Les Lettres à Horace Finaly, un ami de Lycée, donnent à découvrir la jeunesse mal connue du grand écrivain ou ses relations compliquées avec son secrétaire Henri Rochat, modèle d'Albertine.

Jusque-là, des lettres que Proust a envoyées à celui qui allait devenir l’un des grands banquiers de la Troisième République, aucune n’était connue. D’où l’intérêt de cette correspondance inédite qui date de la fin de la vie de Proust, à un moment où des liens se resserrent entre eux.

Découvrir Finaly, enfin !

Horace Finaly connaît une jeunesse dissipée — il a notamment avec la danseuse Valti une liaison qui constituera l’un des modèles de liaison avec une artiste dans la Recherche. Puis, au début de la guerre, il épouse, contre l’avis de sa mère, une veuve, Marguerite Pompée. La mort brutale de celle-ci en 1922 le laisse inconsolable. Il édite un livre qu’elle avait écrit, adopte le fils qu’elle avait eu d’un premier mariage et jure qu’il ne se remariera pas. Les heures qu’il passe dans le mausolée qu’il a fait ériger pour elle serviront de modèle à Giraudoux pour le personnage du banquier veuf Moïse dans le roman Bella.

Proust et Finaly se reportent souvent par le souvenir à la période où s’est nouée leur amitié, au lycée Condorcet. Dans les photographies insérées dans ce beau livre se constate la proximité entre Marcel et Horace, mais apparaît aussi Alphonse Darlu, le professeur de philosophie qui aura une influence si profonde sur la pensée de Proust. Ce dernier est toujours demeuré fidèle au milieu intellectuel où il s’était formé et qui lui a permis de s’introduire dans les salons où son esprit a brillé. C’est avec ses amis de lycée qu’il fonde en 1890 la revue Le Banquet, dont Finaly est le trésorier.

Une amitié au long cours

Ces lettres apprennent beaucoup sur les années de jeunesse de Proust : séjour à Ostende, excursion à Douvres, relations avec les parents d’Horace. Il fréquente autant Horace que sa sœur Mary (dont il aime les yeux baudelairiens), sa mère Jenny, ou son grand-oncle Horace de Landau. Dans ces lettres « de vieillesse », il se plaît à évoquer cette époque avec Finaly, en écho à sa formule : « Rien du passé n’est perdu pour moi. »

Nous apprenons ainsi qu’ils se sont rendus par bateau en Angleterre. On ignorait tout de cette excursion burlesque jusqu’à la découverte de la lettre qui la raconte : « C’est pourtant la seule chose qui me permettrait de dire à mes lecteurs anglais que je suis allé une fois “en Angleterre” si je répondais jamais à leurs lettres », écrit Proust.

Les lettres que les deux hommes échangent montrent surtout l’amitié dans ses œuvres : les condoléances de Proust à Finaly lorsque celui-ci a le malheur de perdre son épouse sont un modèle du genre. Les lettres de Robert Proust à Horace, qui complètent cette correspondance, sont également intéressantes : elles révèlent l’affection que se portaient les deux frères, et la fidélité du banquier à la mémoire de l’écrivain, après sa mort, puisqu’il va jusqu’à mobiliser le préfet de la Seine et le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts pour qu’une artère de Paris soit baptisée du nom de Marcel Proust. Preuve s’il en fallait que cette amitié de jeunesse n’eut rien d’éphémère.

Henri Rochat, le troisième homme

Néanmoins, l’intérêt essentiel de cette correspondance tient à la tragi-comédie que vit l’auteur de la Recherche avec son secrétaire et ami Henri Rochat, ancien serviteur au Ritz qui vit chez lui et à ses crochets de 1919 à 1921. Proust ne sait comment se débarrasser de lui. Et il fait appel à Finaly pour expédier ce modèle d’Albertine au Brésil comme employé d’agence de sa Banque, où il sera des plus indélicats.

Proust tente de sortir comme il peut de cet imbroglio. Comme toujours dans ses lettres, il cultive la délicatesse de l’euphémisme. Mais il peut parfois être sensible et cruel à la fois. À propos de Rochat, il écrit ainsi : « Il fait partie de cette catégorie d’êtres qu’on ne peut pas livrer à eux-mêmes complètement. On fait leur malheur et le malheur d’autres qui n’y sont pour rien, en leur donnant une liberté funeste. C’est pourquoi je le cloîtrais chez moi. »

Cette épreuve, cependant, fournit aussi belle preuve de l’amitié que Finaly portait à Proust, puisque cet homme qui sera de toutes les grandes affaires bancaires de l’entre-deux-guerres ne dédaigna pas de s’occuper de cet incident si insignifiant en regard des grands intérêts dont il s’occupait.