Par une analyse sociologique et historique fine, Aurélien Raynaud retrace l’itinéraire du résistant Emmanuel d’Astier.

Emmanuel d’Astier a été une figure centrale de la Résistance, dont Aurélien Raynaud se propose de faire la sociobiographie. À travers son itinéraire, il veut étudier les processus de conversion politique, en racontant son passage des milieux proches de l’Action française au compagnonnage de route avec le PCF, puis son éloignement du parti au milieu des années 1960. Un cas qui est loin d’être unique : l’écrivain Claude Roy, par exemple, a connu une trajectoire similaire.

Un milieu monarchiste

Emmanuel d’Astier de la Vigerie, né en 1900, est issu d’un milieu familial qui, selon des logiques de classe, aurait dû le porter vers le militantisme à la droite de l’échiquier politique. En effet, élevé au sein d'une famille catholique de huit enfants, par un père polytechnicien et une mère proche des milieux de l’Action française jusqu’en 1926 (date de la condamnation pontificale du courant monarchiste), il descend de la noblesse de robe du côté paternel et de la noblesse de cour du côté maternel. L’enfance du jeune d’Astier est marquée par cet environnement social qui, pour un jeune aristocrate, même dans la République, est somme toute naturel. Après avoir suivi un enseignement privé, il passe néanmoins trois années scolaires au lycée Condorcet, dont le milieu est libéral. D’Astier reste façonné par l’héroïsme de la Grande Guerre, hérité de la tradition aristocratique, auquel il n’a pu participer en raison de son âge. Catholique, sa découverte de la sexualité lui fait prendre des distances avec ce milieu. Reproduisant les normes culturelles de l’aristocratie, il entre dans la Marine en 1918 ; déçu, il en sort quatre ans plus tard, ne lui trouvant pour seuls attraits :« ses plaisirs et ses excès ». Héritier, il peut vivre de ses rentes pour tenter de devenir écrivain, mais, son expérience s’avérant plutôt ratée, c’est dans le journalisme qu’il finit par percer. Rubricard à Marianne à ses débuts, il est embauché à 1935, organe d’une extrême droite antisémite et hostile au Rassemblement populaire qui se dessine.

La Résistance

Sans que l’auteur n’explique réellement pourquoi, Emmanuel d’Astier passe ensuite à Vu, journal qui se caractérise au contraire par sa défense du Front populaire, son antifascisme et son philosoviétisme. Il se rapproche alors du radicalisme, même si à cette date (et contrairement à d’autres figures radicales comme Robert Chambeiron, Pierre Cot ou Pierre Meunier), il demeure hostile au communisme, par opposition à la dictature.

Cette même conviction fait qu'en 1940, il compte parmi les premiers à rejoindre des groupes de résistants, fondant la Dernière colonne, où il retrouve plusieurs anciens radicaux proches de Vu, avant de s’atteler à la rédaction de Libération, puis à la construction du mouvement éponyme. L’auteur examine son action dans les structures de la Résistance : reconnaissance par la France libre du mouvement Libération, participation à l’unification des mouvements de résistance. En 1943, il est nommé par De Gaulle commissaire à l’intérieur du Comité français de libération nationale. Entré en conflit avec les autres dirigeants de la Résistance comme Henri Frenay, il se rapproche très rapidement des positions du PCF, au point qu’il aurait été légitime d’examiner, avant septembre 1944, sa relation avec les dirigeants du PCF, et de présenter la stratégie du PCF à la Libération ; davantage qu’une « logique de radicalisation politique » évoquée par l’auteur, il semble qu’il y ait là une entente politique sur un certain nombre d’objectifs. En fin de compte, la légitimation de la stratégie politique par une analyse de la place de l’acteur dans le système ne convainc pas vraiment, tant la place du PCF est reléguée au second rôle pendant toute cette période. C’est après la Libération que d’Astier se rallie à la politique du PCF : le résistant aurait été poussé, selon l’auteur, par ses détracteurs et par son ambition de rester dans le jeu politique ; c'est encore une manière de désidéologiser son engagement.

Si le travail d'Aurélien Raynaud se fonde sur le dépouillement important d’archives privées (famille d’Astier) et publiques (défense, Résistance, presse, etc.), il semblerait que les archives communistes n'aient pas été consultées. La même remarque s’applique à la bibliographie : celle-ci ne cite quasiment aucun travail sur l’histoire du PCF. Il est également surprenant que la biographie s’arrête sur la première conversion, sans analyser son évolution vers le gaullisme après 1958 (qui s’apparente à une reconversion).

In fine, si la sociobiographie et l’analyse de la conversion politique s’avèrent passionnantes, elles n’interdisent toutefois pas de respecter les méthodes de la recherche historique.