Et si on adoptait une approche nuancée de l'immigration ? Le sociologue Smaïn Laacher nous y invite dans un essai incisif.
Face à une question complexe qui intéresse la société, il est en principe recommandé de suspendre le jugement pour en documenter les différents aspects et débattre sereinement des solutions qui pourraient y être apportées. Or c’est peu dire que cette méthode ne trouve pas à s'appliquer concernant l’immigration. Un domaine où les positions aussi tranchées qu’antagonistes foisonnent, entre protection du territoire national et accueil inconditionnel des réfugiés, comme on l’a vu encore récemment à propos des Afghans.
On peut alors avoir l’idée, à l’image des péchés capitaux qui entraînent tous les autres, de remonter aux travers fondamentaux qui empêchent de penser la question. C’est ce à quoi nous invite le sociologue Smaïn Laacher, qui connaît bien le sujet, dans ce petit livre d’humeur.
Les sept péchés capitaux revisités
La suspicion qui se porte sur l’étranger est peut-être celui, parmi tous ces travers, qui vient le premier à l’esprit.
La paresse, tout de suite après, qui pousse à privilégier les solutions les plus simples dictées par l’intuition, qui semble parfois affecter aussi bien les associations engagées en faveur des migrants que le pouvoir d’Etat.
La présomption ensuite, et en premier lieu celle de l’Etat, qui fournit, comme le rappelle l’auteur au passage, l’essentiel des catégories dans lesquelles il est possible de penser l’immigration, y compris pour ceux qui veulent contester son action, et qui se manifeste dans des déclarations souvent caricaturales de quelque bord qu’elles proviennent (sauf chez les juristes), note l’auteur.
La certitude aussi ou la conviction qui dispense en la matière de toute véritable connaissance des causes et des effets des actions, et des transformations de l’organisation sociale, et qui conduit tout droit par exemple à la théorie du « grand remplacement » ou encore à la figure du « faux réfugié », à laquelle S. Laacher avait déjà cherché à tordre le coup dans un livre précédent (Croire à l'incroyable. Un sociologue à la Cour nationale du droit d'asile ). Si difficiles à combattre parce que relevant d’un jugement moral, qui une fois posé ne souffre plus la contradiction.
L’ignorance encore, entretenue par les « marchands de doute » qui prolifèrent dans les univers médiatiques, politiques et militants, avec l’aide des réseaux sociaux, et qui, là encore, fait fi de la complexité des relations sociales, comme lorsque l'on prétend reconnaître dans les réseaux de passeurs une des causes principales de l’immigration.
La démesure, que l’on peut voir à l’œuvre dans la manière dont on traite désormais la ou les « frontière(s) », qu’il s’agisse des partisans de leur abolition ou au contraire de leurs défenseurs les plus acharnés.
La soumission enfin aux attentes de l’électorat, prenant la forme d’un appel au peuple souverain et d’une convocation de « faits négatifs », qu’il est proprement impossible de contredire, et qui dictent ainsi une conduite.
Dépasser les simplifications
Plus que d’autres, pour des raisons qui pourraient être approfondies, le sujet se prête aux simplifications les plus extrêmes, qui le constituent en moyen de clivage social et politique, largement artificiel, mais terriblement efficace. Parfois, les choses sont un peu plus compliquées qu’on veut bien le croire, il faut oser le dire et chercher le moyen de se faire entendre. Ce petit livre s’y essaie.