En revisitant ces trois chefs d’œuvre, le Palais Garnier proposait une création chorégraphique, une « réintroduction » au répertoire et un moment phare de l'histoire de la danse.

Rhapsody, sur la musique de la Rhapsodie sur un thème de Paganini (1934) de Rachmaninov ; Faunes, sur la musique du Prélude à l’après-midi d’un faune (1894) de Debussy ; et Le Sacre du printemps (1913) sur la musique de Stravinski. En revisitant ces trois chefs d’œuvre du répertoire symphonique et concertant, composés à seulement quelques décennies d’intervalle, cette soirée au Palais Garnier proposait une création chorégraphique, une « réintroduction » au répertoire et un moment phare de l'histoire de la danse.

Pour certaines oreilles, Rhapsodie sur un thème de Paganini sonne comme une série de variations en noir et blanc. C’est pourtant le parti de la couleur qu’a choisi Frederick Ashton dans cette chorégraphie qui avait été créée en 1980 à Londres, pour les 80 ans de la Reine mère Queen Elizabeth, et donnée en 1996 au Palais Garnier avant de disparaître du répertoire parisien. La régularité des carrures du thème de Paganini y est prétexte à d’inventifs jeux de symétrie, les variations en monnayage rythmique croissant jouées dans la fosse voyant leur parallèle sur scène exprimé par un dynamisme des corps toujours plus virtuose. Quant aux variations les plus lentes (11 à 18), elles accompagnent la vision d’une irisation de corps en apesanteur. 

Changement du tout au tout avec Faunes de Sharon Eyal, cette chorégraphe issue de la Batsheva Dance Company que le monde de la danse s’arrache aujourd’hui. Si son style est tributaire de la tradition, il emprunte assurément une voie originale, s’inspirant des côtés souples et comme improvisés de la musique du Prélude à l’après-midi d’un faune pour développer une gestuelle de rêverie. D’autres épisodes insistent davantage sur l’animalité du faune et privilégient un maelström de séquences brutales, hachées. Mais lorsque les cordes entonnent leur longue et somptueuse phrase alla Massenet, piétinements et trépignements s’estompent, et les corps statufiés semblent s’unir à la faveur d’harmonies solaires.

Passer du Debussy du Prélude au Stravinski du Sacre, c’est quitter l’apollinien pour le dionysiaque. L’argument du ballet est connu : Stravinski décrit un rite païen au cours duquel, pour célébrer le passage de l’hiver au printemps, on sacrifiera l’Élue. L’œuvre est donnée dans la chorégraphie même de Vaslav Nijinski. On ne peut que se réjouir des patients efforts de reconstitution de Dominique Brun. C’est à un minutieux travail d’historien qu’elle a dû se livrer dans la mesure où l’on ne disposait ni de notes ni d'images du ballet original. Nul mouvement académique dans cette version chorégraphique. Mentionnons seulement les grouillements d’insectes que sous-tendent les martèlements des huit cors ; et, pour les quelques épisodes musicaux où le contrepoint l’emporte sur l’harmonie, une somptueuse polyphonie des corps, telle une fantastique mêlée de rugbymen.