Pensée dans le cadre de la Guerre d'Algérie et des guerres d'indépendance, en Afrique ou en Amérique latine notamment, la doctrine de la « guerre révolutionnaire » demeure encore mal connue.

Si la réflexion sur l’usage de l’arme nucléaire a largement dépassé le champ des militaires   , la doctrine de la « guerre révolutionnaire » n’a pas eu le même écho, malgré les articles qui lui ont été consacrés. L’historien Jérémy Rubenstein la définit comme une « vaste et brutale ingénierie sociale visant à formater une société où l’ennemi insurgé n’aurait plus aucune prise »   . Forgée par les officiers français dans la continuité des guerres d’occupation coloniales au XIXe siècle, elle est pensée et appliquée durant les guerres d’indépendance de l’Indochine et de l’Algérie, avant d’influencer quelques pays du continent américain et de se propager dans certains domaines de l’entreprise.

Le thème de la guerre dans les programmes d'histoire de classe de Terminale invite à réfléchir sur le temps de la guerre et celui de la paix. La doctrine de la « guerre révolutionnaire » bouscule cette temporalité et brouille la frontière entre civils et militaires, tout en diffusant l’hyperviolence hors de la phase du combat.

 

Nonfiction.fr : Vous consacrez votre dernier ouvrage à la doctrine de la « guerre révolutionnaire » forgée par l’armée française. Comment la définissez-vous et peut-on la distinguer de la guerre contre-insurrectionnelle ?

Jérémy Rubenstein : La doctrine de guerre révolutionnaire (DGR, dorénavant) est une vaste et brutale opération d’ingénierie sociale visant à restructurer intégralement la société afin que les éléments subversifs, ou révolutionnaires, ne puissent plus y prospérer. Voilà la définition la plus courte que je puisse en donner.

Cela dit, avec quelques autres chercheurs, notamment Mathieu Rigouste, nous sommes d’accord pour distinguer deux définitions de la DGR. L’une désigne la doctrine stratégique officielle de la France (armée et dirigeants politiques) entre 1956 et 1960. Elle est alors appliquée principalement en Algérie et au Cameroun. Elle correspond à un ensemble de lois (par exemple celle dite des « pouvoirs spéciaux » de 1956), directives, instructions, manuels (par exemple, sur l’utilisation de l’arme psychologique de 1957). Il s’agit donc pour les chercheurs d’un corpus relativement limité. La seconde définition de la DGR est bien plus ample et ses limites sont plus incertaines. Je la définirais dès lors moins comme une doctrine que comme une boîte à outils dans laquelle différents acteurs (armées, gouvernants, partis politiques, mercenaires, entreprises -licites ou illicites-, etc.) puisent des instruments dont ils ont besoin. Ainsi, ils peuvent reprendre l’ensemble de la logique au cœur de la DGR ou seulement un outil développé dans son cadre : une technique de retournement ou de manipulation, une stratégie de la tension, voire un programme de développement social en vue de conquérir les « cœurs et les esprits » d’une population.

Dès lors, il devient assez difficile de distinguer les outils de la DGR d’autres filiations. Pour s’y retrouver il convient de dresser, simplement, les parcours de personnes qui ont participé à la mise en œuvre de la DGR historique (la définition stricte) et voir ce qu’ils en font dans leurs vies ultérieures. Typiquement, le colonel Michel Frois occupait un très haut poste dans la propagande de l’armée jusqu’en 1956, il prend ensuite la tête de la communication du CNPF (ex-MEDEF) en 1970, puis il fonde un cabinet de conseil destiné à des clients très fortunés dans les années 1980. Ainsi, on peut établir que des techniques de la DGR se retrouvent dans la communication visant à polir l’image de milliardaires.

Dans les deux cas, définition stricte ou définition plus large, la DGR est une forme de guerre contre-insurrectionnelle. C’est-à-dire une forme de guerre centrée sur la population civile, qui en est à la fois l’objectif de guerre et l’arme principale. Ce qui explique sa devise : « conquérir les cœurs et les esprits ». Pour y parvenir, elle prône de nombreuses techniques : déplacements de population, propagandes et manipulations, programmes de développement économiques et sociaux (plus ou moins réels ou uniquement propagandistes) et le déploiement d’une gamme très variée de violences dans le but de terroriser. Ces violences peuvent aller de la simple gifle publique jusqu’à l’exposition de cadavres suppliciés, en passant par tous types de torture, viols et disparitions de personnes. Elle déploie terreur et séduction, avec un très net penchant pour la première.

