L’historien militaire Hubert Heyriès, spécialiste de l’armée italienne et de ses soldats, s’est éteint de façon brutale le 30 mai 2021. Hommage de ses proches.

L’historien militaire Hubert Heyriès, spécialiste de l’armée italienne et de ses soldats, s’est éteint de façon brutale le 30 mai 2021. Humble et discret, ses écrits apparaissent comme les modèles d’un travail historique exigeant et solidement sourcé. Il laisse une œuvre conséquente par laquelle il a réfléchi à l’engagement, au lien entre l’armée et la construction de la nation ou encore au quotidien des soldats, parmi d’autres sujets au cœur du renouvellement de l’histoire militaire.

* Ce texte a été initialement publié dans la revue Historiens & Géographes.

Le chercheur (François Cochet)

Après son agrégation d’histoire, la carrière scientifique d’Hubert Heyriès commence avec la thèse qu’il soutient sous la direction de Jules Maurin, à Montpellier en 1998. Elle portait sur « Les militaires savoyards et niçois entre deux patries (1848-1871) : approche militaire comparée armée française, armée piémontaise, armée italienne », qui lui vaut ensuite d’être élu comme maître de conférences dans cette même université de Montpellier. Hubert Heyriès oriente ensuite ses recherches sur la thématique des Garibaldiens, dont il devient le spécialiste incontesté en France. Il y consacre deux forts ouvrages (Les garibaldiens de 14, splendeurs et misères des chemises rouges en France de la Grande Guerre à la Seconde Guerre mondiale, Nice, Editions Serre en 2005 et Garibaldi, héros d’une Europe en quête d’identité, Nice, Editions Serre, 2007). L’HDR suit, le 19 octobre 2006, que j’ai eu le privilège de présider et qui lui permet d’accéder à un poste de Professeur des universités, toujours à Montpellier. Dans le sillon ouvert par deux des grands rénovateurs de l’histoire militaire en France, André Martel et Jules Maurin, il inscrit ses recherches dans la sphère italienne. Il produit notamment en 2014, un ouvrage d’une grande originalité sur Les travailleurs militaires italiens en France pendant la Grande Guerre, « Héros de la pelle et de la truelle » au service de la victoire (Montpellier, PULM) et connaît un succès éditorial en Italie même avec son Italia, 1866, Storia di una guerra perduta e vinta (Bologne, Il Mulino, 2016). Mais c’est son dernier ouvrage, Histoire de l’armée italienne (Paris, Perrin, 2021), sorti quelques mois avant son décès, qui laissera son empreinte. Il montre combien l’Italie se construit autour de son armée, que cette dernière est l’interprète d’un sentiment national commun devenu facteur de cohésion. Il revient sur nombre d’images d’Epinal dévalorisantes telle l’absence de combativité des soldats italiens durant les deux conflits mondiaux. Hubert Heyriès remplit ainsi à plein le rôle social qui échoit à l’historien : régler un sort à certaines sornettes mémorielles pour comprendre la complexité de l’histoire et la rendre intelligible d’une manière pédagogique, ce qu’il savait infiniment bien faire.

Mais l’activité scientifique d’Hubert Heyriès s’étendait aussi à toutes les autres dimensions de nos métiers d’enseignants-chercheurs. Durant les soutenances de thèses, rituel important scientifiquement et humainement, il traitait toujours le candidat avec dignité, même lorsqu’il émettait des critiques plus ou moins vives. Ses communications de colloque étaient, à l’image du personnage, rigoureusement documentées et construites, établies sur des sources bien maîtrisées, mais émaillées de traits d’esprit et de sourires plein d’humour. Hubert est mort avant d’avoir donné la pleine mesure de son talent. Mais les ouvrages qu’il nous laisse, comme autant de testaments scientifiques, lui permettent d’ores et déjà de s’inscrire parmi les plus grands historiens de la culture militaire d’aujourd’hui.

