Une histoire de la France contemporaine relue au prisme des influences et des échanges internationaux.

Résultant d’une réflexion née en séminaire de recherche, cet ouvrage collectif s’inscrit dans la lignée du succès de l’Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron mais aussi de l’engouement pour l’historiographie qui intègre une lecture globale. Les auteurs entendent ici revisiter certains des grands thèmes de la France contemporaine par un prisme transnational. Par une approche thématique, le collectif de seize chercheurs.euses mobilisé se donne l’ambition de comprendre les évolutions contemporaines de notre pays à travers les jeux d’influences et de relations multiples qu’il entretient avec le reste du monde.

 

« La France n’est pas un hexagone »

C’est partant de ce postulat qu’est bâti le projet collectif : il vise à démontrer, par de multiples thématiques, que la France contemporaine, loin de s’être construite isolément, est le fruit de jeux d’échelles nombreux, d’une « chaîne d’interdépendance à une échelle transcontinentale ». Attentifs aux circulations des hommes, des biens et des idées, les auteurs reprennent les grands champs de l’histoire nationale et veillent à les inscrire dans des processus d’intégration globale. A la fois produit et productrice des globalisations des XIXe et XXe siècle, la France est un acteur majeur des transformations mondiales, dans les domaines économiques, mais aussi culturels et politiques. L’ambition est alors de revisiter certains thèmes classiques, comme  la construction républicaine, la Révolution Française, l’exode ou l’identité culturelle « sous un jour tout à fait différent » car étudié dans un cadre transnational. En élargissant ainsi le regard, on saisit combien cette histoire, aussi singulière soit-elle, ne peut se comprendre sans un détour par l’ailleurs. La période étudiée est d’abord celle du basculement entre le 1er et le 2nd empire colonial français, au cours de laquelle les échanges s’intensifient, à la fois entre métropole et colonies mais également au-delà, dans de vastes zones d’influences françaises à travers le monde. La seconde moitié du XIXe siècle marque l’apogée de ce mouvement, avec un empire qui atteint une dimension mondiale. Les frontières poreuses et lentement construites de l’hexagone comme des empires formels et informels rendent possible à la fois la diffusion du modèle français mais aussi, à l’intérieur du territoire, des contre-modèles : « le regard vers l’Empire oblige à relativiser l’idée d’un territoire et d’une souveraineté homogène au-delà de l’Hexagone », soulignent ainsi les auteurs.

Au-delà, les relations entre la France – via sa capitale qui domine à elle-seule un vaste territoire – et ses colonies sont également à analyser sous le prisme de la diffusion du modèle républicain et de l’idée de démocratie : ainsi, les impacts des révolutions des XVIIIe et XIXe siècle, tout comme l’abolition de l’esclavage et la naissance d’une citoyenneté républicaine imprègnent à divers degré l’empire colonial, où les anciens esclaves comme les natifs ont longtemps disposé de statuts particuliers. La distinction entre la nationalité et la citoyenneté est ici centrale et l’histoire républicaine ne peut se contenter, comme le rappellent les auteurs, d’une étude de la situation métropolitaine, mais doit englober l’ensemble des territoires sous domination.

En dehors des frontières impériales, le soft power français se répand à travers le monde, notamment via les réseaux religieux, familiaux, militaires, culturels et scientifiques. Les mobilités, loin de concerner uniquement les classes aristocratiques, permettent d’un côté la diffusion de modèles politiques et culturels à l’étranger mais nourrissent également la société française : c’est le cas par exemple des nombreux exilés européens qui participent à la révolution de 1848 ou l’émigration de travailleurs étrangers en France, y compris dans le monde rural et dans les colonies (travail forcé, esclavage, déportation…).

Ainsi, comme le rappellent les auteurs, la formation de l’État français est un « processus multiscalaire et conflictuel » mais fait aussi de notre pays un des moteurs des évolutions contemporaines.

 

La France au cœur de l’évolution du monde contemporain

D’abord, la logique qui vise à dépasser le cadre hexagonal permet la mise au jour de ce que les auteurs appellent la :  « franco-mondialisation » . En effet, ils rappellent que si la période actuelle est celle du recentrement national et de la critique d’une mondialisation anglo-saxonne à outrance, la France a bien été moteur et produit de la mondialisation du XIXe siècle. Le soft power français se diffuse dans le monde entier, principalement à travers la langue « ciment de l’Empire ». Sont alors questionnés les échanges économiques, notamment autour de l’industrie textile. Elle permet à la France de dépasser ses frontières nationales et de s’insérer dans le capitalisme mondial, à travers une uniformisation vestimentaire, à la mode française. Grâce à une insertion dans une multitude de réseaux transnationaux dès le siècle précédent, les matières textiles, notamment soie et coton, sont commercialisées dans le monde entier. Ainsi, dans le domaine économique, la mondialisation est bien d’abord française – les auteurs rappelant d’ailleurs que le terme a été développé par Pierre de Coubertin. « Par des moyens formels et informels, la France a donc été l’un des grands vecteurs des vagues successives de la mondialisation », dont les formes et les contours ont dû être réinventés après la Seconde Guerre Mondiale et la perte de l’empire colonial.

