Myriam Truel livre une intéressante étude sur la figure auctoriale de Victor Hugo dans sa réception en Russie et en URSS.
Myriam Truel, agrégée de russe et docteure en études slaves, livre une intéressante étude sur la figure auctoriale de Victor Hugo dans sa réception en Russie et en URSS. Cet axe directeur met en évidence la construction d’une figure étrangère dans le panthéon de la littérature russe, croisant ainsi la problématique de l’influence du contexte politique et social sur le regard porté sur des auteurs étrangers, et la question du rôle de la traduction et de l’édition, qui émettent des choix, infléchissant la construction d’une référence culturelle exogène.
Évolution historique : entre ruptures et constance
Le discours sur la réception de Victor Hugo en Russie, puis en URSS, reste tributaire du discours contrôlé et promu par le pouvoir des années 1930 à 1950. De fait, une opposition binaire apparaît : la période tsariste établit une censure très marquée, avec des traductions de mauvaise qualité. A contrario, durant la période soviétique, apparaissent des traductions de qualité, permettant une large diffusion des œuvres. Ce sont majoritairement les écrivains russes, en lisant, en promouvant et parfois en traduisant l’œuvre hugolienne, qui ont permis sa diffusion.
Largement diachronique, cet essai envisage ainsi plusieurs périodes successivement. Des années 1830 à 1880, Hugo est un écrivain à la mode, mais qui ne fait pas l’unanimité. Le régime tsariste interdit de 1862 à 1880 la publication des Misérables, roman jugé subversif. Pourtant, d’autres textes apparaissent. Parfois, on reproche à l’auteur non pas son orientation politique, mais sa position romantique. La réception de son œuvre immense s’élargit toutefois grâce à sa capacité d’émouvoir le lecteur. Ainsi, de son vivant, Hugo est un auteur à la mode, avec ses admirateurs et ses détracteurs.
Cela étant, son statut évolue dès 1870, l’orientant vers la figure d’un auteur « classique ». Il entre dans le panthéon russe des écrivains étrangers, s’inscrivant ainsi dans une tendance européenne marquée par la création de panthéons littéraires nationaux. Ses œuvres sont alors proposées à tous les publics, notamment scolaires. Son œuvre, considérée comme représentative de son siècle, est revendiquée par les éditeurs, qui souhaitent en offrir une vision d’ensemble – ce qui n’empêche par que Hugo soit perçu avant tout comme un romancier chez qui traducteurs et éditeurs puisent des morceaux choisis, minimisant ainsi les innovations stylistiques.
La Révolution apporte évidemment des changements dans la réception de Victor Hugo. Après 1920, les textes décrivant les soulèvements révolutionnaires sont privilégiés par les éditeurs. Mais l’intérêt pour l’aventure renforce la diversité des publications des œuvres et discours. Hugo s’impose en tant que soutien inconditionnel de la ferveur révolutionnaire tout en ouvrant à une différenciation pour les publics populaire et enfantin.
C’est ainsi que, progressivement, entre 1930 et les années 2010, Victor Hugo se voit consacré. Il entre alors pleinement dans le panthéon littéraire soviétique. Il est considéré comme compatible avec la culture soviétique, son esthétique illustrant pleinement le réalisme soviétique. Les traductions et les adaptations canoniques sont largement diffusées et tendent à une lecture unique de l’œuvre. Cette consécration résulte d’un processus amorcé dès la fin du XIXe siècle. Le Victor Hugo soviétique est très proche du Victor Hugo prérévolutionnaire. Mais on décèle tout de même une influence notable du Victor Hugo révolutionnaire, notamment par l’usage des citations.
La construction du discours scientifique, entre spécificité russe et universalité
En filigrane de cette optique historique, se construit un processus littéraire. La première étape, faite de publications, de traductions et de critiques, puis d’inclusion dans les programmes scolaires, ouvre ensuite à d’autres sphères, permettant la propagation de la figure auctoriale de Victor Hugo. C’est un processus non pas monolithique, mais complexe et polyrythmique.
À cela s’ajoute la spécificité russe. Que ce soit dans le cadre de la Russie ou de l’URSS, l’intérêt se porte sur le caractère romanesque de l’œuvre, avec un accent particulier sur la critique sociale et les réflexions morales. Dès la fin du XIXe siècle, les adaptations comme Cosette et Gavroche deviennent des œuvres à part entière. Pourtant, dès les années 1880, c’est la préoccupation de la fidélité au sens des textes qui prime, ce qui mène aux traductions canoniques des années 1930 à 1950.
Cette étude, éclairante pour la Russie et la construction de son panthéon littéraire, rappelle ainsi combien il est essentiel d’envisager les perspectives étrangères qui nourrissent la construction d’une figure auctoriale de légende comme l’est celle de Victor Hugo.