Dans son « Cantique de la critique », Arnaud Viviant porte un regard rétrospectif sur son métier de chroniqueur littéraire, et propose à son propre lecteur de s’interroger sur ce qu’est la lecture.

Dans Cantique de la critique, Arnaud Viviant porte un regard rétrospectif sur son métier de « chroniqueur littéraire », terme qu’il affectionne tout particulièrement. Il ne s’agit pas d’un précis d’histoire de la critique littéraire comme L’Histoire littéraire (Armand Colin, 2010) d’Alain Vaillant, pas plus d’un pamphlet satirique sur le milieu germanopratin à la façon d’Édouard Launet dans Écrivains, éditeurs et autres animaux (Flammarion, 2013).

 

Rétrospection d’un regard kaléidoscopique

Mais l’auteur ne s’en cache pas : « Je ne prétends pas ici faire œuvre d’historien, ni même présenter une réflexion d’ensemble ou un bilan synthétique de la critique, essentiellement littéraire. (Même si je n’exclus pas quelque virée chez les critiques de cinéma qui restent malgré tout de chouettes copains.) Il s’agit plutôt de procéder à l’investigation de quelques points-clés de la critique. D’où le caractère volontairement discontinu de ce travail, détaillé sur quelques questions, elliptique sur bien d’autres. »

Arnaud Viviant, de la tribu de « l’Homo criticus », nous emmène dans les coulisses de son métier de cœur, le journalisme culturel, en faisant essentiellement référence aux critiques qui ont marqué sa génération : Jean Paulhan (encore et encore), Roland Barthes, Maurice Nadeau, Bernard Pivot… jusqu’à ressusciter les doyens de la profession comme Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1889) ou Albert Thibaudet (1874-1936), dont la pensée semble l’avoir profondément marqué (nous renvoyons ici nos lecteurs à Physiologie de la critique, paru en 1930). Dans cet aréopage de lettrés, on notera au passage l’inclusion insolite de Jean Baudrillard, plus à ranger sous la bannière des philosophes, voire sous celle des sociologues, que des critiques.

Composé de chapitres relativement courts dont certains des titres ne sont pas dénués de calembours (comme ce « Propos lavant » qui se veut aussi l’avant-propos, ou « Paulhan ploie », il fallait oser !), Cantique de la critique se lit comme un témoignage sur une époque-charnière entre la professionnalisation médiatique de la critique et son chant du cygne.

 

De la complexité de la lecture critique

Traversé par quelques traits d’esprit, le propos est sincère, parfois gouailleur – notamment lorsqu’il aborde les questions de l’écosystème germanopratin, du vedettariat littéraire ou de la démythification de certains monstres sacrés (comme Raymond Carver, qui, à en croire Arnaud Viviant, doit beaucoup à son éditeur) – et souvent d’une justesse qui peut parfois surprendre tant l’observation est désarmante de simplicité. Témoin cette phrase qui semble anodine : « Lire, pour le critique, c’est toujours regarder quelqu’un écrire. » Elle révèle avec subtilité que le lecteur professionnel, à l’inverse du lecteur amateur, est celui qui examine le mouvement de l’écriture avec une attention qui serait proprement littéraire   . Cette réflexion fait bien évidemment écho au roman à caractère autobiographique d’Arnaud Viviant, La Vie critique (Belfond, 2013), et montre à quel point la lecture est un terme beaucoup trop générique qui ne rend pas justice aux diverses facettes de cette activité protéiforme qui varie en fonction des objectifs qu’on lui donne.

 

Une affaire de goût

Comme tout lecteur en proie aux passions littéraires, le chroniqueur littéraire demeure assujetti aux affects. Tout est affaire de goût, de coup de cœur ou, le cas échéant, de rejet – qu’il s’agisse de dégoût ou d’ennui : « Autrement dit, le chroniqueur littéraire n’a jamais prétendu être un prescripteur, mais bel et bien un postscripteur. Il arrive après l’œuvre, il la découvre, il la décrit, il la juge, la déguste ou bien la recrache. Il essaie de rendre commun et démocratique ce qui est, a priori, purement subjectif et aristocratique : ses goûts et ses dégoûts littéraires. »

Lorsqu’Arnaud Viviant avance une définition très nuancée de la lecture (« Lire : c’est-à-dire renifler, flairer, étudier, décortiquer, expliquer, critiquer, défendre ou assassiner un texte. Rien de plus arbitraire. Rien de plus subjectif »), il semble rejoindre les travaux sur l’affectivité (à savoir tant la jouissance esthétique du matériau littéraire que son emprise affective) et la subjectivité de la critique littéraire   .

La fluidité de la lecture de Cantique de la critique achoppe parfois sur des termes très techniques et par conséquent relativement inusités – comme « aristarque » ou « catoblépas » –, mais dans l’ensemble l’écriture, de bonne facture, se veut accessible et donc pour tous publics. Covid oblige, le texte est coloré par endroits de quelques métaphores de la pathologie qui raviront les adeptes des humanités médicales et seront l’occasion de faire de judicieux rapprochements entre le fait littéraire et le matériau clinique.