La dramaturge explore à hauteur d’enfant l’emprise d’une mère sur sa fille, dans une écriture sensorielle des tabous qui fait éprouver un sentiment physique d’asphyxie.
Placé sous le signe de Virginia Woolf, citée en exergue, ce premier roman explore le malheur de ne pas avoir « une chambre à soi ». Elsa a 7 ans quand sa mère achète un appartement où elles emménagent à la fin d’octobre 1993. « Elle s’exalte de la chance que nous avons, que j’ai, d’avoir bientôt un endroit à nous. Elle me dit que personne, là d’où elle vient, n’a jamais connu ce bonheur jusqu’ici. Personne là d’où elle vient, ça veut dire sa mère et elle-même. »
La description du décor est précise, clinique, angoissante, notamment la moquette et le plafond de la chambre de l’enfant : « la peinture boursouflée, les bulles maculées de taches vertes aux contours dilués au-dessus de sa tête. Les restes d’un dégât des eaux. Il y a peu de risques que cela s’aggrave. »
Mais c’est tout le reste qui s’aggrave autour, jusqu’à des scènes insoutenables que l’écriture affronte vaillamment, sans jamais nommer les tabous décrits, mais en suggérant les dégâts qu’elles provoquent sur l’enfant. Elsa apprendra de son amie d’école Issa, après une soirée pyjama très particulière, qu’on a le droit de dire non, dans l’apprentissage de la défense de soi-même.
« De génération en génération »
Dans cette famille – et dans toutes les familles, semble nous dire la narratrice –, l’emprise se transmet de mère en fille, avec des cadeaux empoisonnés, comme une bague qui devient un garrot pour le doigt qui la porte, jusqu’à le blesser, ou la « poupée sirène » autour de laquelle se concentrent toute cette névrose et tout ce malaise :
« Ma mère a refusé de me l’acheter. Elle la trouvait laide et beaucoup trop chère. “Un cadeau pour une petite fille cruche”, elle a dit. Je crois qu’elle en voulu à ma grand-mère de me l’offrir sans sa permission. »
Il s’agit là d’un objet obsédant pour l’auteure, qui a publié aux Solitaires intempestifs Portrait d’une sirène en 2019, et qui fait réapparaître ce jouet là où le lecteur ne l’attend pas, à la fin du roman, quand la narratrice a trente ans, et que sa mère décide, au début de la deuxième partie, de vider l’appartement avant de le mettre en vente. Elsa doit donc y revenir, ce qui donne lieu à des scènes terribles de liquidation de son enfance, à laquelle elle ne semble pas pouvoir échapper, même en l’enfermant dans des sacs poubelle.
Ce premier roman, sans aucun personnage masculin, porte un regard clinique sur la cruauté des femmes entre elles, et la mort que toute mère porte en elle. Le malaise qu’il suscite chez le lecteur est à la hauteur de la tenue de l’écriture, toute en sensations, qui fait comprendre sans nommer, dans une sorte de langue étymologiquement infans.