Emmanuelle Lambert célèbre toutes les facettes de Colette, icône née en 1873, femme libre et grand écrivain, dans un beau livre richement illustré.
Nous célébrerons le 28 janvier 2023 les 150 ans de la naissance de Colette, dont le fameux récit d’enfance, Sido (1929), construit autour d’une mère adorée, sera au programme du Bac 2023, ce qui lui vaut de multiples rééditions.
Elle est l’écrivaine la plus citée par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe (1949), et il entre sans doute une part de jalousie dans le jugement de Duras, qui l’exécute en disant que Colette, c’est de « l’eau de bidet », alors qu’elle hérite « d’elle qu’elle le veuille ou non, dans le contact direct des mots et de la chair, de la voix et du désir », comme le résume Emmanuelle Lambert dans son beau parallèle inaugural.
« Moi, c’est mon corps qui pense », écrit Colette dans La Retraite sentimentale, si bien que séparer la fée de la scène qu’elle était du grand écrivain reconnu qu’elle deviendra n’a pas de sens. Vedette de music-hall, journaliste (y compris sous l’Occupation), femme d’affaires qui lance sa ligne de produits cosmétiques, première femme à recevoir en France des funérailles nationales : les différentes facettes de la vie de Colette témoignent de sa grande liberté, conquise sur le pouvoir des hommes, et de son goût personnel pour l’alliance de contraires qui chez elle n’en sont pas.
Un essai sensible, informé et passionnant
Emmanuelle Lambert propose un portrait littéraire écrit à partir de photographies réalisées par les plus grands noms du XXe siècle (Cecil Beaton, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Gisèle Freund, Irving Penn, Lee Miller) et d’archives familiales ou d’illustrations peu connues. Sur une couverture de Vu du 8 juin 1932, annonçant les « soins de beauté » Colette, on la voit elle-même prête à maquiller une cliente… ou à lui arracher une dent ? Par un autre cliché, Gisèle Freund nous invite à la table de l’écrivain et de son troisième mari, Maurice Goudeket, dans un restaurant de Deauville en 1954 ; un beau moment sensuel.
Tout le talent d’Emmanuelle Lambert, dans ce livre où elle nous invite à relire la vie libre et l’œuvre superbe d’une icône et d’une des plus grandes stylistes du siècle dernier, c’est de savoir y mêler, par touches subtiles, sa propre vie de femme, de fille et de mère, sans jamais peser ni poser, comme si la liberté de Colette avait déteint sur elle, pour le plus grand plaisir du lecteur.
Un regard lucide
Son admiration pour la grande Colette ne l’empêche pas d’être lucide sur certaines de ses compromissions pendant la Seconde Guerre mondiale, dans des pages honnêtes et riches en nuances :
« Colette a offert deux choses au régime de Vichy : la rédaction d’une dictée pour le Secours national, sa participation au prix Sully-Morland pour l’agriculture ». Elle baigne parfois « en plein cliché antisémite », comme dans Julie de Carneilhan (1941) : « Évidemment j’aurais préféré qu’elle s’en dispense, mais il me semble aussi malhonnête de faire de ce cliché l’une des constantes du rapport de Colette aux autres et à la société que de vouloir le taire », commente Emmanuelle Lambert. Cette « vieille acharnée gonzesse », comme l’appelait Céline dans sa correspondance, a, par son passé de danseuse bisexuelle et dévêtue, « vraisemblablement éloigné les services de la propagande de Vichy ».
Ce portrait littéraire passionnant, aussi informé que personnel, où la biographie se nourrit d’éclats autobiographiques, propose un parcours riche et nuancé dans la vie et l’œuvre de Colette, qu’il invite à découvrir ou redécouvrir, sans tabous ni fausse pudeur.