Le retour d'expérience de deux professeurs de Drancy qui insistent sur la mobilisation des élèves et l'alliance parents-professeurs pour leur permettre de réussir.

Jérémie Fontanieu, jeune professeur de sciences économiques et sociales en Lycée, vient de faire paraître un livre, L'école de la reconciliation (LLL, 2022) qui présente la méthode d'enseignement qu'il a élaborée et mise en pratique avec un collègue à Drancy, avec des résultats assez spectaculaires. Il répond ici à nos questions.

Nonfiction : L’éducation est un domaine où la France se classe particulièrement mal par rapport aux autres pays, notamment en matière d’inégalités. Faire évoluer les manières de faire classe pourrait être l’un des moyens pour essayer de remédier à cette situation, mais jusqu’ici les pistes avancées ont, semble-t-il, été peu probantes. Vous venez de faire paraître un livre qui présente la méthode que vous avez vous-mêmes élaborée et testée. Il s’agit d’obtenir des élèves qui ne disposent pas d’un fort capital culturel qu’ils se livrent à un travail personnel plus important et s’astreignent tout spécialement à des révisions régulières. Pourriez-vous présenter les différents dispositifs qui la constituent ?

Jérémie Fontanieu : Dans les quartiers populaires comme à Drancy, les élèves disposent en effet de peu de « facilités scolaires ». Pour de nombreuses raisons — d’abord et avant tout sociales —, les enfants et adolescents ne sont pas particulièrement à l’aise avec l’école et les nombreuses tâches qu’ils doivent y effectuer. C’est, pour le dire rapidement, la conséquence douloureuse de la massification scolaire : en quelques décennies, l’école en France s’est ouverte à des catégories sociales qui semblaient ne pas avoir vocation à aller jusqu’au baccalauréat. Cet accueil de nombreux enfants d’ouvriers et d’employés est formidable d’un point de vue social, mais c’est comme si l’école fonctionnait toujours comme à l’époque où les études supérieures étaient réservées à une élite (en 1960, le taux de bacheliers par génération était de l'ordre de 10 %) : pour beaucoup d’élèves de quartiers populaires, il y a l’impression tenace qu’ils ne sont pas faits pour l’école, alors que c’est plutôt l’école, aujourd’hui en France, qui n’est pas faite pour eux.

Concrètement, au quotidien, cette frustration des élèves se traduit par un manque de bonne volonté scolaire : retards fréquents, manque d’assiduité, concentration inégale en classe, efforts limités, absence de révisions à la maison, etc. Tous les professeurs, à Drancy comme ailleurs, s’évertuent de trouver des solutions face à cet enthousiasme particulièrement limité des enfants et adolescents. Par le hasard, la chance et un certain nombre de rencontres heureuses, mon collègue de mathématiques David Benoit et moi-même avons à partir de 2012 développé une méthode qui s’est avérée produire de formidables résultats : depuis 2017, plus un seul élève des « classes Réconciliations » (le nom de l’expérimentation pédagogique) n’a échoué au baccalauréat, décroché en cours d’année ni subi son orientation. L’échec scolaire a disparu, ce qui est d’autant plus frappant que l’établissement scolaire qui est le nôtre est marqué par de grandes difficultés chez les élèves comme chez les adultes. 

La méthode que nous avons formalisée au bout de quelques années est composée de plusieurs piliers : une forme de mise à distance avec les élèves (refus de familiarité, recours à des punitions lorsque les élèves commettent de petites erreurs qui gâchent leur potentiel comme des pannes de réveil ou des oublis de matériel), des évaluations régulières (utilisation récurrente des QCM, qui ont une fonction à la fois ludique et rituelle pour les élèves), et surtout, une alliance avec les familles. Les parents, grands frères et grandes sœurs ayant une influence et une autorité beaucoup plus forte que les enseignants, la mise en place d’un partenariat avec cet acteur habituellement peu sollicité par les enseignants nous renforce considérablement d’un point de vue pédagogique. En impliquant les familles dans un suivi régulier de la scolarité de leurs enfants, nous faisons en sorte de ne plus avoir à « courir après » les élèves et pouvons enfin pratiquer notre profession.

Vous détaillez peu, dans votre ouvrage, le contenu ou la forme que prend votre enseignement. On croit comprendre, à vous lire, que vous insistez dans vos cours sur des notions que les élèves doivent assimiler, ce que les QCM serviront à évaluer… Pourriez-vous en dire un mot et préciser comment vous opérez cette décomposition, et aussi comment vous réussissez alors à concilier la répétition et la progression dans vos cours ?

