Un panorama de diverses productions artistiques et culturelles sur les femmes africaines et afro-descendantes, qui permet d'en révéler les enjeux politiques.
L’ouvrage adopte une perspective féministe, sur un mode critique puisque le courant a été l’objet de nombreux débats et reconfigurations en Afrique et au sein des diasporas africaines. Il invite à réfléchir à la question de la représentation, à la fois figurale et politique, des femmes dans diverses productions culturelles.
Son titre indique sa très large extension. Le mot « Africana » renvoie à un courant de pensée qui est né en Amérique du Nord et qui se déploie aujourd’hui dans le domaine francophone, après avoir été repris par Souleymane Bachir Diane ; il permet de désigner les dynamiques et les circulations qui ont animé (et animent encore) les espaces culturels de l’Afrique et des diasporas, sans rapport hiérarchique entre les espaces.
À cette extension sociogéographique, l’ouvrage ajoute un souci pluridisciplinaire, conjuguant études littéraires, culturelles, artistiques, cinématographiques, historiques, sociologiques, etc. La visée du projet est double. Elle est panoramique et inclusive : il s’agit de prendre en compte les représentations des femmes africaines et afro-descendantes dans le spectre le plus large possible. Elle est aussi politique : en s’attaquant à des stéréotypes, les contributeurs et contributrices mettent finalement au jour des structures sociales patriarcales à travers le monde et des stratégies d’expression qui permettent d’y résister et de les contester.
Déconstruction et empowerment
Dans un premier temps, l’ouvrage explore différentes stratégies d’empowerment dans des pratiques créatrices, par rapport à des assignations genrées à certains rôles. Ce moment expose la complexité de la création littéraire et artistique, qui tout à la fois rend compte d’une domination et propose par la fiction un renversement des structures de pouvoir symbolique.
Isabelle Chariatte, à propos de Chimamanda Ngozie Adichie, et Irena Wyss, à propos de Léonora Miano, montrent comment les romancières africaines défont les positions de domination dans leurs fictions, en encapacitant leurs héroïnes d’un pouvoir social (pour la première) ou politique (pour la seconde).
Yvette Marie-Aimée Abouga et Vincent Simedoh réfléchissent à la fonction cardinale du corps dans ces dynamiques d’émancipation.
Anthony Mangeon expose l’évolution de la représentation des femmes africaines dans les comic books et la science-fiction américaine, au fur et à mesure que les récits sont pris en charge par des auteurs et autrices afro-descendant(es) ou africain(es).
Ninon Chavoz réfléchit à un réinvestissement de la mémoire par des personnages féminins dans le roman francophone et africain-américain, dans des intrigues narratives qui se développent sur le temps long de plusieurs générations.
Marjolaine Unter Ecker met l’accent elle aussi sur la dimension diasporique dans les processus de réappropriation de leur rôle en tant que femmes chez des artistes, écrivaines, metteuses en scène contemporaines.
Un entretien avec Calixthe Beyala, Bessora et Véronique Tadjo conclut cette première section, où les écrivaines s’expriment sur la question environnementale et sur la nécessaire pluralité du féminisme à l’échelle mondiale.
Mémoires des violences et des résistances : le rôle positif de la fiction
Dans le prolongement de l’article de Ninon Chavoz, la deuxième section traite de la manière dont on peut construire et réfléchir à une mémoire des femmes africana. Nicolas Bancel revient sur la figure de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote » autour de qui un discours scientifique raciste s’est construit, en écho avec les stéréotypes et préjugés du début du XIXe siècle.
Les autres textes montrent diverses stratégies qui peuvent permettre de renverser une image strictement victimaire des femmes africaine et afro-descendante. C’est ce que proposent Alice Desquilbet et Charlotte Laure, à propos des réécritures scéniques (chez Bernard B. Dadié et Sony Labou Tansi) de Kimpa Vita, Béatrice du Congo, prophétesse qui fut traînée au bûcher du fait de son opposition à la colonisation : la figuration tragique du personnage lui donne la puissance d’une héroïne.
De même, Émeline Baudet propose une lecture critique de la notion de vulnérabilité dans deux romans d’Emmanuel Dongala qui en transforment la portée, insistant sur la force des personnages féminins à qui cette caractéristique est attribuée.
