Henri Tincq, journaliste au Monde pour les informations religieuses, propose ici un panorama du catholicisme, depuis son histoire jusqu'à ses positions doctrinales.

Depuis plus de vingt ans, les "infos" religieuses au Monde, c’est Henri Tincq, on le sait. Cela représente des centaines et des centaines de papiers souvent écrits à chaud qui rendirent en leur temps témoignage d’événements  (assemblée des évêques à lourdes, consistoires, conclaves), de personnalités (cardinaux, papes, notamment Jean-Paul II à qui l’auteur a consacré trois livres successifs). On retrouvera ici naturellement plus que des traces de ces contributions dans tel ou tel chapitre. Pas question donc de chicaner notre auteur sur sa connaissance du sujet. Il n’était pas question bien entendu d’écrire une énième histoire de l’Église. Il y en déjà un certain nombre, qui, anciennes (Fliche et Martin, Daniel Rops) ou plus récentes (au Seuil ou chez Desclée de Brouwer par exemple) n’ont pas fini de rendre service. Il s’agit bien plutôt ici d’une photographie, doublée souvent d’un diagnostic de l’état actuel du catholicisme romain.

La construction du livre est séduisante : huit gros chapitres, aux titres aussi laconiques que bien choisis ("Mémoire", "Pouvoir", "Doctrine", "Morale", etc). C’est de Rome évidemment, et de la place Saint Pierre même, que l’auteur nous invite à partir pour ce parcours. De fait, c’est bien là, "la plus grandiose des scènes de théâtre jamais inventées"   , de cette basilique immense et de la fameuse colonnade du Bernin que commence son évocation de la papauté, évidemment, d'hier et d'aujourd’hui.

L’historien sera plus réservé sur le chapitre suivant : certes l’auteur distingue bien "les pages d’ombre et de lumière", mais ce panorama de quinze siècles (et un peu plus si l’on remonte à Constantin, voire à Pierre et Paul…), semés d’hérésies, de schismes, de croisades, d’inquisition, de Papes Borgia et autres, de réformes, réussies ou avortées, ne pouvait décidément être ici autre chose  qu’un compendium, qui ne peut que  laisser le spécialiste sur sa faim.

Bien plus utile sera sans nul doute à beaucoup de lecteurs la description suivante des rouages et des hommes qui assurent le gouvernement central de l’Église romaine (et "central" s’impose encore et toujours, car malgré Vatican II, que notre auteur aime bien, on le sent, il cite Lumen gentium et bien d’autres "Constitutions") : conclave, cardinaux, congrégations ou dicastères, secrétariat d’État et substitut, diplomatie pontificale, tout est ici passé en revue, et souvent assez heureusement.

Les deux chapitres qui suivent étaient probablement les plus difficiles à écrire ("Doctrine" et "Morale" : il y aurait fallu un historien et un théologien). "Ce fut un", vous connaissez la suite, n’est-ce pas ? Non, vraiment, trop d’à-peu-près ici, sur Marie (l’auteur risque même   le terme dangereux de "symbole"), sur le rationalisme (en oubliant par trop Giordano Bruno, Laurent Valla, et Érasme, excusez du peu ). Il se rachète en mentionnant tout de même   quelques théologiens récemment sanctionnés (mais il y en a d’autres). Le chapitre "Morale" était pour le journaliste qu’est l’auteur plus facile. Il l’ouvre d’ailleurs sur les propos – ô combien provocateurs – de l’ineffable Rocco Buttiglione en octobre 2004 devant le Parlement européen.

Suit l’énumération des prises de position romaines sur l’avortement, l’euthanasie, la procréation assistée, les manipulations génétiques, etc. L’auteur ne cache pas bien sûr que c’est là que se situe le fossé, qui se creuse, entre les prises de position doctrinales romaines et l’évolution des sciences et des mœurs. Là est bien le "porte-à-faux" majeur : et force est de constater que Rome (mais est-ce encore, et partout, "les catholiques" ?) est plus forte pour évoquer la clause de conscience contre législateurs et médecins que contre ceux qui, par la guerre tuent aussi allègrement des innocents.

Débarrassé, si l’on peut dire, de l’embryon ou de l’homosexuel, l’auteur est soudain plus à l’aise quand il évoque l’évolution de la "doctrine sociale" de l’Église: certes, plus d’une page de Rerum novarum   a gardé toute son actualité. Quadragesimo anno de ce pape méconnu, Pie XI, et puis Pacem in terris de Jean XXIII, Populorum progressio de Paul VI (trop méconnu lui aussi, "squizzé" diraient les bridgeurs), sans parler da la fameuse Lettre au cardinal Roy, trop oubliée aujourd’hui. Oui, certes, mais à côté de cela , que de prises de positions du CELAM, de don Helder Camara, du cardinal Arns   . L’auteur rappelle très honnêtement qu’Oscar Romero paya de sa vie en 1980 son engagement au service des plus démunis. C’était pourtant l’engagement du "bon Pape Jean", non ? De ses successeurs ? Aucun n’a atterri au Salvador depuis…

Il est temps de conclure. Des erreurs, des à-peu-près, certains inacceptables, question de rigueur. Qui était la "princesse Mathilde en Toscane"   ? Innocent II comparé à Richelieu   . Sur les Croisades l’auteur aurait bien dû jeter un coup d’œil chez les regrettés Dupront et Delaruelle, entre autres. Quant à ses pages sur les hérésies   , elles auraient besoin, disons, d’un rajeunissement, pour le moins, qu’auraient pu leur fournir Jean-Louis Biget, entre autres (voir les précédents). Quant à l’étymologie du mot "conclave", l’auteur aurait dû ouvrir notre vieux Gaffiot : elle est latine, et non italienne comme il l’écrit imprudemment, même si, à Rome, c’est vrai, on le crut, bien plus tard, etc. Quel drame que d‘avoir su un peu de latin!

Alors, ce livre ? Utile (on dit toujours cela dans les fins de compte-rendus, pour ne pas être désobligeant) ? Aux non chrétiens ? Peut-être. Aux ignorants du catholicisme et qui s‘en f… éperdument ?  Sûrement pas. Il irritera peut-être "nos frères séparés". Il se peut même que le chapitre VII ("Tribus") cabre plus d‘un "traditionnaliste". Les autres ? Ceux qui n‘ont pas oublié les grands textes de Vatican II  aujourd‘hui mis "sous le boisseau" par le Pontife régnant, ceux qui ont lu le Père Guttierez, Léonardo Boff, sans parler de Scillebeck ou de Drewerman, qui trouvent que la disparition du dialogue œcuménique a laissé place au  fâcheux discours de Ratisbonne, ceux-là se sentiront-ils encore concernés par… le titre, au moins ? Et là est bien le drame : rappelez-vous le grand, très grand texte (entre tant d‘autres) de Jean Delumeau : Le christianisme va-t-il mourir ? Bien sûr, il y a  l'Inde et le Vietnam, les Philippines et l'Amérique du sud. Mais on extermine en ce moment même les chrétiens chaldéens, demain les maronites… Alors ?


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