Quand Alain Rey analyse les termes employés durant la campagne présidentielle, cela donne lieu à des analyses certes partiales mais d'une grande force d'évocation.

Le coordinateur du dictionnaire Le Robert a-t-il eu raison de prêter l’oreille aux sirènes de l’actualité ? N’aurait-il pas mieux fait de continuer à expliquer des mots rares et sans lien avec quoi que ce soit ? Dans un recueil qu’il appelle Lexi-com’, Alain Rey, examine de manière subjective les mots de la politique qui ont tenu les Français en haleine d’octobre 2006 à juin 2007.

Ces huit mois, souvenons-nous, incluent la campagne présidentielle officielle, l’élection présidentielle puis les élections législatives. Autant de moments privilégiés pour inventer de nouveaux mots, comme peuvent aisément le faire les Allemands ou les Russes grâce au système des suffixes et des préfixes. Nous pensons au célèbre "bravitude" de Ségolène Royal qu’Alain Rey n’hésite pas à qualifier "d’exemple de productivité, qu’auraient salué du Bellay et Ronsard, en leur temps". Occasion aussi pour les célébrités que deviennent les hommes politiques, d’implémenter dans nos cerveaux quelques expressions, slogans, déclarations. Nous pensons au fameux "J’ai changé" de Nicolas Sarkozy. Cette fois-ci Alain Rey est moins enthousiaste et sollicite l’expression étrange de Maurras pour douter de "ce changement, divine surprise (c’est moi qui souligne) pour ceux qui s’imaginaient qu’il était inchangeable".

Car, il faut l’annoncer tout de suite, Alain Rey ne s’encombre pas trop de réserve. Il défend la candidate du Parti socialiste et met en garde contre le candidat de l’UMP. Ségolène venant de l’allemand Sigolène exprime une "victoire douce" et Nicolas signifie, en grec, "victoire" aussi mais sans douceur, assurément. On a d’ailleurs plaisir à lire son enthousiasme, sa déception, sa curiosité.
Ainsi, notre éminent lexicographe est un passionné qui entend ne pas se contenter de l’étymologie. Il a des chevaux de bataille qu’il ne se prive jamais de monter. Durant plusieurs années, sur France Inter, on l’a entendu invectiver le Capital et ses "patrons voyous", ses "bas salaires stagnants", ses "délocalisations à la sauvette". Le présent ouvrage est en outre, émaillé de propos ironiques sur "l’éthique capitaliste" vu comme une délinquance financière jamais bien déguisée.
Avec la campagne présidentielle, et c’est le second motif d’impatience d’Alain Rey, se pose le problème des femmes en politique. Voici qui semble encore difficile à résoudre pour les hommes de sa génération ; quant à lui, Alain Rey fustige "les hommes insultants à l’égard des femmes", les "goujats". Issu de l’hébreu, "goy", ce comportement, qui pourtant, à sa manière, fait des femmes les égales des hommes, a quelques accointances avec l’antisémitisme et d’autres, peut-être, avec le mot "gouine". Déroutante étymologie.

Évidemment, le lecteur ne se sent pas obligé de souscrire à tout ce que le lexicographe-chroniqueur propose. C’est probablement aussi une vertu du parti-pris clairement affiché. Alain Rey nous fait part de son avis. À nous de le rejoindre, ou pas. Mais de là à s’exclamer comme — nous en assure l’auteur lui-même — certains auditeurs de France Inter en un terrible : "Contente toi de parler étymologie et grammaire ; tes opinions, on s’en branle !" il  y a tout de même un pas qu’on ne saurait franchir. Ce serait prendre les indignations d’Alain Rey pour des prescriptions. Contresens lourd. Vulgarité choquante.

D’ailleurs, à mesure qu’on avance dans la lecture  de cette centaine de chroniques on découvre que ce qui convient vraiment au lexicographe, c’est le pamphlet. Il y déploie son puissant vocabulaire, mieux, son sens hardi et juvénile de la formule. Chacun de nous est et a été largement abreuvé de propos plus ou moins pamphlétaire, plus ou moins partisan sur Nicolas Sarkozy. Eh bien, il faut reconnaître que quand le talent pour dire et écrire est là, nul ennui ne vient gâcher la fête. N’est-il pas amusant de comparer le président à un "Batman français, toujours à la recherche de torts à redresser" ? La formule "Président inépuisable" ne vaut-elle pas bien mieux que celle d’ "hyper Président" ? Et quand il s’agit d’évoquer quelque "démocrate absolu" venu de l’est, l’expression "poutain de Vladimir" n’est pas mal trouvée non plus, il faut en convenir.

En somme, découvrir qu’un directeur de dictionnaire peut-être en verve est une vraie satisfaction ! Constater qu’il sait manier érudition et rhétorique tout ensemble est franchement plaisant.