 

Bien qu’elle soit avant tout perçue comme une réponse aux luttes pour leur indépendance des colonies asiatiques et africaines au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ses origines sont à chercher dans les occupations coloniales du XIXe siècle derrière, entre autres, Bugeaud, Gallieni et Lyautey. Contrairement à ce que laissent penser certaines biographies, vous montrez que la violence reste ancrée au cœur des différents schémas de ces officiers coloniaux. Dans quelle mesure ont-ils influencé ceux qui ont théorisé la DGR ?

La littérature plus ou moins scientifique, y compris historienne, tend à opposer radicalement Bugeaud à Lyautey. Le premier étant le conquérant de l’Algérie, dont les mains baignent dans le sang de terribles crimes plus ou moins inhérents à ce genre d’entreprise. Lyautey, tout au contraire, serait un administrateur soucieux de verser le moins de sang possible, préférant un hôpital à un régiment d’infanterie, afin d’obtenir l’adhésion des élites et populations locales. Cette méthode « douce » serait à la fois moins chère et plus efficace car l’administration coloniale reposerait presque entièrement sur les élites locales au service de la France.

À mon sens, il n’y a pas lieu d’opposer ces deux personnages, ces deux maréchaux (le plus haut grade de l’armée), qui incarnent deux époques de la colonisation. Il convient de les articuler plutôt que les opposer. Bugeaud est certes d’une très grande brutalité, mais Lyautey peut se montrer tout aussi féroce si la souveraineté de la France est remise en question dans une partie de son empire colonial. D’ailleurs, il écrit lui-même qu’il faut mener les expéditions militaires « avec la dernière vigueur » (Du rôle colonial de l’armée, 1900). Et vingt-cinq ans plus tard, dans le contexte de la guerre du Rif, il est prêt aux pires exactions afin de mater la révolution indépendantiste menée par Abelkrim El-Khattabi, y compris à faire usage de l’Ypérite (« gaz moutarde »). Autant que l’on sache, ces armes chimiques ne lui ont pas été remises. Mais il en fit la demande et elles auraient forcément été utilisées contre des populations civiles du Maroc. Cela dit bien le degré de violence à laquelle Lyautey était disposé.

Surtout, tout son argumentaire en faveur d’un colonialisme plus « doux » (« Rien de durable ne se fonde sur la force » est l’une de ses phrases très souvent citées) repose sur une très grande violence préalable et la menace permanente de son usage.

Quoiqu’il en soit, Bugeaud (1784-1843), Saint-Arnaud (1798-1854), Pélissier (1794-1864), Gallieni (1849-1916), tous ces hommes qui ont souvent obtenu leur bâton de maréchal précisément dans la conquête ou la répression de colonies, influencent la génération de la DGR. Ils constituent un peu le background de tout officier colonial des années 1920 et 1930. Néanmoins, c’est certainement Lyautey (1854-1934) qui influence le plus. C’est en grande partie lui qui parvient à changer l’image de l’officier colonial, d’homme à la mauvaise réputation et indiscipliné à l’officier faisant preuve d’initiative aux quatre coins du globe, dans un empire glorifié. De plus son nom est attaché à plusieurs méthodes, à des tactiques et des stratégies, qui sont largement reprises par la génération de la DGR.

 

Les commandos qui agissent à l’arrière des lignes ennemies renforcent la confusion entre civils et militaires, puis remettent en question la hiérarchie dans le monde militaire. La DGR parvient elle à remédier à ce dernier point ?

Non, certainement pas. La DGR implique une très forte politisation des militaires, quand bien même ses théoriciens présentent cette politisation comme une simple technique de guerre, donc du ressort militaire. Aussi, la DGR ne peut que renforcer la forte tendance à l’autonomisation de soldats déjà particulièrement autonomes que sont les commandos (aujourd’hui généralement désignées sous l’expression « forces spéciales » qui, dès leur naissance durant la Seconde Guerre mondiale, sont très indépendants pour une raison tactique essentielle à leurs missions). Dès lors, ils constituent des secteurs de l’armée très inflammables, prêts à se soulever soit contre les autorités politiques, soit contre leur hiérarchie.

