Dans ce récit très sensible, accompagné de photographies, Colette Fellous évoque Marguerite Duras si intensément qu’elle la rend absolument présente.

Bien connue pour ses romans et récits (une vingtaine de titres depuis 1982), mais aussi pour son travail de productrice d’émissions sur France-Culture et pour la collection « Traits et portraits » qu’elle a créée et dirige au Mercure de France, Colette Fellous évoque dans ce nouveau récit sa relation avec Marguerite Duras, en revenant dans l’incipit sur l’entretien qu’elle eut à l’automne 1987 avec l’auteure de L’Amant, dans son appartement de la rue Saint-Benoît, à Saint-Germain-des-Près, pour parler de son nouveau roman, Emily L., qui venait de paraître aux Éditions de Minuit : « C’est son plus beau livre à mes yeux, le plus complet, le plus ambigu, le plus douloureux, le plus vrai. »

 

Un moment radieux qui illumine tout le récit

Partant d’un moment de cette conversation, Colette Fellous le déploie et le déplie sur toute la vie et l’œuvre de Duras, et sur les relations qu’elle entretient avec elles, qui se mêlent au mythe qu’elle est devenue de son vivant déjà  : « Je portais un gilet en grosse laine rouge et blanc et un petit foulard de soie léopard tacheté noir et blanc. Par la fenêtre, une lumière plutôt plate et de légères taches de bruits, comme un rideau de bruits, quelle douceur dans cette rumeur de Paris aux heures de l’après-midi. À un moment, et c’est celui-là précisément que je voudrais retrouver, elle m’a fixée, légèrement absente, la beauté de son visage, ses yeux bleus et purs, son air unique et souverain de Marguerite D. “Tu vois, j’étais exactement comme toi. Le même foulard, les mêmes couleurs, pareille.” Entre nous, sur la table, des feuilles de papier, un magnéto, des stylos, et le livre ouvert. » La jeune femme offre ensuite à la romancière un foulard léopard, qu’elle portera souvent jusqu’à sa mort le 3 mars 1996.

 

Réelle présence

Tout le talent de Colette Fellous est de faire revivre Marguerite Duras dans ces pages aussi émouvantes qu’intelligentes, et de faire sentir sa présence au lecteur, à tel point que, s’il lit ce récit avant de s’endormir, il est bien possible qu’il rêve dʼelle toute la nuit… « L’aimer, c’est prendre en vrac sa mémoire et sa vie entière », souligne Colette Fellous, qui explique aussi : « Elle avait en effet besoin de vivre un mythe, depuis sa très étrange enfance en Indochine dont elle ne s’est jamais séparée, et elle est devenue le mythe qu’elle a construit, elle, cette enfant des rizières et des forêts, née aux colonies, avec encore sur son visage vieillissant la mémoire intacte de toutes les sensations et de tous les paysages de là-bas, une jeune fille de l’eau et des forêts, des marécages salés, à l’embouchure du rac. Capable déjà de braver tous les interdits, de chasser les crocodiles avec les frères, de marcher pieds nus dans la forêt, de s’en aller à la ville avec son amant, d’être arrogante, de porter des chapeaux d’homme, de rêver à l’impossible. Rien n’aurait pu l’arrêter, même pas le délire, même pas l’alcool, même pas la solitude, elle a foncé entière dans sa vérité, dans ses vérités. » 

 

Citant Duras, faisant entrer son lecteur dans les coulisses de son célèbre entretien avec Jean-Luc Godard pour la télévision, ponctuant son récit de photos, l’auteure se livre ici à un exercice d’admiration très réussi, parce qu’il permet de mieux saisir la vérité d’une vie écrite.