Très éprouvée par la crise, la jeunesse peut avoir le sentiment d'être sacrifiée et adopter en conséquence différentes attitudes allant de la révolte au désengagement.

Peut-on parler d'une jeunesse sacrifiée ? Un petit livre de la collection de La Vie des Idées qui réunit les contributions de plusieurs sociologues et politistes, coordonnées par Tom Chevalier et Patricia Loncle, permet de faire un point utile sur la question.

Les jeunes en passe de s’insérer sur le marché du travail ou les jeunes adultes, sur lesquels le livre se concentre, ont particulièrement souffert depuis deux ans de la Covid-19, comme chaque fois qu’une crise économique bat son plein. Parce qu'ils occupent des emplois souvent précaires, ils sont en effet la première variable d’ajustement lorsque les entreprises limitent les embauches. Les moins diplômés et ceux qui pouvaient le moins compter sur leurs parents pour les aider ont souffert davantage. La crise actuelle a ainsi contribué à accroître les inégalités entre les générations mais également entre les jeunes eux-mêmes. Car les inégalités entre les générations ne doivent pas conduire à occulter les inégalités que l’on trouve au sein d’une même génération, comme le rappelle Camille Peugny dans l’article qui ouvre le volume, d'autant que l'on sait que ces dernières ont, en France plus qu’ailleurs, une forte tendance à se reproduire.

Or les politiques publiques concernant les jeunes, qu’il s’agisse du système éducatif, de l’emploi ou des politiques sociales, ignorent largement ces phénomènes. Les politiques éducatives, par exemple, continuent d’être pensées principalement à travers le prisme de l’adéquation entre la formation et l’emploi, qui manque largement son objet, comme l'explique Nicolas Charles dans un article qui pointe les différents manques de ces politiques dans le cadre de la massification scolaire des dernières décennies. Et les politiques sociales opérant en France sur la base de l’âge ont la fâcheuse tendance à considérer que les jeunes entretiennent un rapport au travail par nature déficient, qui entraîne alors une disqualification des demandes d’aide sociale, qui joue également un rôle dans le non-recours à ces aides que l’on constate pour cette population, comme l’expliquent Léa Lima et Benjamin Vial dans leur étude.

Il en est allé de même des mesures spécifiques prises pour limiter l’impact économique et social de la Covid-19. Les jeunes auront en effet globalement très peu bénéficié des aides de l’Etat versées dans le cadre du « quoi qu’il en coûte », ce qui n’a pas été, dans certains cas, sans alimenter leur colère. Une colère qui trouve à s’exprimer, depuis quelques temps, de différentes façons, comme le montrent Sarah Pickard et Cécile Van de Velde dans leur contribution, entre discours antisystème, abstention volontaire (ou l’engagement s’exprime par le style de vie) et radicalisation militante.

Mais la participation des jeunes peut aussi prendre des formes autrement ciblées, comme l’illustrent les coordonateurs de l'ouvrage dans l’article qu’ils consacrent à l’expérience, assez singulière, d’un groupe de jeunes, au déjà long parcours d’engagement associatif, à l’origine d’un bureau d’études coopératif pour accompagner le développement d’actions publiques en faveur des jeunes adultes. 

A la détérioration de la situation matérielle des jeunes et aux lacunes de l’action publique, la crise actuelle a ajouté des enjeux éducatifs et psychologiques, liés aux écueils de la formation à distance, à l’isolement et aux différents empêchements qu’ont expérimentés les jeunes au moment où ils négociaient leur passage à l’âge adulte, comme le récapitulent alors, à la suite, les mêmes auteurs. L’ampleur du phénomène laisse penser que ces difficultés pourraient laisser des traces plus importantes que dans le cas des crises précédentes, et avoir des conséquences politiques plus significatives, même s’il est pour l’instant difficile d’imaginer en quoi elles pourraient consister précisément.