Mon collègue comme moi-même n’enseignons pas de manière particulièrement originale : en SES comme en histoire-géographie, tous les professeurs de France transmettent un certain nombre de connaissances à leurs élèves. Ce sont des formules parfois, dans les matières scientifiques, ou bien des règles grammaticales en langues vivantes ; mais nous nous efforçons tous, en tant que professeurs, de faire grandir la culture de nos classes. Ce n’est donc pas tant dans la pédagogie, du côté des professeurs, que nos classes tranchent de façon radicale avec celles que nous avions il y a quelques années. Même si les années d’expérience nous ont forcément poussés à faire évoluer la manière d’enseigner, nous n’avons pas transformé nos manières de faire contrairement à certains collègues qui se lancent dans des expérimentations bien plus ambitieuses que les nôtres.

Dans notre méthode, il y a la conviction ferme que nous, enseignants, sommes absolument compétents : si les élèves suivaient nos indications, ils progresseraient tous ! Cela peut paraître étrange ainsi résumé, mais les acteurs extérieurs à l’école n’ont pas idée de l’impact que le manque de bonne volonté peut avoir sur la réussite scolaire des élèves. À Drancy comme ailleurs, c’est avant tout parce que les élèves n’arrivent pas assez à l’heure en classe, bavardent, baissent trop rapidement les bras, se désintéressent et ne révisent pas à la maison que nos séances piétinent. Nous ne leur en voulons pas, d’ailleurs, car les raisons qui poussent enfants et adolescents de quartiers populaires à ne pas faire les efforts sont nombreuses : manque de confiance en eux, intériorisation du mépris social et du racisme, flemme, peur du regard des autres, absence de modèles valorisant le travail scolaire, etc. Quand Kery James proclamait il y a 15 ans que les enfants de classes populaires ne sont pas condamnés à l’échec, c’était justement parce que tout semblait aller dans le sens contraire ! Les difficultés, à l’école, sont si nombreuses, qu’il semble presque logique que nos élèves deviennent si rapidement fatalistes.

Cette résignation est malheureuse, mais elle est profitable sur le court terme : les élèves se disent que faire de gros efforts scolaires est inutile, et donc que passer plusieurs dizaines d’heures par semaine sur les réseaux sociaux n’est pas problématique… Ainsi, ce n’est pas tant du côté des enseignants que nos cours se distinguent. Nous préparons nos cours avec la même attention, le même soin et le même sérieux que tous nos collègues. En revanche, les élèves, eux, font beaucoup moins les petites bêtises qui paralysent habituellement leur potentiel scolaire : ils arrivent à l’heure, avec leurs affaires, se concentrent réellement, ne bavardent pas, s’appliquent sur le travail, persévèrent, etc. Grâce au soutien des parents, qui ne manquent pas de rappeler à la maison les mots d’ordre qui sont ceux de tous les enseignants (« attention, il y a un temps pour rigoler et un temps pour travailler », « les profs sont là pour te tirer vers le haut et pas pour t’embêter », etc.), les élèves se mettent dans des dispositions qui nous permettent d’exploiter pleinement le potentiel pédagogique de séances qui, hier, s’effondraient malgré nous. Pour utiliser une image sportive, on dit parfois qu’un beau match nécessite deux équipes de haut niveau : un « beau » cours ne peut pas avoir lieu s’il n’y a que les enseignants qui donnent vraiment de leur personne. À Drancy, les élèves font beaucoup plus d’efforts grâce à l’alliance avec les familles.

Vous insistez beaucoup sur le travail personnel des élèves, mais livrez peu d’informations sur la forme que celui-ci est censé prendre, si ce n’est le fait qu’ils doivent relire leurs notes. Là aussi, pourriez-vous détailler un peu les différentes opérations auxquelles ceux-ci doivent se livrer ? Leur donnez-vous des conseils sur ce plan ?

