Un ouvrage décevant sur les réponses et stratégies des acteurs internationaux face à la puissance américaine.

Stephen Walt, spécialiste des relations internationales à la Harvard Kennedy School, signe ici un livre très décevant. Alors qu’il avait co-écrit avec John Mearsheimer un ouvrage brillant et novateur montrant que la politique étrangère américaine ne servait pas toujours ses "intérêts vitaux propres" en suivant la voie israélienne, il expose ici une analyse très mécanique et stéréotypée. Il se livre ainsi, sans grand intérêt, à un inventaire des stratégies d’opposition et de soutien dont disposent les nombreux Etats du système international, sans réel apport majeur pour les sciences sociales. Au final, si ce livre traite un thème intéressant, il reste peu novateur et assez ennuyeux à lire.

Pourquoi le monde n’aime plus les Etats-Unis ? s’inscrit dans un contexte post-guerre froide, qui a modifié de nombreuses caractéristiques clés de la politique mondiale sans affecter pour autant la nature du système international. Reprenant les théories réalistes classique, Walt estime que les États vivent toujours dans l’anarchie. Chaque pays doit en particulier pourvoir de son mieux à sa sécurité. Ils sont de fait enclins à s’inquiéter lorsque l’un d’eux devient plus puissant. Dans cette tradition, les États-Unis s’opposent résolument à tout État qui menace leur hégémonie.

Ce livre met en exergue une question clé : que faire de la puissance dans un moment "unipolaire" ? En effet, la fin de la guerre froide repose cette question de manière précise, puisque l’endiguement de l’URSS était un moyen, non contesté, pour les États-Unis d’affirmer leur puissance.

Walt estime qu’il n’y a pas aux États-Unis de consensus sur la manière dont ils doivent user de leur puissance inégalée afin de promouvoir leurs intérêts propres mais aussi pour le bien-être de l’humanité. Toute tentative de concevoir une politique étrangère efficace pour les États-Unis doit prendre en compte les stratégies de leurs alliés en même temps que celle de leurs ennemis. Toute la problématique du livre est de montrer que les États-Unis, pour conserver leur primauté, doivent convaincre le reste du monde que celle-ci est préférable à toute autre solution.


Retour sur les origines de la puissance américaine

Le chapitre 1 décrit la position dominante des États-Unis et énumère les diverses manières dont les américains ont usé de leur puissance depuis la fin de la guerre froide.

Walt estime que cette domination sans précédent historique sert une volonté de remodeler le monde en fonction des valeurs et intérêts américains. Dans la définition que Walt donne aux intérêts américains, il ne se contente pas d’une approche purement militaire mais insiste aussi sur la dimension économique et commerciale. En plus de modeler l’économie internationale, la tentative des États-Unis de façonner un ordre mondial qui leur soit favorable comprend un effort continu pour promouvoir les idéaux américains de démocratie et de Droits de l’homme.

Walt liste ensuite les fondements de la puissance américaine : domination économique, culturelle et la suprématie militaire. Ces explications relatives à la primauté américaine sont très classiques, puisque renvoient très largement à la distinction qu’en a fait le Professeur J. Nye entre le "hard et le soft power".

Après la chute de l’URSS, il fut décidé que la prééminence américaine serait maintenue par des efforts d’armement, de modernisation de ces derniers, et par la limitation de la prolifération des armes de destruction massive. L’auteur montre que les administrations Bush père et Clinton étaient conservatrices, traditionnelles, c’est-à-dire qu’elles cherchaient à améliorer la position des États-Unis dans le monde tout en préservant les alliances classiques, les engagements institutionnels et une approche multilatérale.

En éradiquant préventivement toute menace potentielle, le président actuel a opéré une rupture totale dans l’utilisation du recours à la force. La stratégie de sécurité nationale appelait en particulier à une "action par anticipation pour nous défendre, même si demeure une incertitude sur le moment et le lieu de l’attaque ennemie".


