En dépit de la place centrale prise par le secteur logistique dans nos sociétés, ses travailleurs sont encore peu étudiés. La revue de la DARES propose plusieurs aperçus de leur condition.
Le secteur de la logistique, hors transport, regroupe à lui seul, en France, près d’un million d’emplois, qui sont principalement des emplois ouvriers. Or, jusqu’à relativement récemment, la recherche s’était peu penchée sur les mécanismes de recrutement et de gestion de cette main-d’œuvre, comme sur les formes de résistances et d’aménagements qui peuvent émerger. Pourtant, on sait qu’il s’agit d’emplois souvent précaires, particulièrement pénibles, n’offrant que de maigres possibilités de carrière et soumis à un contrôle accru sur l’activité. Ce numéro de la revue de la DARES, Travail et emploi, contribue à combler ce manque.
Entrepôts et intérimaires
Carlotta Benvegnù et David Gaborieau nous rappellent en introduction les transformations de la production (globalisation, externalisation et rationalisation) qui ont accompagné l’essor de la logistique. Puis, les implications de ce processus en termes d’implantation et d’agencement des bâtiments et des installations, d’organisation du travail, de régulation de l’emploi, etc. Comme le notent les auteurs, l’entrepôt est en effet devenu depuis une trentaine d’années un lieu central d’expériences professionnelles, dans l’ensemble assez peu gratifiantes, il faut bien le dire, pour toute une frange des catégories populaires.
À partir d’une enquête menée dans cinq entrepôts en France et en Allemagne, Clément Barbier, Cécile Cuny et David Gaborieau analysent dans leur contribution le rôle joué par l’intérim, auquel le secteur fait appel de manière importante, comme outil de production et de mobilisation de la main d’œuvre. Ils montrent ainsi qu'à des stratégies managériales différentes de fidélisation de la main d’œuvre répondent des manières également différentes, de la part des intérimaires, de concevoir leurs trajectoires professionnelles : selon les opportunités qu'ils ont de changer d’entrepôt dans la zone, par exemple, ou encore les conditions de rémunération dans l’emploi et/ou d'indemnisation au chômage auxquelles ils peuvent prétendre en tant qu'intérimaires.
Précarisation et mobilisations
Dans deux études de cas situées en France et en Italie, Carlotta Benvegnù et Lucas Tranchant s’intéressent, pour leur part, aux effets variables de la précarisation de l’emploi sur les mobilisations collectives et les formes de résistances au travail. La mobilité des travailleurs d’un entrepôt à l’autre restreint en effet la conflictualité à un petit groupe de militants syndicaux, comme le montre le cas de l’entrepôt enquêté à Melun-Sénart. En revanche, la captivité de la main-d’œuvre et les relations d’interconnaissances entre travailleurs principalement immigrés ont joué un rôle central dans la mobilisation qui a concerné l’entrepôt padouan, et sans doute plus généralement dans les mobilisations qu'ont connues ces dernières années plusieurs entrepôts du Nord de l'Italie. En France, l'omniprésence d'une conflictualité diffuse à l'intérieur des usines à colis a jusqu'ici rarement débouché sur des mobilisations d'ampleur, contrairement à ce qu'on a pu voir dans d'autres pays.
Nicolas Raimbault compare quant à lui les géographies professionnelles et résidentielles des ouvriers de l’industrie et ceux de la logistique en Île-de-France à partir des données de recensement de la population. Il pointe la forte déconnexion spatiale entre lieux de résidence et lieux de travail pour ceux qui se trouvent au-delà de la petite couronne, quasiment au niveau du front d’urbanisation, où une partie des entrepôts se sont implantés.
Enfin, à partir d’enquêtes qualitatives au long cours menées en Californie du Sud et portant sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, Jake Alimahomed-Wilson montre les effets sur les conditions de travail et d’emploi de la révolution de la e-logistique et/ou de la montée en puissance de la logistique du dernier kilomètre (ou last touch). La croissance des exigences en matière de rapidité de livraison a en effet entraîné toutes sortes de changements allant de la conception des bâtiments abritant les entrepôts, aux outils utilisés en leur sein et à leur emplacement, en passant par l'organisation du transport et de la livraison des marchandises aux consommateurs. Ces changements et les évolutions qu'ils induisent pour la gestion de la main d'œuvre en particulier constituent autant de nouveaux défis pour les travailleurs du secteur du stockage, du transport et de la livraison, et pour les syndicats qui les représentent.