La séquence 1958-1961, avec les multiples pressions militaires participant à l’ascension de De Gaulle au pouvoir, puis les soulèvements militaires (dont le « putsch des généraux » d’avril 1961) contre ce même De Gaulle, indique le haut degré de politisation des officiers DGR.

Or, le même genre d’attitude se retrouve un peu partout où prolifère la DGR. En Argentine, par exemple, non seulement la haute-hiérarchie mène des coups d’État (1966 et 1976) mais, en plus, des cadres intermédiaires (lieutenant, capitaines et quelques colonels) se soulèvent contre cette même hiérarchie dans les années 1980 (il est vrai aussi parce que cette haute-hiérarchie se défausse des crimes de l’institution sur eux). Les uns et les autres, la haute-hiérarchie et les cadres intermédiaires issus de formation commando, se revendiquent explicitement de « l’école française ».

Assez systématiquement, le même schéma se reproduit : commandos et DGR politisent les officiers qui se croient donc autorisés à prendre le pouvoir. Cette politisation n’est pas une déviance, elle est inscrite dans la DGR qui implique une prise du pouvoir, soit directement par un coup d’Etat, soit de manière plus larvée par des lois qui étendent démesurément les pouvoirs de l’armée et/ou des forces répressives. Ces lois apparaissent généralement accompagnées de termes tels que « commotion interne », « exception » ou « urgence » qui limitent, subvertissent, ou suspendent, le droit (et donc les libertés publiques et/ou individuelles).

 

La guerre d’Indochine constitue le « mythe fondateur » de la DGR, bien que celle-ci ne s’impose pas d’emblée. Qui sont les officiers qui défendent la DGR ?

Oui, entre mythes et réalités, la DGR est censée naître durant la guerre d’Indochine. Côté mythe, la première partie du roman Les centurions de Jean Lartéguy se situe dans un camp du Vietminh où sont prisonniers des officiers français (principaux personnages du roman, librement inspirés d’officiers réels, entre autres de Marcel Bigeard et Paul Aussaresses). C’est là qu’ils développent leur théorie de la guerre et leur forme d’organisation interne particulière, avec une certaine collégialité dans la prise de décision. Côté réalité, Charles Lacheroy (qui peut être considéré comme le père fondateur de l’école française) affirme avoir développé sa théorie à partir des observations menées dans le secteur dont il prend le commandement en Cochinchine en 1951.

Cette identification de la DGR avec la guerre d’Indochine est si forte qu’en Algérie les « anciens d’Indo » appellent souvent les indépendantistes « les Viets ». L’historien Denis Leroux a pu aussi remarquer que les 5ème Bureau (de guerre psychologique) mis en place durant la guerre d’Algérie sont massivement intégrés par des vétérans d’Indochine.

Néanmoins, les figures marquantes de la DGR - les principaux théoriciens - proviennent surtout de la Coloniale, comme nous le disions auparavant. Les autres connaissent leur baptême du feu durant la Seconde Guerre Mondiale. Ce sont des soldats formés à des méthodes hétérodoxes (sabotage, terrorisme, manipulation, etc.) dans des écoles de formation intensive (Special Training Schools) mises en place sur le sol britannique afin d’agir à l’intérieur des lignes ennemies. Ainsi, par exemples, Paul Aussaresses et Jean Sassi font partie des Jedburgh, archétype des commandos envoyés en France pour former et organiser les maquis avant le Débarquement.

Il peut paraître paradoxal que des hommes qui ont d’abord combattu dans une guerre de libération (en l’occurence de la France contre l’envahisseur allemand) soient, ensuite, les « meilleurs » soldats du maintien de l’ordre colonial contre les indépendantistes. Ce paradoxe n’est qu’apparent car, d’un point de vue pratique, pour ces soldats, il s’agit avant tout de techniques. Si bien qu’il n’est pas si étonnant que celui qui a appris à combattre au milieu de la population civile contre un colonisateur (allemand en l’occurence) sache, ensuite, combattre le libérateur (par exemple, vietnamien). Pour le dire vite, l’ancien guérillero fait un excellent contre-guérillero.

Disons que le parcours-type de l’officier DGR a été la Seconde Guerre Mondiale, en tant que jeune officier parachuté auprès de maquis, puis combattant des maquis en Indochine et en Algérie. Mais la réalité est bien plus disparate, avec des officiers restés fidèles à l’autorité française officielle durant la SGM (Vichy donc) : c’est le cas de Roger Trinquier (auteur du plus influent manuel de la DGR, La guerre moderne, Ed. La Table Ronde, 1961) par exemple.

