Le principe de la laïcité est paradoxalement aussi commenté que méconnu. Cet essai revient sur le détail de sa formulation légale et de son histoire.

Si la question de la laïcité est embrouillée, c’est moins du fait de la loi elle-même que de l’imprécision des expressions qui sont employées dans le débat public : laïcité, liberté de conscience, libre exercice des cultes, neutralité de l’État, etc. Dans ce précis d’histoire et de théorie, Patrick Weil fait le jour sur ces notions. Il fournit ainsi tous les éléments nécessaires aux citoyens qui souhaiteraient s’en emparer.

Le parti pris

Pour ce faire, l’auteur commence par retracer le chemin emprunté par ceux qui ont conçu et mis en œuvre la loi de 1905. Aussi propose-t-il d’étudier à la fois le texte de loi, les principes qui la gouvernent et les propos qui la légitiment. Il remarque d’emblée que le terme « laïcité » n’apparaît ni dans le titre ni dans aucun des articles de la loi de 1905. Tout se passe comme si ce terme désignait d’abord un principe général.

Ce principe recouvre la liberté de conscience et d’expression, l’égalité et la neutralité de l’État, le droit de manifester ses croyances et la liberté de culte. Ce qu’on appelle donc la séparation des Églises et de l’État ne se réduit donc pas à un conflit entre l’exercice du culte et le service public : elle englobe aussi la souveraineté de l’État par rapport aux État religieux et notamment le Vatican.

Un contexte

L’auteur, qui fut par ailleurs membre de la commission Stasi chargée de réfléchir à l’application du principe de laïcité, ne manque pas d’indiquer les éléments de contexte indispensables à sa compréhension. Il importe en effet de ne pas se focaliser sur les aspects les plus récents de nos sociétés européennes. Car si nous assistons aujourd'hui à une résurgence du religieux sous différentes formes, il convient de rappeler que la laïcité est d’abord née d’un processus de sécularisation qui a touché tout l’Occident, il y a trois siècles.

Alors que la vie personnelle, civile et sociale était auparavant réglée par la religion, ce processus de sécularisation a poussé cette dernière à se retirer des institutions. L’État, pour sa part, a progressivement rejeté l’un des fondements du catholicisme dominant, à savoir l’idée qu’une vérité révélée gouvernait également les affaires publiques. Le Gallicanisme ouvre une nouvelle période ; puis vient le Concordat, qui préserve une partie des acquis de la Révolution (laïcisation du droit, liberté de conscience et statut des protestants et des juifs) ; vient enfin le moment crucial de l’affaire Dreyfus, puis la victoire du bloc des gauches aux élections, avec ses figures majeures (Émile Combes, Aristide Briand, Georges Clémenceau, etc.).

La loi

Avec beaucoup de pédagogie, Patrick Weil entraine et encourage ses lecteurs à lire le texte de loi et à s’intéresser aux débats qu’il a suscité à la Chambre. Approuvée le 3 juillet 1905, cette loi est précédée d’un préambule qui énonce trois plans d’action : la conscience individuelle, l’organisation des cultes, les manifestations religieuses.

L’article premier doit être lu de près : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ». Encore une fois, le terme « laïcité » n’est pas prononcé. La « liberté de conscience » et le « libre exercice des cultes » distinguent d’une part une liberté individuelle (celle de croire ou de ne pas croire), et d’autre part les pratiques et manifestations extérieures de ces croyances. Les deux sont donc protégées : telle est la laïcité.

L’État, désormais fondé sur des principes séculiers, ne cautionne aucune foi. Cela permet à l’auteur de distinguer 4 registres : l’espace de l’État, dont ni les édifices ni les fonctionnaires ne peuvent prendre de position religieuse ; les lieux affectés aux cultes, régis par des associations cultuelles qui rédigent les règles s’appliquant à leurs pratiques ; la sphère privée, dans laquelle chacun peut agir comme il l’entend ; l’espace public civil, où l’expression publique de la foi est possible dans les limites de la loi et des autorisations.

Les querelles

Au principe et à la loi sont progressivement ajoutées des précisions, qui suivent les aléas de l’application de la loi et les querelles qu’elle soulève. L’auteur commence par le cas de l’École. Il a fallu y conquérir la laïcité, réorganiser les enseignements, mais aussi substituer la responsabilité de l’État à celle des maîtres, pour les protéger des attaques qui pourraient viser leurs propos. Évidemment, l’Église catholique se tient en embuscade. L’auteur, en historien, raconte les épisodes décisifs des querelles qui l’ont impliquée. Il revient sur la nécessité de constituer une police des cultes pour lutter contre les autorités ecclésiastique qui veulent intervenir dans (ou contre) les manuels scolaires.

La question du Concordat subsistant pour l’Alsace-Lorraine est détaillée, comme l’apaisement progressif des tensions entre la République et le Vatican. La loi de 1905 est maintenue, quoique la Constitution de la Ve République affirme le principe différemment : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». La Constitution récuse toutes les divisions d’origine, de race et de religion. Puis en 1971, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 s’associe à cette constitution.

La laïcité aujourd'hui

En 1996, la question des sectes et le problème de leur appartenance à la catégorie de « culte » débouche sur une modification de la notion de « culte » elle-même : il s’agit dès lors d’une croyance, d’une foi en une puissance surnaturelle, autour de laquelle s’organise une communauté et des pratiques rituelles respectant l’ordre public. Dès lors, 172 organisations sont déclarées « sectes », et des associations cultuelles sont dénoncées.

Une analyse de l’histoire complexe qui a relié, par la colonisation, la France à l’Algérie, permet de couper court aux débats actuels infondés questionnant la compatibilité de l’islam avec le principe de laïcité. La loi de 1905 s’appliquait tout autant à l’Algérie, et les lieux de cultes musulman aujourd'hui relèvent de la même laïcité d’État.

Enfin, l’auteur examine des cas sans doute moins connus : celui des aumôneries, de la radio et de la télévision, les repas alternatifs dans les cantines, l’affaire « Baby Loup », celle d’une statue du pape dans le Morbihan, etc. De même, il retrace les débats qui se sont cristallisés autour de la question du port du foulard dans les écoles publiques, aboutissant à l’interdiction des signes extérieurs, ostensibles, d’appartenance religieuse (ni voile pour les femmes, ni kippa pour les hommes, ni croix pour les unes ou les autres).

Cette histoire de la laïcité n’est ni achevée ni achevable. L’auteur en retient trois points essentiels : la spécificité de la laïcité « à la française », la possibilité de discuter de nouveaux cas dès que nécessaire, et enfin le droit de critiquer les religions, voire de se moquer d’elles. Le droit au respect des croyances ne peut en effet exclure la liberté d’expression, à condition que cette dernière sache distinguer l’injure envers les croyances de l’injure envers les croyants.