Les racines du ressentiment

Le chapitre 2 explore le large fossé qui sépare la perception qu’ont les États-Unis de leur rôle dans le monde et la manière dont ce rôle est perçu à l’étranger. En effet, les Américains ont une vision pleine d’autosatisfaction du rôle mondial qu’ils doivent exercer. Cette vision est souvent reprise par les intellectuels et les médias, et renforce la perception du rôle historique des Américains pour le bien, la liberté. Ceci conduit la population, mais aussi les dirigeants, à écarter la possibilité que les autres États puissent percevoir la puissance américaine comme préoccupante ou menaçante. L’anti-américanisme est une conséquence inévitable de la domination américaine. Beaucoup de penseurs, de Bernard Lewis à William Kristol, pensent que l’extrémisme anti-américain est avant tout une réaction à la perception des humiliations vécues par certains États et par leurs propres faiblesses.

À l’inverse, Walt estime que l’hostilité à l’égard de l’Amérique est plus une réaction vis-à-vis de la politique étrangère américaine actuelle que vis-à-vis de la puissance et des idées et valeurs américaines. Ainsi, les Américains sont attaqués pour partie en raison de leur politique au Moyen Orient et leur soutien indéfectible à Israël. Le déclin sensible du taux d'approbation de la politique étrangère américaine par les Américains coïncide avec l’accroissement de l’unilatéralisme de la politique étrangère américaine actuelle (non-signature du protocole de Kyoto, non-ratification de la CPI…)


Etat des lieux des stratégies d’opposition et de résistance face à la primauté américaine

Walt envisage dans un troisième temps les différentes stratégies qu’emploient les États s’ils jugent nécessaire ou souhaitable de s’opposer à la prééminence américaine. Si la politique étrangère américaine est partagée et perçue comme légitime par de nombreux États, alors les États-Unis évolueront dans un environnement international relativement permissif. À l’inverse, si la politique étrangère américaine est perçue comme illégitime, la stratégie d’évolution américaine sera fortement ralentie et contrariée par la résistance d’autres États.

Walt montre qu’il est important que les États-Unis puisse diffuser la "pax americana" dans le plus grand nombre d’États. Certains pays, comme la Russie, s’opposent à la primauté américaine au nom d’un ordre international multipolaire. D’autres pays sont plus enclins à contester la puissance américaine dès lors que cette dernière est mobilisée ailleurs. Par exemple, lorsqu’en 2003 la Corée du Nord relance son programme nucléaire, elle présuppose que les États-Unis, occupés en Irak, n’interviendront pas sur deux champs de bataille en même temps.

En outre, les théoriciens réalistes estiment que les États répondent au déséquilibre de puissance en trouvant un équilibre contre le pays dominant : c’est ce que Walt appelle "la mise en équilibre". Mais en pratique, les équilibres anti-américains restent virtuels, peu puissants et peu structurés. L’Europe a essayé de s’unir après le début de la guerre en Irak, sans y parvenir. L’opposition aux États-Unis est constituée en réalité d’une coalition de groupes non-étatiques terroristes et de puissances mineures et isolées (Cuba, Corée du Nord…).

Face à la politique étrangère actuelle, les autres États ont cherché, de manière plus systématique, une mise en équilibre. Sa version dure met l’accent sur l’équilibre global du pouvoir et cherche à constituer une alliance qui sera assez forte pour contenir la puissance dominante. La mise en équilibre douce ne tente pas de modifier la répartition globale des capacités et accepte l’équilibre tel qu’il est, mais cherche cependant à obtenir de cet équilibre un meilleur sort (volonté européenne de construire une défense commune).

Les États plus faibles peuvent mettre en équilibre une puissance plus forte en réalisant des alliances ; c’est ce que l’auteur appelle la "mise en équilibre interne". Ces techniques ne visent pas à défaire la puissance américaine, mais plutôt à saper son image, éroder son influence. La possession d’armes de destruction massive est une stratégie utilisée par un État faible, visant à mettre en péril, à moindre coût, la supériorité militaire américaine. Enfin, le ligotage "est la technique utilisée par certains États qui ne veulent pas mettre en équilibre la puissance américaine, mais veulent restreindre la capacité des États-Unis à utiliser leur puissance dominatrice". Ces États utilisent l’ensemble des institutions internationales pour réduire la liberté d’action américaine (exemple du rôle du Conseil de sécurité dans l’intervention américaine en Irak en 2003).