 

Si la DGR est pleinement pensée dans le cadre de la guerre d’Indochine, c’est durant la guerre d’indépendance algérienne qu’elle est appliquée. Quelles sont les différences entre la théorie et son application ?

Il existe pléthore de différences entre théories et pratiques. Entre autres parce que les principaux textes (les manuels les plus diffusés) participent eux-mêmes à la propagande de la DGR. Ils restent donc assez sibyllins sur les aspects les plus contestables de leur théorie. Mais, à mon sens, il y a surtout une volonté de leurs lecteurs de biaiser la lecture afin de (ou feindre de) ne pas voir l’extrême brutalité qu’elle implique.

Par exemple, le plus influent des théoriciens français dans l’armée états-unienne des années 2000, David Galula (1919-1967), est très mal lu. Si on écoute ses apologistes, Galula préconiserait un usage très modéré de la violence. Alors, certes, formellement il préconise un degré de violence le moins élevé possible, mais, à ma connaissance, personne ne prône plus de violence que « nécessaire ». La lecture attentive de son manuel recommande, en réalité, des violences inouïes. Par exemple, il n’exclut pas le déplacement de population. Or, cette mesure implique de véritables ethnocides, puisqu’elle provoque la disparition irrémédiable de formes de vie, de manières d’habiter la Terre.

Ces déplacements ont été massivement appliqués par les Français en Algérie et par les Etats-uniens au Vietnam, qui regroupaient les déplacés dans des camps (appelés respectivement « camps de regroupement » et « hameaux stratégiques »). Dans les manuels, ces « villages » apparaissent comme des lieux où les nouveaux habitants disposeraient de conditions matérielles de vie très favorables, ce qui les inciterait à rejoindre la force qui les a déplacés. Il s’agirait donc de séduire autant que de priver les rebelles du soutien de la population. Dans la réalité, autant en Algérie qu’au Vietnam, ce sont des camps où la vie quotidienne est extrêmement contrôlée. Surtout, les conditions de vie y sont totalement indigentes, provoquant de très nombreuses morts - dont celles d’enfants - par malnutrition. Voilà une différence très nette entre théorie et pratique.

Il convient de préciser que David Galula a été remis au goût du jour par toute une génération d’officiers états-uniens, au premier rang desquels David Petraeus, chef des armées en Irak et en Afghanistan puis directeur de la CIA. Le manuel états-unien de contre-insurrection de 2006 est imprégné de l’œuvre de Galula.   

Pour en revenir, aux lectures biaisées, un spécialiste en « guerres irrégulières » tel que François Géré peut tranquillement affirmer que Trinquier « ne croit pas à l’efficacité de la torture », dans l’introduction de la réédition (2008) du manuel du même Trinquier qui y… prône explicitement la torture. Donc, il n’y croirait pas mais il la recommande tout de même.

 

Le pouvoir gaulliste met fin de façon brutale à la DGR. Elle se diffuse néanmoins dans d’autres pays, dont l’Argentine, pays au cœur de vos recherches. Durant la dictature militaire (1976-1983), le ministre de l’Intérieur invite la population à participer à la lutte contre les opposants et fustige ceux qui optent pour l’indifférence. Quel lien faîtes-vous avec la DGR pensée en France, pour des guerres dites coloniales ?

Oui, ce que vous pointez, la prétention à faire participer la population, à la faire adhérer au projet répressif (en dehors même d’un projet politique particulier) est le trait le plus saillant des vies ultérieures de la DGR.

A la fin des années 1980, un officier argentin, ancien commando très imprégné de la DGR, établissait une différence, selon lui fondamentale, entre les militaires français en Algérie et les militaires argentins durant la dictature en Argentine. Précisément sur le fait que ces seconds agissaient sur leur propre territoire, un territoire disons incontestablement « leur ». Il en concluait qu’eux, militaires argentins, avaient une légitimité dont étaient dépourvus les Français en Algérie. Formellement, on pourrait lui donner raison. Mais ce serait oublier un peu vite que ces militaires ont non seulement pris le pouvoir par un coup d’Etat, mais qu’ils ont violé leurs propres lois (illégitimes par ailleurs). Par exemple, ils ont rétabli la peine de mort, mais elle n’a jamais été prononcée durant leur gestion. En revanche, ils ont organisé un massacre systématique de supposés opposants politiques de gauche, de manière cachée, c’est-à-dire hors du cadre de leurs propres lois. Comme les « corvées de bois » (assassinats de prisonniers) qu’effectuaient les militaires français en Algérie.

