Le centenaire de la mort de Marcel Proust, le 18 novembre 1922, fournit à Gallimard l’occasion de publier deux beaux livres sur sa vie et son œuvre.

Le catalogue de l’exposition qui est consacrée à Proust à la Bibliothèque nationale de France jusqu’au 22 janvier se présente sous la forme d’un abécédaire. Il s’agit de la quatrième exposition de la BnF sur cet écrivain, dont elle possède plus de sept mille pages, dans le fonds Proust, désormais numérisé sur le site Gallica, ce qui le met à la disposition de tous : feuillets, carnets, manuscrits et dactylographies corrigées – sans oublier les fameuses « paperoles ». Proust craignait en effet que, les marges de ses cahiers étant pleines, les typographes ne se perdent dans les feuilles volantes qu’il aurait pu joindre à ses manuscrits. D’où ces longues bandes de papiers constituées de fragments plus petits collés bout à bout, puis à la marge supérieure ou inférieure d’une page. L’une d’elles mesure un mètre soixante !

Vie d’un homme illustrée

Pedro Corrêa Do Lago, écrivain, éditeur et ancien président de la Bibliothèque nationale du Brésil, présente dans son ouvrage, illustré par environ quatre cent cinquante documents, en grande majorité inédits, l’un des plus importants fonds privés de lettres et de photos autour de Marcel Proust. Cette nouvelle approche de l’univers proustien et cet itinéraire chronologique permettent de retracer les grands moments de la vie de l’écrivain et d’évoquer les lieux où il a vécu.

Ces pages dépeignent également les personnages les plus fascinants de l’œuvre de Proust, grâce à de nombreux documents sur les membres de son entourage qui ont pu les inspirer. On y trouve par exemple des cartes postales de Beg-Meil, où Proust séjourna avec Reynaldo Hahn en septembre-octobre 1895, ce qui fut sans doute l’un des moments les plus intenses de leur relation intime. Une lettre de Proust à son ami Robert de Billy, écrite sur deux cartes de visite, ce qui est très inhabituel dans sa correspondance, décrit l’enchantement du pays où il se trouve dans une formule qui dévoile un peu de son exaltation amoureuse :

« Cela s’appelle Beg-Meil, les pommiers y descendent jusqu’à la mer et l’odeur du cidre se mêle à celle des goémons. Ce mélange de poésie et de sensualité est assez à ma dose… »

C’est là que l’écrivain entame la rédaction de ce qui deviendra Jean Santeuil, ancêtre d’À la Recherche du temps perdu.

« Proustifier » ou « Proustique » ?

La lecture de ces deux ouvrages ravira les passionnés de Proust et de son œuvre, en leur permettant de ne pas choisir entre la vie et l’œuvre, l’approche biographique des documents et l’approche génétique des manuscrits. C’est au lycée Condorcet que Proust connut ses premiers émois pour les cousins germains Jacques Bizet et Daniel Halévy, qui refusèrent ses avances mais non son amitié :

« Convaincus de son talent, de sa culture précoce et de son extraordinaire intelligence, ils étaient cependant gênés par la franchise avec laquelle le jeune Proust exprimait ses sentiments et ses émotions, agacés également par ses attentions excessives et son extrême délicatesse, au point d’inventer pour lui le verbe “proustifier” ».

Du côté de l’étude génétique, menée magistralement par Nathalie Mauriac Dyer dans Marcel Proust. La Fabrique de l’œuvre, on trouve une entrée « Proustique ». C’est une épithète forgée par les journaux anglais, comme l’écrit Proust à son ami Horace Finaly en 1921 : « Or je crains (pour moi) que proustic et pratique ne soient pas exactement semblables. » Nathalie Mauriac Dyer commente cette crainte :

« L’humour et l’autodérision s’accompagnent de lucidité, car la complication n’est absente ni de sa correspondance ni de la plupart de ses manuscrits de travail. […] Proust appartient à l’univers des écrivains du “processus”, des expérimentateurs, auxquels on oppose, classiquement, les écrivains du “programme”, les conceptuels. […] Les expérimentateurs à la Proust tâtent de plusieurs types d’écriture et de plusieurs genres, emboîtent les projets les uns dans les autres, ne craignent pas les bifurcations ni les remises en cause. »

L’approche génétique n’empêche pas l’émotion, bien au contraire. On peut contempler dans l’exposition et son catalogue l’ « enveloppe souillée de tisane », dernier manuscrit de Proust, trace d’un vaste remontage d’Albertine disparue, dont aurait dû résulter un Sodome et Gomorrhe IV.

Espérons pour terminer que ces deux beaux livres gagneront à Proust de nouveaux lecteurs qui ne se laisseront pas impressionner par ce monument de la littérature.