Un chat doté de la parole démêle une énigme de la Seconde Guerre mondiale.

Une fois l'enquête élucidée, que reste-t-il à lire d'un polar ? Rien, apparemment. Mais l’exception est ici totale. Comme l'écrit l’antépénultième paragraphe : « Le mystère peut souvent nous rendre plus heureux que de chercher à tout prix une vérité. » C'est ce que ce livre confirme, en offrant un bonheur de lecture qui n’est pas courant.

Ces Carnets secrets du Boischaut livrent un univers campagnard, accessoirement berrichon, des bonheurs de langue – « un suaire de cendres » –, un humour de qualité et une vue de l’humanité sans concession. L’auteure, Catherine Dutigny, née à Paris en 1949, place en exergue une fusée de Baudelaire : « La superstition est le réservoir de toutes les vérités. » Ensuite, la composition est subtile et claire à la fois. Il s’agit d’une remontée dans le passé, comme on ouvre des tiroirs gigognes. L’auteure publie, pour ce livre, des carnets rédigés à partir de 1967, qui eux-mêmes recueillaient des souvenirs des deux derniers mois de l’année 1960, qu’un vieux cantonnier avait confiés à un instituteur de son village. Ces souvenirs tournaient autour de l’élucidation d’un mystère : celui du comportement d’une certaine Marthe, veuve sévère aux abords de ses terres, comportement qui remontait à un malheur survenu durant la Seconde Guerre mondiale, soit une quinzaine d’années plus tôt.

Le récit amorce une sorte de conte à la Marcel Aymé. Un coq est tué, un soir de novembre 1960. Il jette un sort. Des cheminées se mettent à tirer pour une flambée. Et voilà des personnes qui se réunissent au-dessus d’un toit. Se joint à elles un chat subitement doté de la parole. Il va mener l’enquête avec le cantonnier.

L’instituteur qui a rédigé les carnets commente les souvenirs qui lui sont rapportés, au moyen de ses propres notes et réflexions. Il rend ainsi naturel le surnaturel. « Il n’y a dans ces lignes, écrit-il, qu’un fatras d’inepties. » Sous le couvert de l’humour constant, l’auteure livre sa vision de la vie. Ainsi, le chat se choque de ce que « les humains tuent pour autre chose que satisfaire leur faim ».

L’enquête en elle-même consiste à trouver l’auteur de la dénonciation qui a condamné à mort le mari de la Marthe. C’est l’occasion de re-parcourir les travers de la Seconde Guerre mondiale, l’Occupation, la Collaboration, la Résistance et surtout les dessous des actions héroïques, tragi-comiques ou traîtresses de ce temps. Les horreurs restent tempérées. Catherine Dutigny écrit plus large. « Les femmes sont ainsi faites qu’elles accordent plus de crédit à l’instinct qu’à toute forme de rationalité. » Elle conduit pourtant l’essentiel de son histoire à travers le regard, le flair, tout ce que peut penser le chat, animal plus intelligent qu’on ne le croit. Elle note « une éternité, en égrenage de temps félin ». La fille du cantonnier a ses règles à douze ans, un cauchemar. Le chat s’en étonne. « Lorsqu’on perdait un peu de sang, un peu de mercurochrome suffisait pour soigner la blessure. »

Qualité de l’écriture où même un cliché, tel que s’ennuyer comme un rat mort, suscite un commentaire du chat qui le rend drôle, justesse de vue des sentiments propres aux humains, subtilité un peu pataude de l’inspecteur dans lequel le lecteur se retrouve en miroir : ces ingrédients réunis confirment que ce récit forme un régal.