La question révolutionnaire est elle aussi envisagée sous un angle international. Réinterrogeant ici de manière pertinente les influences étrangères sur les mouvements révolutionnaires français, puis le rôle de la France dans les révolutions du monde, les auteurs entendent en dépasser l’« imaginaire globalisé ». L’influence américaine est ainsi forte dans le déclenchement des événements français, même si d’évidence, « reconnaître les origines transnationales et impériales de la révolution française ne doit évidemment pas conduire à minimiser la rupture et le changement d’échelle produit par la séquence qui bouleversa l’hexagone en 1789 ». Mais c’est bien le modèle de la Révolution Française, « connue et réappropriée dans des espaces extra-européens », qui s’exporte ensuite dans le monde entier durant les périodes suivantes. Analysée dans un contexte continental et global, prenant en compte la colonisation, les échanges commerciaux et l’évolution des transports, le mouvement révolutionnaire prend de nouvelles acceptions. Dès le début du XIXe siècle, les idées révolutionnaires françaises se diffusent dans les colonies, aux Antilles, dans le reste de l’Europe mais aussi en Amérique latine où les mouvements de contestations se réclamant de l’exemple français sont nombreux. L’impact de la Révolution Française sur le reste du monde est donc très fort et « se dessine une fabrique mondialisée non centralisée ni orientée de modèles révolutionnaires français ».

Cette nouvelle approche permet de montrer la diffusion du mouvement révolutionnaire. Les révolutions suivantes, 1830, 1848 puis la Commune, montrent à leur tour un vaste espace de circulations d’idées et de modèles politiques, notamment de la République sociale, dans lesquels la France occupe « une place symbolique particulière ». La période post-révolutionnaire « laboratoire d’idées parfois généreuses et parfois répugnantes […] fut un des piliers de la franco-mondialisation », qui connaît son acmé sous le Second Empire.

 

Une exception française ?

Tout au long de l’ouvrage, les différentes contributions entendent également relativiser l’exceptionnalité de l’histoire française et de son modèle culturel et politique. Le « goût français », marqué par une « haute culture » du luxe mais aussi des mouvements intellectuels et artistiques d’avant-garde est bien une construction imaginaire sur laquelle s’est bâti notre culture nationale. Elle est en fait le fruit de processus d’influences multiples ; dues en partie à des étrangers : les auteurs rappellent ainsi que la haute couture, symbole de la culture française, est influencée par la mode orientale, et née d’un couturier Anglais associé à un Suédois installés à Paris ! Cette image de haut lieu de la mode marque pourtant l’imaginaire à l’échelle française mais aussi internationale. De la même manière, les mouvements intellectuels et culturels, du début du XIXe siècle à Mai 68, doivent beaucoup aux mouvements étrangers, anglo-saxons notamment. La culture française, loin d’être confinée, est en fait le fruit de jeux d’emprunts et d’influences et s’inscrit dans un cadre global.

Plus profondément ancré dans notre perception de nous-même et de notre histoire, l’exception française serait aussi celle du modèle et de la fabrique de l’État. La croyance selon laquelle « la France aurait produit un modèle d’État unique en son genre » est ici réfutée car là encore, l’ouvrage prouve que ce sont en fait de multiples acteurs qui ont participé à la construction de l’État aux échelles locales, régionales mais aussi transnationales. En questionnant sous un angle nouveau le processus de construction étatique apparaissent clairement les influences étrangères – par exemple sur les lois sociales ou le droit du travail – et in fine, on rappelle qu’à l’évidence, l’idée républicaine n’est pas française mais remonte d’abord à l’Antiquité. De la même manière, les auteurs démontent l’idée d’une école républicaine, ciment de la citoyenneté et de l’unité de la nation. Ils rappellent que, sur ce thème comme sur les autres, le maître mot a été l’adaptation aux réalités locales et régionales, en métropole et dans les colonies. Si « la République a incontestablement permis à la France de façonner sa propre histoire », le modèle voyage ensuite à travers le monde : la citoyenneté française est introduite très tôt dans les colonies – où elle reste limitée aux seuls colons – et l’imaginaire républicain se diffuse. Les auteurs analysent par exemple l’influence de Marianne – elle-même issue des allégories féminines britanniques ou germaniques – en Amérique latine. 

Face aux doutes actuels sur les capacités de l’État et de la République à répondre aux enjeux de société, dans les contextes de construction européenne et de mondialisation, les auteurs invitent ainsi le lecteur à repenser, sans l’idéaliser, l’histoire de notre construction républicaine.

 

Cet ouvrage collectif se donne une grande ambition : « changer de regard historique » en décentrant l’analyse et en comprenant l’histoire française autrement. Par la richesse des thématiques traitées et des liens explorés, on ne peut qu’être convaincu de l’utilité d’analyser notre histoire contemporaine au prisme de l’histoire globale, loin du repli national. S’il est évident que « la culture nationale joue un rôle transnational », la réponse de ces historiens aux questionnements et aux doutes de notre société actuelle donne du grain à moudre aux réflexions sur notre avenir commun.