Le travail personnel que je demande aux élèves de fournir n’est pas particulièrement original : en classe, il faut qu’ils soient concentrés, s’efforcent de comprendre ce dont on parle, me posent des questions si ce n’est pas le cas, prennent des notes. Ces efforts-là sont ceux qui sont attendus dans toutes les matières, que tous les enseignants attendent des enfants ou des adolescents. Si j’ai une petite particularité, c’est celle de ne pas donner d’exercices à faire à la maison parce que je considère que tout le travail, en SES, doit être fait en classe ensemble (avec le cours dialogué, auquel j’ai beaucoup recours, nous « construisons » les séances ensemble). En revanche, je demande aux élèves de faire des relectures régulières : 15 minutes par semaine en Seconde, 30 minutes par jour en Terminale. La plupart des lycéens de Drancy n’ont pas de facilités particulières pour retenir ce qui est vu en classe, et c’est seulement avec plusieurs révisions que les connaissances du cours deviennent les leurs et qu’ils deviennent donc capables de les mobiliser et les restituer le jour de l’évaluation (contrôle ou bac blanc, épreuve du bac). 

Comment mesure-t-on le résultat de votre méthode pédagogique dans cet autre exercice scolaire qu’est la rédaction ?

Lors du baccalauréat, la grande majorité des copies que mes collègues et moi corrigeons sont superficielles : elles témoignent de connaissances approximatives, sont truffées de confusions, d’oublis, sont trop courtes, etc. Avec les évaluations hebdomadaires sous la forme de QCM, dès la première semaine de l’année, et l’alliance entre parents et professeurs, les élèves sortent vite de la posture passive et du fatalisme qui caractérisait jusqu’alors leur rapport aux études : ils ne font plus les petites erreurs dont on a déjà parlé, et surtout ils adoptent une attitude plus active en classe comme à la maison. D’abord « forcés » à faire plus d’efforts, par crainte d’être grondés par le professeur et la famille, ils prennent conscience de la vertu de ceux-là : ils comprennent qu’un travail bâclé est de moindre qualité qu’un travail appliqué, ils réalisent qu’ils sont beaucoup plus capables de comprendre le cours lorsqu’ils se concentrent réellement, ils se rendent compte qu’à force de relire leur cahier, leurs connaissances s’affirment de plus en plus et que cela leur fait gagner en confiance vis-à-vis des tâches intellectuelles attendues d’eux en classe.

Bientôt, les notes en progrès viennent objectiver les satisfactions intimes relatives à une plus grande assiduité (« cela fait un mois que je n’ai pas manqué de cours ! »), une plus grande ponctualité (« cela fait une semaine que je n’ai pas été en retard en classe ! »), etc. De là provient un déclic : contrairement à ce dont ils étaient persuadés, les élèves ne sont pas des incapables ou des bons à rien ; contrairement à ce qu’ils croyaient, leurs résultats ne dépendent pas complètement d’un « niveau » fixé par la nature ou le destin mais des efforts réalisés. Intériorisant petit à petit l’idée fondamentale que les efforts paient, les élèves deviennent les acteurs de leur scolarité. Ainsi, à force de révisions, leurs connaissances deviennent bien plus précises et les QCM un obstacle qu’ils parviennent à surmonter après un peu d’entraînement.

Lorsque vient l’épreuve de la rédaction, les élèves ont fait le plus dur : en rompant avec « la glande », ils ont augmenté considérablement leurs connaissances et les copies le montrent de façon parfaitement logique. L’épreuve de la rédaction est particulière, parce qu’elle implique un rapport à la langue française qui n’est pas simple pour beaucoup d’adolescents à Drancy, mais à partir du moment où les élèves ne subissent plus et deviennent déterminés, ils font des progrès extraordinaires — y compris dans la rédaction, donc.

Cette méthode pourrait-elle se généraliser ou sinon comment faut-il envisager son développement ?

Notre méthode ne doit absolument pas être généralisée, et ce pour plusieurs raisons. Il ne faut tout d’abord pas oublier qu’il existe un nombre immense de façons de faire réussir les élèves. De la même façon qu’éduquer un enfant peut se faire de mille manières différentes, nous sommes persuadés qu’il n’existe pas de « recette magique » en pédagogie. Ce qui est certain, c’est que la méthode élaborée fonctionne de façon formidable. Ainsi, tous les professeurs qui souhaitent s’en inspirer peuvent le faire et je les invite à me contacter afin de leur transmettre les outils que nous avons confectionnés à leur destination (petit guide pour se lancer, vidéos « tuto », groupe Facebook sur lequel s’épaulent et s’encouragent les collègues ayant rejoint le projet   ). Les résultats extraordinaires des élèves, à Drancy, ne doivent pas faire oublier qu’il existe bien d’autres méthodes partout en France, élaborées par des collègues quotidiennement sur le terrain comme nous le sommes nous-mêmes.

