Longtemps Nathalie Quintane, qui est professeur de français, s'était abstenue d'écrire sur l'école, mais elle vient de publier trois livres sur le sujet distribuant entre eux ce qu'elle avait à dire.

Nathalie Quintane vient de faire paraître successivement trois livres sur l’école : Un hamster à l’école (La Fabrique), J’adore apprendre plein de choses (Hourra) et La cavalière (P.O.L.). Le premier est une chronique de ses années d’école, d’élève et d’enseignante. Le dernier, une enquête sur un type de rapport à l’institution qui avait pu exister dans les années 1970. Le deuxième est le plus déroutant mais aussi, sous des dehors comiques, le plus cruel pour l’institution. Nathalie Quintane a aimablement accepté de répondre à quelques questions pour présenter ce livre pour nos lecteurs.

 

Nonfiction : Vous venez de faire paraître en peu de temps trois livres sur l’école, tous les trois très différents, dont celui-ci, J’adore apprendre plein de choses. Pourriez-vous expliquer ce qui vous a motivée à mettre en chantier non pas un seul mais trois livres ? Et comment vous avez procédé dans l’écriture de ceux-ci et en particulier de celui qui nous occupe ici ?

Nathalie Quintane : Un seul de ces livres a été, dès le début, un projet à part entière : La cavalière, qui vient de sortir chez P.O.L. Les deux autres ont longtemps été confondus, fragments écrits l'un après l'autre, sans objectif précis, jusqu'à ce que j'essaie d'agencer ces petits tas plutôt que de les ordonner. A un moment, je me suis aperçue qu'il y avait une unité de ton — côté Hamster, côté J'adore — et qu'il valait mieux que j'en fasse deux livres, au cas où cela intéresse un éditeur, La cavalière étant réservé à P.O.L. J'ai toujours eu des relations fortes avec les éditeurs — c'est le modèle P.O.L., soit un lien symbolique qui n'a pas forcément grand chose à voir avec le nombre d'exemplaires qu'on espère écouler, d'une part comme de l'autre. Quand Eric Hazan m'a dit que le Hamster l'intéressait, qu'il voulait le publier, je n'ai pas hésité, bien sûr. Quant à J'adore apprendre plein de choses, c'est la rencontre avec Clément Boudin, jeune éditeur qui n'avait alors publié qu'un livre de Pierre Alferi, très beau livre, La sirène de Satan, qui m'a décidée. Le catalogue de l'éditeur est très important pour moi, peut-être moins pour m'y inscrire que pour l'aborder, voire le déborder ; c'est ainsi que je vois le travail fait avec P.O.L. et la Fabrique, en particulier.

J'adore apprendre plein de choses est un livre à démarrage externe : la plupart des textes ont été déclenchés par une phrase cueillie à la radio ou dans des discours ; ce sont des phrases d'experts, de spécialistes de l'éducation, qui pensent que ça va mal et qu'il faudrait faire comme ci et comme ça, ou qui ont des tas de conseils à donner… Il y a des phrases d'Alain Finkielkraut, par exemple, et bien sûr de Jean-Michel Blanquer, qui fournit le titre du livre, « J'adore apprendre plein de choses », c'est une phrase de Blanquer !

 

Ce livre se présente comme une succession de courts chapitres, qui illustrent autant de situations vécues par le corps enseignant (Il faut être enseignant pour se demander quel genre d’élève peut vous brandir une arme factice sous le nez ?). Ces chapitres prennent principalement la forme de dialogues, vite déjantés, où surgissent au fil des phrases des manières de penser, de se comporter, voire des travers propres au métier d’enseignant. Faut-il y voir une description du métier, et sinon quoi ?, qui emprunte alors cette forme particulière ?

L'arme factice, ce n'est pas du vécu ! C'est un fait-divers qui avait défrayé la chronique, comme on dit, il y a quelques années. Alors, je l'ai remanié, j'ai essayé d'en faire une sorte de conte sarcastique, loin des leçons de morale et de déclinisme qu'on nous sort régulièrement à ce genre d'occasion. Je crois que ce qui différencie ces trois livres, en plus de leurs formes (récit pour La cavalière, chronique pour le Hamster et dialogues essentiellement pour J'adore), c'est leur registre ; celui de J'adore est moqueur, et parfois cruel… comme un jeu de massacre, même s'il ne vise pas des personnes mais des phrases, les phrases convenues qu'on ne cesse d'entendre sur le métier, sur la jeunesse, sur l'époque, etc. Les dialogues délirent à partir de ces phrases, d'une certaine manière, qui elles-mêmes sont semi-délirantes. Donc il ne faut pas espérer comprendre quelque chose du métier d'enseignant à partir de ces dialogues ! Mieux vaudra jeter un œil au Hamster à l'école ! Mais pour avoir lu des extraits de J'adore en duo, je peux vous dire qu'on rit beaucoup ! Aussi, je me demande si ce n'est pas tout simplement une farce… Une farce faite à notre temps, à notre époque… Que peut-on faire d'autre, en littérature, d'ailleurs, que jouer de temps à autre des tours ?