Éloïse A. Brière revient sur le parcours de Lucie Cousturier en Afrique où elle est envoyée en mission pour un rapport sur les femmes africaines et dont elle tirera différents textes où un sentiment anticolonial s’affirme de plus en plus nettement.
Catherine Mazauric propose une lecture de l’œuvre de l’historienne Adame Ba Konaré, Première Dame du Mali entre 1992 et 2002 : sa réflexion sur le pouvoir implique une reconfiguration de la méthode historiographique qui intègre des procédés d’écriture littéraire.
Dans une logique similaire, Anaïs Stampfli insiste sur les mécanismes d’écriture qu’emploient André et Simone Schwartz-Bart dans leur projet encyclopédique Hommage à la femme noire.
Ces différentes contributions mettent en avant le rôle positif de la fiction dans l’entreprise mémorielle. Pour finir la section, Valérie Cossy revient sur l’exposition Africana, à laquelle s’adosse le colloque qui donne naissance au volume. Elle résulte du legs par Jean-Marie Volet de sa bibliothèque d’écrivaine africaines et afro-descendantes à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne. Valérie Coussy réfléchit à la meilleure manière de mettre en valeur ces collections, en tâchant de les intégrer au canon littéraire ou bien en en marquant la spécificité.
Agentivité et prises de parole : des stratégies pour résister
La troisième section propose un parcours à travers différents arts visuels (peinture, sculpture, bande dessinée, cinéma…). À travers les différentes contributions, on voit à l’œuvre les éléments d’une micropolitique des actrices sociales, la mise en images de l’agentivité des femmes africaines en réponse à des structures patriarcales.
Fatoumata Seck, à propos de la bande dessinée Goorgoorlou d’Alphonse Mendy, et Benoît Turquety, à propos du cinéma de Sembène, montrent comment le silence ou l’effacement des personnages féminins peuvent se faire lourds d’une action discrète mais décisive que les œuvres indiquent.
D’une certaine manière, Hanane Raoui, à propos des performances africaines drag kings, Daddy Dibinga, à propos de réalisatrices sénégalaises, et Lucienne Peiry, à propos de plasticiennes autodidactes maghrébines et subsahariennes, explorent aussi des pratiques qui viennent se substituer à des mots difficiles à dire pour inscrire sa place et son regard dans et sur la société.
Coudy Kane et Kodjo Adabra reviennent à leur tour sur la figure de Sembène Ousmane et la représentation des femmes dans son cinéma, en interrogeant la complexité de cette œuvre au regard d’une lecture féministe.
La quatrième section prolonge la réflexion en centrant le propos sur la prise de parole des femmes africana dans un contexte où elles en sont privées. L’accent est mis sur la question de la voix et sur celle de l’écriture. Par quels procédés faire entendre ces voix ? Les contributions insistent alors sur la dimension traumatique, que ce soit à un niveau individuel ou historique, de la violence faite aux femmes.
Éric Touya de Marenne mobilise ainsi les trauma studies dans son étude sur les écrivaines Véronique Tadjo et Isabelle Eberhardt.
Amandine Herzog-Novoa mêle un travail de narratologie avec une réflexion sur les représentations de la folie dans l’œuvre de Nicole Cage-Florentiny.
Xavier Garnier, à travers l’écocritique, révèle la mise en écho des voix et des corps féminins avec les paysages naturels ou urbains, dans un contexte de violence, chez Yvonne Vera.
Moussa Sagna et Koutchoukalo Tchassim réfléchissent aux représentations des femmes chez Fatou Diome et Marie Ndiaye en analysant les processus de subjectivation chez les deux écrivaines comme autant de gestes de résistance à une oppression masculine.
La fin de la section est consacrée à Djaïli Amadou Amal.
Une étude sociocritique d’Aïssatou Abdoulahi, prolongée par un entretien avec l’autrice, montre comment le travail de l’écriture permet une représentation complexe et dynamique de la condition féminine en zone sahélienne.
Par la suite, un article de Christine Le Quellec Cottier, mobilisant la sociologie de la littérature, met en question les transformations apportées au roman Munyal, les larmes de la patience, d’abord publié au Cameroun, lorsqu’il est devenu Les Impatientes pour sa diffusion en France et dans les zones francophones : les attentes du lectorat auxquelles ces modifications répondent risquent de reconduire des stéréotypes.