Par ailleurs, la liberté pédagogique est quelque chose de fondamental : en France, bien que les programmes scolaires soient imposés par le ministère, chaque professeur reste libre de créer les cours comme il le souhaite. C’est justement cette souplesse qui nous a permis, à David et moi, de créer avec les élèves et leurs familles les outils qui se sont avérés si efficaces : il ne faut donc absolument pas voir notre méthode comme un modèle ou quelque chose d’imposé. Non seulement une approche normative de notre projet serait irrespectueuse de cette liberté pédagogique, non seulement elle insulte la complexité de cet art magnifique qu’est la pédagogie, donc, mais elle serait parfaitement inefficace : si, demain, tous les professeurs devaient envoyer des SMS hebdomadaires aux parents d’élèves comme nous le faisons, cela ne produirait aucunement les effets que nous observons à Drancy comme dans les autres « classes-Réconciliations » aujourd’hui un peu partout en France, car les outils (comme les SMS) n’existent pas de façon indépendante d'un certain état d’esprit, d'une certaine vision du métier, qui est parfaitement subjective et que partagent tous ceux qui se lancent dans cette aventure pédagogique. 

Surtout, l’expérience nous a montré et continue de montrer que les élèves étendent eux-mêmes aux autres matières les efforts qu’ils limitent d’abord aux nôtres. En SES comme en mathématiques, les exigences que s’approprient les adolescents fonctionnent partout ailleurs : le fait de ne plus être passif vis-à-vis du cours, la ponctualité, la rigueur, les révisions régulières relèvent d’habitudes d'un travail et d’une méthodologie que tous les professeurs cherchent à insuffler à leurs élèves. Les matières et les pédagogies diffèrent, mais l’essentiel de ce que les enseignants transmettent aux enfants réside dans leur rapport au travail, à eux-mêmes et au monde : dans cette optique, il n’y a pas de disciplines ou de niveaux qui sont plus susceptibles que d'autres de connaître le succès que nos classes connaissent depuis plusieurs années. 

D’ailleurs, durant l’année scolaire 2021-2022, une dizaine de professeurs partout en France avaient repris la méthode ; durant l’année scolaire 2022-2023, ils sont 80. Parmi eux, on retrouve aussi bien des professeurs des écoles (maternelle ou élémentaire) que du secondaire (collège, lycée général et technologique, lycée professionnel) et du supérieur (BTS) : par-delà la diversité des matières, des niveaux et des contextes géographiques, sociaux et culturels, tous souffraient du manque d’efforts des élèves et du spectacle rageant d’enfants ou adolescents ne s’investissant pas dans leur scolarité et gâchant leur potentiel comme celui des adultes qui les entourent. L’essentiel, dans les études, ne relève pas tellement des savoirs disciplinaires. Comme je le dis aux élèves, j’avais moi-même perdu bien des connaissances quelques mois à peine après avoir passé le concours pour devenir enseignant : ce qui importe n’est pas tant ce que j’avais appris que ma capacité à m’organiser et à faire preuve d’autonomie. L'essentiel, donc, ce sont les éléments qui permettent aux adultes de demain de croire en eux (dignité, estime de soi, confiance en soi) et de se battre pour obtenir ce dont ils rêvent (méthodes de travail, patience et courage).

Vous rappelez la grande liberté dont peut disposer un enseignant dans ses cours. Pourriez-vous revenir sur sa signification ? Constitue-t-elle un obstacle s’agissant de promouvoir des méthodes efficaces ? Et comment avez-vous vous-mêmes entrepris de faire connaître cette méthode ?

Notre liberté pédagogique est essentielle, en effet, et au vu de la violence que notre profession subit (sous-rémunérations, dégradation des conditions de travail, gestion des ressources humaines catastrophique, « prof-bashing », etc.), il s’agit d’un minimum auquel nous nous accrochons : au moins, face aux élèves, nous pouvons travailler à partir des bases qui nous semblent subjectivement bonnes. Même si l’institution peut rogner sur celle-ci (du fait de personnels de direction intrusifs ou bien plus souvent de la forte densité des programmes officiels), la liberté pédagogique reste préservée aujourd’hui en France et pouvoir composer nos cours comme nous le souhaitons est une consolation face au reste.