Quelles options pour les pays alliés ou amis de l'Amérique?

Walt examine ensuite les différentes stratégies que peuvent adopter les États s’ils choisissent de s’accommoder de la puissance des États-Unis et de coopérer avec leur politique étrangère. Il va lister, une fois encore et de manière assez scolaire, les différentes stratégies dont disposent les différents États pour satisfaire et profiter de la primauté américaine. Ainsi, les stratégies de liaison permettent de renforcer les liens entre dirigeants américains et étrangers (on pense notamment à la relation Grande Bretagne/États-Unis, et plus particulièrement au rapport Blair/Bush).

Une autre technique utilisée est la pénétration politique intérieure. Par exemple, l’Arabie Saoudite a lancé en 2001 une campagne publique visant à ne pas donner l’impression aux Américains qu’ils soutiennent le terrorisme. Plusieurs agences de communication et des lobbyistes ont été recrutés.

En ce qui concerne le partenariat stratégique américano-israélien, Walt reprend les analyses développées dans son précédent livre : The Israel Lobby and US foreign policy. Dans la guerre contre le terrorisme, Walt estime qu’Israël est plus un handicap qu’un atout. Mais l’habileté des Israéliens à tirer profit du système politique américain explique pour partie les raisons de ce soutien. Des groupes de réflexion comme l’AIPAC ou le WINEP proposent un flux continu d’analyses dépeignant Israël comme un partenaire stratégique pour les États-Unis.  Depuis 2001, l’administration Bush a fait sienne l’analyse israélienne du conflit israélo-palestinien. Israël est l’exemple le plus frappant d’un État se servant des États-Unis pour soutenir ses intérêts propres.


Vers une politique étrangère moins interventionniste et donc acceptée de tous

Walt montre enfin que si les autres pays disposent de nombreuses options pour traiter avec la puissance américaine, la politique étrangère américaine doit être conçue en ayant à l’esprit les réactions de ces États.

Les États-Unis doivent utiliser leur puissance afin d’affirmer clairement que la démocratie libérale est la seule forme de gouvernement qu’elle considère comme acceptable, car la politique d’hégémonie de G.W. Bush a terni la réputation américaine et certains alliés se sont détournés des Etats-Unis.

L’auteur propose de recourir à ce qu’il appelle "l’engagement sélectif" pour que la primauté américaine ne soit pas réellement contestée. Dans ce cadre, les États-Unis utiliseraient leur puissance à l’étranger uniquement en cas de menaces contre leurs intérêts vitaux. Cette stratégie permet de ménager la primauté américaine sans dégrader son image. De plus, Walt propose d’abandonner la stratégie de préemption. Le fait de placer la guerre préventive au centre de sa stratégie a donné l’impression que les Américains étaient pressés d’utiliser la force. Au contraire, comme le montre l’exemple libyen, la stratégie américaine de "diviser pour mieux régner" est beaucoup plus opérante.

Pour terminer, et de manière très classique, Walt estime qu’au lieu d’aller en Irak, les Américains auraient dû régler le conflit israélo-palestinien, catalyseur d’une haine anti-américaine au Moyen Orient. En outre, Walt propose de modifier la stratégie mondiale des États-Unis, et recommande une politique visant à se faire désirer, cumulée à une réduction de la présence américaine en Europe. Il estime qu’il est opportun d’intervenir uniquement en cas d’agressions ouvertes ou lorsque les intérêts vitaux sont menacés.


Au final, Walt explique dans son livre pourquoi la puissance américaine, dans un moment unipolaire, entraîne ressentiments, réactions et autres stratégies d’opposition ou d’autonomie et propose enfin une nouvelle doctrine de l’engagement pour pallier ces difficultés

 

Ouvrage publié avec l'aide du Centre national du livre.


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Crédit Photo: Hussain Isa/Flickr