est fait connaître par ses études sur la nocivité et la toxicité de certains produits répandus dans la nature. À ce sujet, elle soutient une thèse catégorique : « Pour la première fois dans l’histoire du monde, l’humain vit au contact de produits toxiques, depuis sa conception jusqu’à sa mort ».

Dans cet ouvrage, le philosophe et essayiste Thierry Paquot, spécialiste des questions d’urbanisme, dresse le portrait de Rachel Carson. Il en relate le parcours et les découvertes scientifiques en évitant de verser dans le récit téléologique qui structure souvent les écrits biographiques.

De nombreux obstacles se sont dressés devant Rachel Carson tout au long de sa vie, à commencer par ses premières années de formation. Après quelques essais infructueux, elle fait le choix d’épouser une carrière scientifique, plus précisément dans la biologie marine. Il s’agit d’un choix délicat en cette première moitié du XXe siècle, car ce genre de métier n’est pas valorisé pour les femmes. Elle enseigne finalement à l’université du Maryland, avant de devenir la deuxième femme assistante-biologiste marin, engagée par le bureau des pêches dépendant du ministère de l’agriculture.

L’interdépendance du vivant

Rachel Carson commence à écrire de courts articles pour des journaux ou revues scientifiques grand public. Elle se fait rapidement remarquer pour la double qualité de ses textes : ceux-ci sont à la fois d’une grande rigueur scientifique et d’une grande qualité littéraire. D’articles, ils deviennent des brochures, puis s’étoffent jusqu’à devenir des essais. Le premier de ses ouvrages, publié en 1937 et intitulé Undersea, en est le fruit. Il relate un voyage dans les fonds marins et marque le début de son activité en tant qu’écrivaine.

Un parti pris global se détache à travers l’ensemble de ses productions écrites : Rachel Carson est convaincue que tout est lié dans la nature et que l’humain fait partie intégrante de cette totalité. Pour elle, le monde est constitué d’une multitude d’éléments se tenant les uns et les autres dans une relation d’interdépendance. Pour autant, ce lien n’est pas statique : il convient de le penser en termes d’évolution (c’est là l’héritage de Darwin). En somme, tout est relié, mais rien n’est stable ou fixe ; tout se repositionne sans cesse afin de reconfigurer les équilibres provisoires que le vivant engendre.

À partir de là, le souci de l’impact que peuvent provoquer les activités humaines sur la nature apparaît comme une évidence. Et Rachel Carson est contemporaine des premiers signes témoignant de l’élévation du niveau des mers et des océans, dont on sait qu’elle va modifier l’équilibre de nombreux littoraux.

Le cas du DDT et des pesticides

Au fil des années, l’intérêt de Rachel Carson pour l’environnement s’accroît et s’étend au-delà du domaine marin. Les travaux qui l’ont rendue célèbre concernent en effet les informations qu’elle a synthétisées et les analyses qu’elle a menées sur le DDT, ce produit chimique dont les propriétés insecticides ont été utilisées pendant la guerre pour exterminer les poux et les moustiques porteurs de maladies qui assaillait les soldats américains (typhus ou malaria).

Au lendemain de la guerre, l’industrie chimique commercialise ce pesticide aux civils. Mais rapidement, des rapports de l’administration constatent des morts massives d’oiseaux ou de poissons, en plus des insectes, aux endroits où est répandu le produit. C’est alors que Rachel Carson s’empare de la question et fait paraître des études mettant en évidence la nocivité de ce produit sur l’environnement et les espèces touchées. Elle finit par publier sur ce problème l’ouvrage Man’s War against Nature.

Dans la même perspective, elle se penche sur une autre question, celle des « fourmis de feu », une espèce de fourmi originaire d’Amérique du Sud dont les piqures sont mortelles et qui ravagent certaines cultures. Pour pallier leur action néfaste sur les récoltes, on propose aux agriculteurs de recourir à des des hydrocarbures chlorés pour s’en débarrasser. Là encore, les sociétés ornithologiques s’inquiètent et se mobilisent rapidement devant la disparition des oiseaux qui suit l’épandage de ces produits chimiques. Et là encore, Rachel Carson s’engage dans l’enquête sur les relations entre l’usage de ces insecticides et la mort des oiseaux. Elle publie finalement un ouvrage largement apprécié et diffusé — mais aussi largement attaqué par les industries chimiques —, intitulé Printemps silencieux.

Les analyses de Rachel Carson continue de résonner aujourd’hui, dans un contexte où de nouveaux scandales sanitaires et environnementaux éclatent — pensons à celui du chlordécone qui a empoisonné les sols de la Guadeloupe et de la Martinique. De ses combats, on peut retenir l’importance de prendre en compte la pollution de l’environnement par les produits chimiques et leur impact sur les espèces vivantes (végétales ou animales, humains compris) qui contribuent à l’équilibre naturel.