 

Il est beaucoup question de discipline dans ces dialogues comme un moyen essentiel à la transmission. C’est une question qui occupe tant que cela les enseignants ?

Je me moque… Il ne faut surtout pas prendre tout ça au pied de la lettre… Mais la discipline, oui, bien sûr, c'est la grande hantise… La grande hantise des enseignants mais surtout la grande hantise du pouvoir, de tous les pouvoirs… ne pas se laisser déborder… Pensez aux Gilets Jaunes : là, ça a vraiment foiré côté discipline ! Et l'Etat et les chefs d'entreprise ont ressenti ce que tout prof ressent quand c'est le bordel… la peur. La peur de ne plus rien maîtriser, de ne plus rien pouvoir rattraper. Rien d'important politiquement n'a eu lieu sans la peur des gouvernants — même si ça ne suffit pas, bien sûr.

Quant à la transmission, je pense que La cavalière est le livre des trois qui en traite le plus, y compris dans sa forme, dans cet entrelacement d'hier et d'aujourd'hui qui tente de saisir ce qu'hier nous dit d'aujourd'hui et réciproquement.

 

Vous consacrez un chapitre très drôle à discuter du public auquel ce livre serait destiné et à l’objectif que vous poursuivez par conséquent. Pourriez-vous en dire un mot ?

Ah oui ! C'est une réponse à la sempiternelle question des ventes ! Mais pour qui vous faîtes ça (sous-entendu : vous croyez vraiment que ça va intéresser quelqu'un ?) ! Franchement, si P.O.L., la Fabrique et Hourra, sans compter les autres, s'étaient posé la question, les deux tiers de leur catalogue n'existeraient pas ! Donc, j'aborde le problème de face dans ce livre ! Je donne LA réponse : ce livre que tu tiens dans les mains, lecteur, lectrice, il est destiné à un inspecteur de l'éducation nationale, et si tu protestes en disant que toi, vraiment, tu es tout le contraire d'un inspecteur de l'éducation nationale, eh bien je vais te prouver que non, pas forcément ! C'est une blague, une blague sérieuse, bien sûr. J'avais peut-être juste envie que des lecteurs s'amusent avec moi, s'amusent à lire ces dialogues autant que je me suis amusée à les écrire.

 

Plusieurs chapitres font une large place aux citations non autorisées, par exemple pour montrer la prétention et la bêtise de propos de formateurs à l’usage des enseignants. Vous donnez d’autres exemples de formations dont la finalité paraît pour le moins obscure. A vous lire, on se dit que c’est une dimension du métier d’enseignant qui reste méconnue…

Si vous saviez le nombre de réunions et de formations inutiles auxquelles on a eu droit depuis une quinzaine d'années… Tout ça pour que nous en venions à dire et à accepter exactement ce qui avait été déjà prévu, déjà décidé depuis longtemps… Et dire qu'on y a cru, au moins au début ! Disons que les gouvernements successifs (à l'exception de Blanquer, qui y va franco, au moins, on ne peut pas dire qu'il prenne des précautions) ont fait mine de… ce qu'ils n'ont certes pas fait pour décider de l'avenir des fonctionnaires de France Télécom ou de la Poste, par exemple, puisqu'aussi bien c'est ce type d'avenir qui va nous être progressivement proposé… fin progressive du service public de l'éducation nationale, ou alors dans un tel état que dès que les parents auront trois francs six sous, ils iront voir ailleurs… comme pour l'hôpital.

 

Finalement, vous « restaurez » successivement la dictée, l’histoire et le poème, en cousant ensemble des extraits, ce qui donne naturellement quelque chose de tout à fait décousu… Comment faut-il le comprendre ?

Ce « décousu », c'est le montage… C'est un montage « cut », comme on dit au cinéma, d'extraits de dictées tout à fait authentiques, puisque prélevées dans des Annales, des Annales du Brevet des Collèges… C'est un document, quasi historique, que je livre à la sagacité des lecteurs… Voilà ce qu'on dictait aux élèves au début du XXIe siècle, et vous n'êtes pas sans savoir à quel point la dictée est sacrée, par chez nous… La « restauration » est donc ironique. Il faut prendre ce terme, de restauration, dans tous les sens… Restauration d'une œuvre… Et la Restauration, l'époque, telle qu'elle a été nommée par les historiens… Nous vivons, je crois, une Restauration en ce sens-là, depuis quelques décennies, après les changements de société importants vécus dans les années 60 et au début des années 70.