Lydie Salvayre nous invite avec cet essai à éviter les écrivains et écrivaines à succès...

La successologie est la science du succès. Elle a ses manuels (surtout traduits de l’anglais), et l’adjectif « irréfutable », tout exagéré qu’il puisse sembler, ne déparerait pas les présentations – toutes plus immodestes les unes que les autres – qu’en donnent leurs auteurs. Il est donc bien sûr faux que « nul n’a encore tenté de se lancer dans l’analyse sérieuse et approfondie des meilleurs moyens de parvenir au succès » comme on peut le lire dès les premières lignes de ce nouveau livre de Lydie Salvayre, qui s’intitule Irréfutable essai de successologie (Seuil, 2023). Sauf à considérer que le sérieux aura manqué jusqu’ici à cette entreprise… ou, plus probablement, que le sujet n’aura pas été traité jusqu'ici avec l’humour qu’il requiert… ce qu’on pourrait peut être également mettre en doute.

En même temps, le succès est une chose sérieuse, et si l’on peut rire des conseils que l’on donne pour y parvenir (et l’on rit beaucoup en lisant ce livre), c’est avec l’espoir (caché ?) que l’on puisse tout de même y trouver une prescription utile. C’est le pacte de lecture, nous semble-t-il, que l’autrice passe ici avec son lecteur. On verra comment il sera tenu.

 

Portraits de femmes et d’hommes à succès

Chaque époque a sa définition du succès et la nôtre est avant tout décomplexée, comme le montre le portrait très drôle de l’ « influenceuse bookstagrameuse » qui ouvre alors le livre. Celui, qui suit, de l’ « homme influent » est moins actuel et pourrait être de toutes les époques. Quoiqu’il en soit, les conseils ici consistent à savoir comment se conduire avec ces personnages, plutôt que de vouloir les imiter, ce qui ne serait de toute façon sans doute pas à la portée du lecteur ou de la lectrice.

Le succès pour lequel on peut prêter à l’autrice de cet essai quelques compétences concerne bien sûr la littérature (Lydie Salvayre a écrit une douzaine de romans et obtenu le prix Goncourt en 2014 pour son livre Pas pleurer). Pour autant, ses conseils ne porteront pas sur la façon d’écrire, pour lesquels il aurait fallu sinon ouvrir plutôt un livre qui se serait appelé L’art du roman par exemple, mais bien sur la façon de se comporter, pour continuer dans la même veine que les chapitres précédents, avec différents types d’écrivains, de l’écrivain confirmé à l’écrivain stupide, en passant par l’écrivain transfuge ou intercalaire, catégorie dans laquelle elle se range, et l’écrivaine féministe, etc. Et donc, puisqu’il n’est ici (bizarrement ?) presque question que de cela, de la façon de les éviter ou de s’en débarrasser. 

Ici l’apprenti écrivain, qui sommeille peut-être chez quelques lecteurs, aurait sans doute trouvé plus utile qu’on l’invite à emprunter le profil qui lui conviendrait le mieux dans cette galerie de portraits…

A défaut de vouloir se lancer dans une carrière d’écrivain, le lecteur ordinaire pourra  toujours s’essayer à imaginer de son côté les variétés d’importuns qu’il pourrait rencontrer dans la carrière qu’il poursuit et la façon de les traiter pour limiter leurs capacités de nuisance.

 

Règles pour obtenir le succès

La suite aborde enfin (!) les règles pour obtenir un succès littéraire, qui consistent essentiellement à s’aligner sur le goût du grand nombre, ou encore les règles pour obtenir un succès en tous domaines, où le plus important serait de ne pas hésiter à se mettre en avant.

L’art de s’habiller, de se comporter (un chapitre, plus loin, portera sur la manière de se tenir dans un cocktail mondain) et l’art de converser font l’objet de développements allant dans le même sens, avec, pour ce dernier volet, une liste des thèmes à aborder avec des interlocuteurs de gauche, du centre et de droite, lorsque ces dominantes sont clairement établies (car autrement il faudra se contenter d’être plus évasif). 

A en croire l’autrice, il faudra également apprendre pour réussir à faire bon usage du malheur d’autrui, du mensonge comme de la méchanceté. Le livre a ici définitivement versé dans la critique du succès et des conditions requises à son obtention, même si le lecteur ne voit pas encore trop quel rétablissement il pourrait opérer.

Un chapitre dédié à l’utilisation qu’il convient de faire des réseaux sociaux achève de renverser le pacte de lecture en expliquant qu’ « il est devenu, aujourd’hui, tout à fait superflu de lire ». Au risque de décevoir définitivement tant l’apprenti écrivain, qui comptait bien apprendre malgré tout ici quelque chose, que le lecteur plus intéressé par la manière de réussir sa vie. 

Ces conseils, explique encore l’autrice, ne vous épargneront ni les coups ni les blessures et il vous faudra encore apprendre à encaisser et à vous endurcir.

A moins que rien de tout cela ne vous aille finalement et que vous décidiez de rejeter ces principes, au profit d’une conception plus élevée de la littérature, comme écrivain ou comme lecteur, qui se moque du grand nombre et se garde bien de se mettre en avant.