La révolution repart au Soudan, les militaires ayant rompu l'accord de partage du pouvoir et de transmission de celui-ci aux civils qu'ils avaient accepté il y a deux ans.
L’accord signé au Soudan entre civils et militaires en août 2019 et modifié en octobre 2020 vient d’être remis en cause par ces derniers, et le pays est à nouveau entré dans une phase d’agitation et d’incertitude. Les manifestations ont repris et la détermination dont font preuve les manifestants face à une répression violente est une nouvelle fois impressionnante. La mémoire des épisodes précédents de cette révolution l'explique sans doute pour partie.
Le sit-in de la Qiyada
C'est précisément de l'un des moments symboliquement le plus fort de la révolution qui a secoué le Soudan entre la fin de l’année 2018 et le milieu de l’année 2019 dont s'efforce de rendre compte le livre : Soudan 2019, année zéro (Soleb, Bleu autour, 2021), à travers des textes et des photographies. A savoir le sit-in pacifique d’avril-mai 2019 organisé par les manifestants en face des bâtiments du ministère de la Défense à Khartoum pour essayer d’obtenir de l’armée qu’elle prenne enfin clairement position en faveur de la révolution.
Si cette action collective s’est terminée par une évacuation de force, cette dernière a alors été le prélude à une mobilisation très importante de la population, jusqu’à la « Marche du million » le 30 juin 2019 qui a finalement forcé le Conseil militaire de transition (CMT) à composer et accepter un partage du pouvoir et une passation de celui-ci aux civils à l’horizon de 2022, suite à la médiation de L’Union Africaine et de l’Ethiopie. C’est cet accord (ou plus précisément celui de 2020 qui prévoyait que les militaires laissent à un civil la présidence du Conseil de souveraineté en novembre de cette année) qui vient d’être rompu par le général Abdel Fattah al Burhan à la tête du CMT.
Entre temps, le sit-in s’était toutefois affirmé comme le cœur d’une effervescence politique, sociale et artistique, que le livre retrace en variant les angles d'approche, qui attestait de la vitalité de la société civile, et tout particulièrement de sa frange la plus jeune, et de la détermination de celle-ci à se débarrasser de la junte islamo-militaire au pouvoir depuis 1989.
Ce livre a été dirigé par Jean-Nicolas Bach, chercheur au CEDEJ de Khartoum, spécialiste de l’Afrique de l’Est, dont le lecteur intéressé pourra éventuellement lire la note d’analyse qu’il a consacrée aux débuts de cette révolution, et Fabrice Mongiat, le directeur de l’Institut français de Khartoum. Une douzaine de chercheurs, de journalistes et/ou d’activistes, et autant de photographes, soudanais pour l'essentiel, y ont également contribué par des textes (traduits de l’arabe pour la plupart) ou encore des photos.
La poésie de la révolte
L’ouvrage fait une large place aux slogans inventés par les manifestants (La chute, c’est tout !), mais également au rôle conféré par ceux-ci aux poètes (renommés, que de nombreux soudanais connaissent par cœur, mais aussi plus jeunes et parfois anonymes) exaltant la révolte, la liberté, la paix et la justice, comme à l’implication des artistes visible notamment à travers les nombreuses peintures murales qui ont alors couvert les murs de la Qiyada. Ou encore, à l’importance des lieux et du contrôle sur ceux-ci qu’exercèrent les manifestants en instaurant des checkpoints à l’entrée du sit-in. Enfin, à l’organisation de la vie et des échanges au sein de celui-ci.
Il n’esquive pas la question des groupes marginalisés du Darfour, des monts Nouba ou du Nil Bleu, ou encore des périphéries de la capitale, de la persistance des comportements dictés par les appartenance de classes et/ou régionales, et insiste sur la place prise par les femmes, de tous âges, et leur engagement dans le mouvement (et la cinéaste Hind Medded donne la parole à trois d'entre elles à la toute fin du livre).
Un dernier chapitre aborde les manifestations monstres qui se sont étendues à tout le pays à l’appel de l’Association des professionnels soudanais, principale composante des Forces pour la liberté et le changement, à la suite du démantellement du sit-in, qui ont finalement contraint le CMT à négocier.
Les photographies, que l'on avait pu voir cet été aux Rencontres de la photographie d’Arles à l’église des Trinitaires en face du Museon l’Arlaten, donnent à voir le nombre des manifestants, la liesse, mais aussi la gravité, la répression s'étant traduite par un nombre important de victimes, morts ou blessés, la détermination néanmoins, les barricades érigées et gardées de jour comme de nuit, les affiches brandies et les peintures murales, que celles-là ont pu immortaliser avant que le pouvoir ne les fasse recouvrir de peinture blanche, ou encore la vie et les discussions au sein du sit-in.