Le collègue (Jean François Muracciole)

La mort soudaine d’Hubert Heyriès a plongé ses amis et ses collègues dans la stupeur et la tristesse. Cet arrachement nous ramène à trente ans de vie commune, trente ans de travail, mais aussi trente ans d’amitié, de complicité, de bonne entente jamais démentie. Sur l’historien et sur son œuvre, l’essentiel a été dit par François Cochet. J’ajouterai simplement qu’en dépit d’une modestie exagérée, Hubert Heyriès était l’un des meilleurs historiens militaires français, capable de parler avec autorité aussi bien des guerres du 19e siècle que des stratégies nucléaires. L’impressionnante diversité des mémoires de maîtrise ou de master et des thèses qu’il a dirigés en témoigne avec éclat. Dans le domaine des War Studies fortement dominé par les Anglo-Saxons, il était l’un des rares historiens français à disposer d’un authentique rayonnement international. Lors de la dernière conversation que j’ai eue avec lui, il m’expliquait combien il était fier que le prestigieux éditeur Einaudi se soit tourné vers lui pour la rédaction d’une histoire militaire du Risorgimento. Einaudi avait prévu une traduction, mais Hubert insista pour rédiger l’ouvrage en italien. Ce livre auquel il tenait tant demeurera, hélas, inachevé. Plus que l’historien, c’est le collègue et l’ami, que j’aimerais évoquer. Le premier élément qui frappait chez Hubert était son élégance subtilement old school anglaise. Ajoutons une belle voix de basse, un peu épaissie par le tabac, et qu’il savait moduler selon son auditoire. Tous ceux qui l’ont entendu savent qu’Hubert était un magnifique orateur. Il avait l’art de captiver ses auditoires  ; des générations d’étudiants s’en souviendront longtemps. Ces détails ne sont pas anodins. Comme souvent chez les meilleurs, le fond et la forme se fondaient chez lui. Ses écrits, dépourvus de tout jargon, avaient de la prestance. Sa pensée, toute en mesure et toujours appuyée sur les faits, fuyait l’outrance des systèmes, ce qui ne veut pas dire qu’elle était tiède.

Hubert Heyriès était aussi un travailleur acharné, sacrifiant son temps libre à la recherche. C’est avec gourmandise qu’il attendait les vacances pour se précipiter dans ses chers archivi storici, à Rome ou à Turin, où il s’enfermait tout l’été. Ce qui ne l’empêchait pas, le soir venu, de rechercher les meilleures trattorie. Même travail acharné au sein de son Université où il fit toute sa carrière, ne rechignant pas devant les charges, siégeant dans ses conseils, se présentant à sa présidence ou dirigeant son antenne de Béziers. La mort d’Hubert nous ramène au souvenir de nos meilleures années. Le maître-mot que l’on entendait route de Mende, vers 1990-2000, dans le laboratoire fondé par le Maître André Martel (qui avait fait venir Hubert à Montpellier, en tant que « scientifique du contingent »), était « équipe ». Ce n’était pas un vain mot et Hubert Heyriès, en digne élève de Martel, mais aussi de Jules Maurin et de Jean-Charles Jauffret, n’était pas le dernier à l’employer ni à le mettre en pratique. C’est au sein de ce laboratoire, autour de sa revue, dans de nombreux colloques et ouvrages collectifs, par des rayonnages de mémoires de maîtrises, de DEA, de masters et, bien sûr, de thèses, que s’est en partie opérée en France la transformation d’une histoire militaire traditionnelle et figée en une histoire globale. Hubert Heyriès a largement pris sa part dans cette révolution. Sa thèse sur les Officiers savoyards entre deux patries, le Piémont et la France, est un modèle d’histoire militaire mâtinée d’histoire sociale et culturelle et son grand livre consacré aux Garibaldiens est l’une des plus belles synthèses sur les combattants de la Grande Guerre. La mort s’est manifestement trompée de porte en frappant à celle d’Hubert. Le flegme d’Hubert, sa bonne humeur, sa finesse, sa chaleur, son rire n’ont pas fini de nous manquer.