Cela étant, je n’ai pas le sentiment qu’il est difficile de promouvoir des méthodes qui fonctionnent : si, à Drancy, mon collègue et moi avons pendant des années tenu « secret » les outils qui étaient les nôtres, c’est simplement parce que nous ne voulions pas pécher par précipitation. À nos yeux, dix ans d’expérimentation constituaient une temporalité nécessaire pour à la fois formaliser la méthode qui est la nôtre, et obtenir des résultats suffisamment substantiels. Une fois que nous l’avons souhaité, il n’a pas été difficile de faire en sorte que les médias donnent un écho aux réussites formidables des élèves du projet : à force d’insister par mail, les journalistes ont fini par nous accorder un petit peu d’attention (c’est d’autant plus le cas depuis quelques semaines, puisqu'une attaché-presse travaille pour l’éditeur du livre).

Pour faire connaître notre méthode, nous avons souhaité passer par les médias grands publics plutôt que par l’institution dans la mesure où celle-ci ne nous inspire pas une grande confiance. Beaucoup d’enseignants se forment de façon régulière grâce aux Plans Académiques de Formation, par exemple, mais mon collègue et moi le faisons peu même si dans quelques années le projet devrait faire l’objet d’une formation de ce type (j’ai moi-même suivi l’an dernier une formation pour devenir formateur). Autrement dit, nous adoptons la même stratégie pour l’élaboration de la méthode, entre 2012 et 2022, que pour sa diffusion, entre 2022 et 2032 ou 2042 : nous improvisons, utilisant les moyens du bord (mails envoyés aux journalistes, création des outils transmis aux collègues qui nous rejoignent) et constatant pragmatiquement que cela avance petit à petit. Le fait que tous les collègues qui se lancent connaissent la même « libération » vis-à-vis du sentiment d’impuissance que nous est une source considérable de joie et d’inspiration.

Votre expérience vous a-t-elle donné envie de vous informer des méthodes nouvelles que l’Éducation nationale cherche à promouvoir (si c’est le cas), et si oui quelle appréciation en tirez-vous ? Quelles sont vos relations avec l’institution ?

Nous ne sommes pas partisans du moindre effort, mais après avoir mis plusieurs années pour élaborer une méthode qui a mis fin à l’échec scolaire dans nos classes, nous ne ressentons pas pour le moment le besoin urgent de nous renouveler : le déroulement désormais classique de l’année scolaire — élèves frustrés en début d’année par l’alliance parents-profs, mise au travail, progrès, déclic puis décollage — est simplement formidable et nous accueillons de nombreux collègues qui viennent assister à nos cours à Drancy afin d’assister à ce spectacle vivifiant.

Cela étant dit, la première chose que nous disons aux professeurs intéressés par le travail avec les familles et qui nous contactent est la suivante : les outils élaborés à Drancy sont absolument universels et fonctionnent pour tous les niveaux ou les contextes — nous en avons la preuve depuis l’an dernier —, mais dans le même temps ils sont aussi bien spécifiques aux quartiers populaires dans lesquels ils ont été conçus, à un public lycéen, et ils reflétent nos personnalités subjectives. Autrement dit, chaque enseignant qui rejoint le projet doit impérativement se l’approprier. Au fond, il existe autant de « méthode Réconciliations » que de collègues aujourd’hui dans le collectif. Chacun et chacune portant une histoire différente, un rapport aux élèves différent et une conception du métier différente, les pédagogies sont extraordinairement diversifiées et rares sont les collègues reprenant, en plus du travail central avec les familles, tous les outils drancéens (mise à distance des élèves et évaluations hebdomadaires sous la forme de QCM).

Les échanges réguliers et bienveillants entre nous, les visites mutuelles et l’émulation intellectuelle qui naît de la mise en parallèle de nos pratiques sont extraordinairement enrichissants d’un point de vue humain, intellectuel, pédagogique et philosophique. Ainsi, sur ce point comme pour le reste, nous avançons de notre côté, sans acrimonie à l’égard de l’institution vis-à-vis de laquelle nous nous tenons à une distance certaine, en nous focalisant plutôt sur le cœur de notre métier (la relation avec les élèves) et sur l’entraide avec des pairs partageant quelques convictions communes (la coopération avec les familles pour sortir de l’impuissance).