A mon sens, que les assassinats, disparitions de personnes et autres crimes atroces, soient perpétrés par, ou au nom, d’une puissance coloniale (la France en l’occurence) ou bien par une petite minorité locale pour son propre bénéfice, change assez peu la nature du conflit. Pour tout dire, je ne crois pas qu’un militaire argentin soit plus légitime à tuer un militant de gauche argentin (et faire disparaître son corps, balancé dans la mer du haut d’un avion) qu’un militaire français à faire la même chose en Algérie (ni d’ailleurs qu’un militaire algérien fasse de même).

Il me semble que ce que la DGR offre, précisément, ce sont des outils pour maintenir un régime parfaitement illégitime. Je ne dis pas que toutes les violences politiques se valent, mais que ce soit en situation coloniale, néo-coloniale ou interne à un pays indépendant, la DGR a été conçue et a systématiquement servi à maintenir un ordre injuste. Il s’agit là à la fois d’un constat de chercheur et d'une position politique mienne (ce qui n’est pas antinomique, la recherche peut parfaitement assumer une position politique tant que celle-ci ne gène pas la méthode et la probité intellectuelle).

 

Loin de s’éteindre, l’hyperviolence de la DGR se retrouve dans le mercenariat alors que certains principes inspirent des domaines hors de la sphère guerrière, notamment dans l’entreprise. Quel « héritage » a laissé la DGR au XXIe siècle ?

La DGR offre des outils à des entités extrêmement disparates, à des Etats dit démocratiques, d’autres dictatoriaux, des grandes entreprises légales et d’autres de type maffieux.

A l’origine, en concevant une guerre multi-dimensionnelle (militaire, policière, judiciaire, culturelle, etc.) la DGR a développé certains outils utiles à des champs extrêmement différents. Il n’est donc pas si surprenant que des partis politiques (souvent d’extrême-droite), des polices ou des entreprises aillent puiser dans ses outils. Et il n’est pas rare que ces outils passent d’un champ à un autre avec des personnes concrètes. Quoiqu’une enquête bien plus exhaustive que je n’ai pu mener soit encore nécessaire pour affiner les certitudes, nous savons d’ores et déjà que nombre de militaires formés à la DGR sont ensuite employés dans des entreprises. Et ici les domaines d’expertise sont aussi variés que les domaines entrepris par la DGR, c’est pourquoi on peut aussi bien les retrouver dans le marketing, le management, l’espionnage industrielle, la sécurité, etc. Et, bien entendu, massivement parmi les mercenaires (aujourd’hui appelées « sociétés militaires privées »).

Quant à l’hyper-violence ou, plutôt, la sur-exposition de la violence, elle est inscrite dans la guerre psychologique, arme centrale de la DGR. Ainsi, durant la guerre d’Algérie, le colonel Antoine Argoud insistait pour que les exécutions suite à des procès expéditifs soient publiques. Quand sa hiérarchie s’est plainte de cette visibilité (pour de possible retombées médiatiques), il a obtenu de déplacer l’ensemble de la population du village afin qu’elle assiste aux exécutions dans les monts environnants. De même, David Galula prônait l’exposition des cadavres de l’ennemi (indépendantiste) afin que les villageois les voient.

Il s’agit d’une sorte de langage hyper-violent, au coeur de la grammaire de la DGR. C’était le langage de l’OAS (Organisation armée secrète, qui réunit les ultras de l’Algérie française) mais aussi, aujourd’hui, celui utilisé dans de nombreux conflits menés par des forces spéciales et/ou des mercenaires. Le cas le plus frappant sont les « Z », l’armée privée du Cartel du Golfe (narco), fondée au début des années 2000 par des anciens des forces spéciales mexicaines. Elle « parle » le même langage que l’OAS, provoquant effroi et terreur dans la population à travers l’exposition sur la voie publique de corps suppliciés. On retrouve aussi la même logique, avec des degrés très variables d’horreur, parmi des mercenaires ayant pignon sur rue.

Mais la DGR se retrouve aussi dans des formes « non-violentes » de manipulation des esprits, dans le marketing ou la propagande. Il conviendrait d’ailleurs de comprendre que le mensonge politique et la manipulation sont des formes de violence.