Le professeur (Anthony Guyon)

« Il est plus beau d’éclairer que de briller seulement  », ces mots de Thomas d’Aquin révèlent pleinement le pont que fut Hubert Heyriès entre ses étudiants de Montpellier, puis de Béziers, et l’histoire. Cet historien, exigeant envers lui-même et amoureux des sources, a marqué plusieurs générations d’étudiants héraultais. De ses TD sur la France et les États-Unis des XIXe-XXe siècles à ses cours sur l’homme et les sociétés en guerres en Master, en passant par sa préparation minutieuse aux concours, Hubert Heyriès fait partie de ces enseignants que l’on ne peut oublier. Ses cours, passionnants et remarquablement structurés, étaient un modèle de ce qui était attendu, tant aux concours que dans la recherche. À tel point que l’expression « faire un plan à la Heyriès », sous-entendu ternaire, réfléchi et logique, était devenu synonyme de pleine réussite pour ses étudiants. Il s’appliquait cette rigueur organisationnelle dans l’immense majorité de ses cours, ses interventions en colloques et ses ouvrages à l’image de son Histoire de l’armée italienne qui rassemble toutes ses qualités de chercheur. Au fond, Hubert Heyriès marquait par l’équilibre recherché entre l’exigence et la bienveillance envers ses étudiants. Si ses constats pouvaient paraître sévères, ils étaient toujours respectueux et aspiraient à améliorer la qualité globale des travaux proposés. Chaque compétence exigée envers ses étudiants chercheurs, il se l’appliquait au centuple. Demandant un travail sur les sources dès les mémoires de maîtrise ou Master, il passait lui-même ses deux mois estivaux dans les sources. Il n’était donc pas rare de recevoir la relecture d’un chapitre alors qu’Hubert Heyriès était à Sienne, Florence, Turin ou Rome, en plein mois d’août.

Il est certes difficile de parler d’Hubert Heyriès au passé mais élève de Jules Maurin, puis tenant d’une histoire militaire assumée et exigeante, il laisse une empreinte profonde à l’université de Montpellier et son antenne de Béziers. Il restera l’incarnation d’une histoire élégante qui affirme certes ses idées mais ne se perd pas dans les querelles historiographiques. Humble et loin des polémiques stériles, il était un enseignant-chercheur qui se partageait entre son travail d’enseignant, ses longs séjours dans les archives italiennes et sa participation à des colloques où il avait le mérite de toujours proposer des productions neuves et structurées. À titre plus personnel, j’ai connu Hubert Heyriès dès ma première année à Paul Valéry à Montpellier. Nous avons surement tous eu au cours de nos études une rencontre décisive. Pour ma part, ce fut celle-ci. J’ai rapidement su que si j’accomplissais une thèse, ce serait sous sa direction. Il avait ce talent pour m’obliger à améliorer mon écriture, à m’orienter vers des questions auxquelles je n’avais pas songé, à être au cœur de la recherche et en résumé à fournir la meilleure thèse possible. Je ne pense pas que sans lui, je me serai senti capable de mener à terme cette recherche en la conjuguant avec un poste dans le secondaire et une vie de famille. Hubert Heyriès était ce genre d’enseignant qui vous aide à devenir meilleur.

Bibliographie:

Histoire de l’armée italienne, Paris, Perrin, 2021.

La breccia di Porta Pia (20 settembre 1870), Il Mulino, 2020.

Italia 1866. Storia di una guerra perduta e vinta, Il Mulino, 2016

Histoire militaire, Études de défense et politiques de sécurité. Des années 1960 à nos jours, Economica, 2012.

Garibaldi et garibaldiens en France et en Espagne. Histoire d’une passion pour l’Espagne, Presses universitaires de Bordeaux, 2011.

• (avec Jean-François Muracciole), Le soldat volontaire en Europe au XXe siècle. De l’engagement politique à l’engagement professionnel, Presses universitaires de la Méditerranée, 2008.

Garibaldi, héros d’une Europe en quête d’identité, Serre, 2007.

Les Garibaldiens de 14. Splendeurs et misères des chemises rouges en France de la Grande Guerre à la Seconde Guerre mondiale, Serre, 2006.

• Garibaldi. Le mythe de la révolution romantique, Privat, 2002.

Les militaires savoyards et niçois entre deux patries (1848-1871). Approche d’histoire militaire comparée  : armée française, armée piémontaise, armée italienne, Presses universitaires de la Méditerranée, 2001.

* François Cochet est Professeur émérite à l’Université de Lorraine-Metz et président du Conseil d’orientation scientifique de l’EPCC Mémorial de Verdun-Champ de bataille. Jean François Muracciole est Professeur à l’Université Paul-Valéry, Montpellier 3. Anthony Guyon est enseignant en lycée et à Sciences Po.