L’examen d’une trentaine d’affaires criminelles abordées par la chanson dans les « canards sanglants ». Une histoire culturelle de la mise en musique du crime.

Dans son volumineux ouvrage de 672 pages, Jean-François « Maxou » Heintzen retrace l’histoire presque oubliée des complaintes criminelles qui paraissaient dans les « canards sanglants » ou feuilles illustrées. En historien averti et en spécialiste de la chanson et des pratiques instrumentales traditionnelles, l’auteur nous plonge dans un intéressant récit chronologique qui fait la part belle à la Troisième République (1870-1940), et qui est précédé d’une centaine de pages consacrées à la question des origines du genre. L’auteur prolonge quelque peu son récit dans les années 1940 avec comme principale illustration le retentissant massacre d’Oradour-sur-Glane.

Agrégé de Mathématiques, docteur en Histoire, musicien aux multiples pratiques, Jean-François « Maxou » Heintzen présente ici le résultat d’un travail considérable qualifié à juste titre d’« exploit » par le préfacier Jean Lebrun, journaliste et producteur de radio renommé. Cette somme agrémentée de plus de 300 illustrations et joliment éditée par Bleu autour présente la particularité d’êtres vendue avec une clef USB, produite par les « Films sonores », où figurent de libres interprétations d’artistes ainsi qu’un entretien entre l’auteur et une spécialiste du répertoire populaire, Yannick Guilloux. Le travail d’analyse repose sur la consultation d’une multitude de sources provenant de collections privées, des archives départementales (de la Nièvre, de l’Allier, de l’Ain), ou encore des fonds de la SACEM et de la BnF (Gr Fol Wz 90 principalement)   .

Les quatre sections chronologiques permettent de cerner rigoureusement l’évolution de la complainte criminelle telle qu’elle était composée, imprimée et diffusée. Les 33 études de cas retracent donc l’itinéraire diachronique d’un support médiatique abandonné dans la seconde moitié du XXe siècle (mais partiellement remplacé). Ce travail d’archéologie et de collectionneur croise ainsi plusieurs champs disciplinaires tels que l’histoire criminelle, l’ethnomusicologie, l’histoire de la presse mais aussi la chanson. La démarche adoptée — celle, finalement, d’une histoire culturelle — consiste judicieusement, par un jeu de couleurs, à présenter de façon successive des synthèses contextualisantes, des analyses d’images — à plus d’un titre, cet ouvrage se présente comme un essai iconologique — et des études de la chanson proprement dite.

Le récit chanté du crime (en langue française ou en langue vernaculaire) apparaît comme la résultante d’un processus médiatique et social directement issu du fait divers. Le genre du « canard sanglant » associe un titre, un récit de l’événement tragique, la complainte en tant que telle et son illustration. Il s’agit de faire peur et d’ajouter à l’horreur une morale qui s’adresse au plus grand nombre. Au frisson succède la leçon. L’examen de ce corpus donne au lecteur les possibilités de voir, d’entendre et de comprendre le traitement musical et iconographique du crime, qu’il soit ou non célèbre, qu’il prenne place en France ou à l’étranger. Jean-François « Maxou » Heintzen parvient à immerger le lecteur dans une histoire faite d’analyses, de narrations et de descriptions renouvelées par les exemples sélectionnés. On ne peut que saluer cette démarche qui mêle habilement la musique à l’histoire.