Un pastiche de Proust inspiré par un souvenir amoureux d'Henri Raczymow.
Henri Raczymow a consacré plusieurs essais et récits à l’œuvre de Marcel Proust : Le Cygne de Proust (Gallimard, 1990), Le Paris retrouvé de Marcel Proust, (Parigramme, 2005), Notre cher Marcel est mort ce soir (Denoël, 2003), À la recherche du Paris de Marcel Proust, (Parigramme, 2021). Il est aussi l’auteur d’un article très convaincant publié dans le catalogue de l’Exposition du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme Proust du côté de la mère.
Également romancier, Raczymow a écrit de nombreux récits intimistes dont la toile de fond est le monde des Juifs polonais de Belleville où il a passé son enfance. Ces rues pentues, bordées de taudis, où des familles très pauvres, pour la plupart venues de Pologne, parlaient yiddish. Georges Perec y vécut avec sa mère jusqu’au jour de son arrestation. Les Juifs de Belleville ont disparu dans la Shoah.
La fusion de deux univers personnels
L’œuvre de Proust a envahi les pensées, l'imagination de Raczymow au point de lui donner l’idée de se faufiler par effraction dans La Recherche, plus précisément dans la vie d’Albertine Simonet, et d’y revivre une histoire d’amour de sa jeunesse, dont le canevas lui semble globalement identique. Il a accepté cette réalité et réussi le pari d’écrire une sorte de « roman », habité du début à la fin par les questions obsédantes que lui a inspiré le personnage d’Albertine Simonet.
Même si l’on n’est pas familier de l’œuvre de Proust, et qu’on n’identifie pas le Maître sous le palimpseste, on peut suivre les péripéties calquées sur celles narrées dans La Prisonnière, La Fugitive, Albertine disparue.
Raczymow n’implante pas son histoire sur les plages de Normandie, au Grand Hôtel de Balbec et dans les demeures aristocratiques. Avec humour, il transpose le canevas dans une ferme de la campagne française, où des Juifs ont trouvé refuge pendant la Seconde Guerre mondiale et où une jeune fille nommée Luce Simonet, apparaît au sein d’une « petite bande », plutôt fermière que normande.
Au début de l’histoire, Henri R. et Luce sont amoureux de Proust, à ceci près que Luce, dont Henri R., le narrateur, rêve de caresser les seins, démontre par d’indiscutables raisonnements les faiblesses du personnage d’Albertine. Avec mauvais esprit, Raczymow métamorphose le peintre Elstir en médiocre barbouilleur des seins de Luce, dont le portrait n’est qu’une lamentable croute au regard de celui de Miss Sacripan.
Une histoire d’amour contrariée
Albertine/Luce plutôt que de flirter avec le narrateur, qui ne demande que cela et roule d’innombrables pensées lubriques, lui impose des discussions savantes pour lui prouver qu’en y regardant de près, le personnage d’Albertine ne tient pas la route pour la bonne raison qu’elle n’est pas une jeune fille, mais plutôt Alfred Agostinelli, secrétaire et chauffeur de Proust, dont il était follement amoureux. D’ailleurs, ajoute-t-elle, ce Narrateur est un sombre idiot pour ce qui touche au sexe puisqu’il se désole de ne pouvoir pénétrer son amoureuse en l’embrassant sur la joue.
Il y a évidemment quelque chose qui cloche. Mais Henri R. sait lui comment atteindre le Saint des Saints de Luce. Henri R. ne pense qu’à lui faire l’amour, alors qu’elle pérore sans fin. C’est une « précieuse ridicule ». Cette idée l’obsède, tandis que sa réalisation ne s’annonce pas immédiate, il se console avec une de ses copines de la « petite bande ».
Mais patience, Henri va réussir à faire de Luce sa « Prisonnière ».
Parvenu à ses fins, c’est alors que se révèlent les affres des « intermittences du cœur ». Si Luce est enfin toute à lui, Henri croit ne plus l’aimer.
À l’instar de Proust qui a fait disparaître à jamais Albertine, Raczymow oblige Luce à sortir de scène. Pour son malheur à lui. La traitresse ne se tuera pas en tombant de cheval, mais mourra dans un accident de voiture, au cours d’un voyage d’amoureux en compagnie de son directeur de thèse. Une thèse sur Proust, bien sûr ! Ni Antoine Compagnon ni Jean-Yves Tadié, qu’il appelle au secours, ne lui seront d’aucune aide.
Lors de ses ruminations, le narrateur acquiert la conviction que Proust était, comme Saint-Loup, « un homme qui aimait les femmes qui aimaient les femmes ».
Cependant, si Saint-Loup aimait en réalité les hommes, le narrateur de Raczymow renonce à le suivre du côté de chez Sodome. Au terme de ses réflexions, il admet qu’il aime encore Luce disparue. Le chagrin le submerge, et il est seul au monde.
Cela dit, ce récit qui entretient des liens secrets avec Margueritte Duraille et Le Roland Barthes sans peine de Burnier et Rambaud, ravira les amateurs de pastiches, dont Proust était lui-même friand.