Une nouvelle édition en langue française des 61 lettres écrites par Félix Mendelssohn à sa famille lors de son voyage européen de 1830-1832.

Le musicologue, chercheur au CNRS, Nicolas Dufetel, réédite la correspondance de Félix Mendelssohn avec ses parents, ses deux sœurs et son frère à l’occasion de son Grand Tour de mai 1830- juin 1832.

 

Un Grand Tour musical

À peine âgé de 20 ans, le jeune Mendelssohn entreprend à partir de mai 1830 un très long voyage à travers l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la Suisse, la France et l’Angleterre. Ce Grand Tour en solitaire (qui n’est cependant pas son premier voyage à l’étranger jusqu’alors effectué en compagnie d’un proche) se termine en juin 1832 et remplit, conformément au vœu paternel, plusieurs missions : celle de se trouver un point d’ancrage où vivre en Europe (ce sera finalement en Allemagne), celle de parfaire sa formation, du moins sa culture de musicien-compositeur, celle de prolonger son éducation de haut rang par la découverte des patrimoines artistiques et architecturaux, celle enfin de se tailler une réputation professionnelle.

Alors que la révolution industrielle débouche à peine sur la constitution des premières lignes ferroviaires, c’est en voiture à cheval, voire à pied, que le compositeur se déplace. Jusque dans ses modalités, l’itinérance de Mendelssohn emprunte le modèle aristocratique puis bourgeois hérité du XVIIIe siècle et du fameux Grand Tour dont on connaît l’importance sociale, culturelle et initiatique. Bien que voyageant seul, il bénéficie d’un vaste réseau de connaissances amicales qui aident considérablement à ses déplacements financièrement facilités par son père. Il s’expose néanmoins aux difficultés habituelles et aux aléas dont le « spectre », c’est à dire le choléra qui vient d’emporter Champollion, lorsque Mendelssohn parvient jusqu’à Paris. C’est en outre dans la capitale française qu’il s’attriste de la mort de Goethe.

 

Un journal de voyage à travers ses lettres

Des 5 855 lettres éditées en 12 volumes depuis 2017, le recueil ne retient donc que les 61 qui composent un véritable journal de voyage. Autorisée par la famille dès les années 1860 à être publiée, cette anthologie qui bénéficie de la traduction déjà ancienne (et à peine remaniée par Nicolas Dufetel) d’Abraham-Auguste Rolland (1823-1905), remet au goût du jour cette merveilleuse correspondance riche d’impressions, de descriptions, de témoignages qui lient le musicien à toute la réalité sociale, culturelle et artistique qui l’entoure. Les anecdotes et les analyses ne manquent pas en effet parmi toutes ces lignes où, conscient de son talent, Mendelssohn juge des capacités compositionnelles d’Hector Berlioz ou encore de Donizetti.

Conscient, comme nous le rappelle Nicolas Dufetel, de la nécessité à se construire à travers le voyage, autrement dit en mettant ses pas dans ceux de ses prédécesseurs, Mendelssohn se présente bien comme un agent de l’interculturalité à une époque romantique où les nationalismes ne se sont pas encore pleinement et dangereusement affirmés. Curieux de tout, mais en particulier de peinture et de musique, Mendelssohn profite de son voyage pour effectuer des rencontres décisives. Il rend en effet longuement visite à Goethe qui lui réclame une initiation à l’histoire de la musique. C’est l’occasion de lui faire écouter au piano une transcription partielle de la récente Cinquième Symphonie de Beethoven dont l’écrivain juge la modernité très, voire trop audacieuse.

 

La naissance d’un artiste européen

C’est le voyage qui fait de Mendelssohn un artiste européen. La fréquentation des grandes villes sert sa carrière au risque de l’exposer aux critiques ou à une relative indifférence, comme à Paris, « le tombeau de toutes les réputations ». Tout au long de sa correspondance, le musicien témoigne de sa sensibilité à l’art et à la nature à travers une écriture dont la traduction restitue la belle fluidité. Curieux de tout, attentif aux mœurs, Mendelssohn se trouve parfois confronté à des contextes politiques tels que les Trois Glorieuses, ce qui l’érige un peu plus en un témoin de l’histoire en cours. La lecture des 61 lettres livre ainsi un portrait intime de celui que l’on présenta comme le « nouveau Mozart » compte tenu de son incroyable précocité. Spectateur itinérant à la découverte de l’Europe romantique, Mendelssohn livre avec finesse un témoignage passionnant où la musique résonne souvent sans occuper tout l’espace à découvrir, tant il y a à voir et à apprendre.

Nicolas Dufetel complète sa présentation par des outils indispensables à la recherche scientifique, tels que la bibliographie, les correspondances entre l’édition actuelle et la version allemande antérieure, l’index des toponymes, des personnes et des œuvres. Cet ouvrage confirme la place grandissante du voyage dans la musicologie française. Il reste suffisamment de choses à découvrir, à étudier pour que Nicolas Dufetel revienne, nous l’espérons, sur cette belle problématique de l’itinérance du musicien qui réclame de mêler les champs de la musicologie et de l’histoire.