Au coeur du XVIIe siècle et de ses chaos, ce roman polyphonique suit le destin de musiciens et dessine un amour absolu malgré ses intermittences.

Le titre de ce roman peut renvoyer le lecteur à l’un des plus célèbres poèmes baroques, le sonnet « Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage » (publié en 1628) de Pierre de Marbeuf. La violiste Thullyn, qui vient de la Baltique, est aussi une nageuse passionnée qui rappelle l’héroïne de Villa Amalia (2006). Elle a été l’élève de Sainte-Colombe, personnage fascinant de Tous les matins du monde (1991) que l’on voit réapparaître dans ce nouveau roman où se tissent les destins de musiciens dans une Europe marquée par les guerres, les émeutes et les épidémies. L’auteur nous fait connaître la première « suite » du monde baroque, Le Tombeau de Monsieur de Blancrocher, composé par le claveciniste Froberger après la mort de ce luthiste qui avait dégringolé dans son escalier rue des Bons-Enfants. La chute est un thème qui hante ce roman, jusque dans le suicide de Josepha, la jument de la princesse Sibylla von Württemberg, qui se jette dans un ravin : « Elle regardait, au loin, si loin, dans le vague, la jument s’approcher du ravin, tourner vers elle son beau regard lentement, réfléchir, lui jeter un long regard, se jeter dans l’abîme. »

 

« La musique, ce sanglot de mort »

Thullyn aime follement Lambert Hatten, plus âgé qu’elle, natif de Mulhouse, qui compose sur son théorbe une musique qu’il refuse de publier et même d’interpréter. Elle a perdu son père, il a été adopté. Ils se séparent, se retrouvent, se perdent pour finir. Le lecteur suit toutes les histoires éclatées des différents personnages, dans différents flux de conscience où il peut se perdre parfois. La musique constitue le cœur de ce roman, qui contient aussi des références picturales, comme la Vue d’Anvers de Jan Baptist Bonnecroy, d’où semble sortir l’un des personnages. Si la prose est continue, elle évoque souvent la poésie, comme dans le dialogue entre Hatten et Sainte-Colombe, qui dit : « Il y a quelque chose en moi qui se perdra dans le bonheur et un peu de lumière. »

 

La preuve par le style

Le lecteur est happé par la très belle facture de ce roman et par l’écriture si caractéristique de Pascal Quignard, qui poursuit ici son ample méditation sur le sexe et l’effroi, l’origine, la naissance, le rêve, les multiples formes de l’amour. C’est un livre qui se lit lentement, dans sa superbe composition où s’ajointent et se suivent des fragments épars et bouleversants :

« Un jour la vie se dévêt. / Aux derniers jours, aux derniers âges, la vie qui a été vécue se découvre à la façon des détritus sur une plage quand l’océan s’en va. / On marche dans des trésors dépareillés mais où tout étincelle. / Plus la marée est grande, plus la mort est proche, plus l’estran est sublime. / Plus la merveille est discontinue et vaste. / Plus le monde est profond, la nuit immense. / Le ciel infini. »

L’épilogue surprenant, qui inscrit ce roman dans un temps long, donne envie de le reprendre à ses premières pages, avec le remords de l’avoir lu trop vite. L’érudition s’y mêle à la méditation et à l’invention : le lecteur savoure cette alliance si rare.