Cette édition érudite de M. Huchon donne à lire, dans son contexte littéraire et sa complexité intertextuelle, l’œuvre de Louise Labé, née à Lyon du travail collectif de poètes de la Renaissance.

Cette édition dans la Pléiade des Euvres de Louïze Labé Lionnoize, accompagnées de multiples documents, s’inscrit dans la continuité des nombreuses études de Mireille Huchon et notamment de son livre Louise Labé, une créature de papier (2006). Publiées à Lyon par Jean de Tournes en 1555, puis rééditées en 1556 avec de petites modifications, ces Euvres sont précédées d’une dédicace aux accents féministes : « à M. C. D. B. L. » La note explicative est aussi prudente qu’érudite : « Si le contexte invitait à lire Madamoiselle pour le M, Lionnoize pour le L, de pour le D, restaient C et B, pouvant correspondre à Clemence et à Bourges seulement pour ceux qui connaissaient la jeune fille. Celle-ci jouissait cependant, en 1555, d’une certaine réputation à Lyon. […] Pour certains commentateurs modernes, sa présence serait un gage incontestable de la vertu de Louise Labé, en raison du statut social de Clémence de Bourges. […] Le lecteur d’aujourd’hui est invité par ces initiales à s’interroger sur l’identité de la dédicataire et […] le lecteur de l’époque, peut-être aussi perplexe face au cryptage, était, lui, à même de reconnaître en filigrane de cette épître maints ouvrages d’une actualité désormais oubliée. »

 

Œuvre en prose et œuvre poétique

Dans le « Débat de Folie et d’Amour », on peut lire cette fameuse formule : « le plus grand plaisir qui soit après amour, c’est d’en parler. » Cette œuvre en prose, pleine d’érudition et de références antiques, est suivie de l’œuvre proprement poétique : trois élégies, vingt-quatre sonnets, en tout 662 vers. Mais l’originalité de cette édition est de restituer le recueil original, tel qu’il parut à Lyon, ville très active à la Renaissance, connue pour le climat d’émulation intellectuelle qui y régnait, dans le sillage de l’invention de l’imprimerie. Le lecteur a donc accès à une section essentielle, souvent omise dans les rééditions modernes : les « Escriz de divers Poëtes, à la louenge de Louïze Labé Lionnoize », ensemble de vingt-quatre pièces (autant qu’il y a de sonnets de Louise Labé) anonymes ou aux signatures cryptées, précédées d’un sonnet « Aux Poëtes de Louïze Labé ». S’y discernent des poètes connus, Scève, Magny, Baïf, Tyard et d’autres, qui se jouent du lecteur au moyen de correspondances cachées et de connivences à réinterpréter. Autant d’occasions pour l’universitaire de nous éclairer dans des notes érudites et précises où se concentrent des années de travail.

 

Une œuvre polyphonique et collective

Le livre composite de 1555 suit des modèles italiens où les poètes masculins célébraient les plumes féminines. Cette opération collective brillante procède par renvois, réponses, contrepoints entre des poètes impertinents, lyonnais ou membres de la Brigade, la future Pléiade, soucieux d’expérimentations poétiques en langue française, dans l’imitation des figures antiques pour créer un Panthéon français. C’est ce qu’on découvre dans le Florilège, qui rassemble à la fois les sources antiques (Sappho, Catulle, Ovide) et les poèmes « modernes » (Pétrarque, Marot, Ronsard etc.) qui entrent en résonance avec les Euvres et avec les « Escriz ».

 

La mystérieuse Louise Labé

« Louïze Labé Lionnoize » n’a laissé aucune autre trace. Mais il subsiste des pièces notariales concernant une certaine Loyse Labbé (attention à l’orthographe !) : la belle Cordière de nos belles études de lettres devenant soudain une pure légende… Elle était fille et femme de cordiers illettrés, il reste des papiers sur ses opérations immobilières, et le testament, signé le 28 avril 1565, de « dame Loyse Charlin, dite Labbé ». Réalité et fiction se sont donc amalgamées, dans cette confusion des deux femmes et des deux noms, en une figure légendaire, à la vie très romanesque et sulfureuse. Selon des témoignages contemporains, la belle Cordière aurait été une courtisane à la vie agitée. Mais cette mauvaise réputation (d’empoisonneuse et d’hérétique entre autres) n’est-elle pas plutôt due aux calomnies d’hommes qui n’auraient pas supporté qu’une femme prît la plume ? Mireille Huchon réunit toutes les pièces du dossier dans la section Documents et commentaires.

Il faut saluer ce travail remarquable, et tout à fait conforme aux attendus de la Bibliothèque de la Pléiade par sa documentation et la précision de ses notes et notices. Il permet de relire comme à neuf, et dans leur contexte singulier, les vers entrés depuis longtemps dans notre mémoire aussi bien intime que patrimoniale :

« Baise m’encor, rebaise moi et baise :

Donne m’en un de tes plus savoureus,

Donne m’en un de tes plus amoureus :

Je t’en rendrai quatre plus chaus que braise. »