Jonathan Siksou nous invite à re-découvrir l'histoire de Paris à travers une déambulation érudite.

Empressez-vous d’entrer dans une librairie pour acheter quelques exemplaires du livre remarquable de Jonathan Siksou Capitale, et les offrir à ceux de vos amis qui apprécient le savoir, l’humour, l’amour de la langue française, du style aussi. A ceux qui préfèrent l’intelligible à l’amphigouri, avec lequel les élus administrant aujourd’hui notre capitale, ont résolu de nous enfumer, manifestement pour y imprimer leur marque, peut-être irréparable.

Les métamorphoses de Paris

Avant de déplorer les blessures et les offenses que des ignorants, imbus de leur pouvoir aussi temporaire que dévastateur, infligent à Paris, Jonathan Siksou dont l’érudition est si vaste, nous invite à le suivre dans ses promenades diurnes et nocturnes, sans volonté de chronologie, dans cette ville où il est né, et qu’il préfère à toute autre dans le monde. Son ironie acide contre l’outrecuidance de ceux qui ont entrepris de la métamorphoser, est aussi drôle que triste. Mais ce n’est pas là son unique propos.

Siksou ne déambule pas à la manière de Modiano dans une ville fantôme, dans les rues de laquelle il s’est passé des choses obscures, et où il se passe encore des choses louches, mais lesquelles ? Siksou s’intéresse à l’Histoire de Paris, qu’il connaît sur le bout des ongles, à ses rues, ses édifices nobles, ses maisons modestes et bancales qui ont un jour existé, et ont été détruits de la main des hommes au cours des guerres, de la Révolution et, au XIXe siècle, à la vision somptueuse, monumentale et hygiéniste du baron Haussmann, qui invente une autre ville, lumineuse, avec ses larges avenues, ses somptueux immeubles de rapport, aux façades sculptées en pierre blonde de l’Ile-de-France.

Point de pédanterie dans le propos de Siksou, dont l’érudition en matière d’histoire de l’architecture et d’histoire de l’art, nous donnent à voir, dans des textes brefs, des vignettes, à la manière des Tableaux parisiens de Baudelaire, nombre de scènes du passé. Sa description des prisons, de la manière atroce et des lieux où, à Paris au temps de la monarchie, on exécutait les condamnés, le rapprochent du Paris des romans d’Alexandre Dumas. Ce ne sera certes pas mieux sous la Terreur et pendant la Commune.

Une déambulation érudite

On lit ce livre sans se sentir écrasé par l’étendue des références que l’auteur utilise pour décrire la création, le développement tumultueux d’une ville dont l’immobilité n’est qu’illusion. La bibliographie, à la fin de l’ouvrage, laisserait à croire que l’écrivain passe sa vie dans le silence des bibliothèques. Ce n’est pourtant pas le cas, car ses déambulations incessantes dans Paris doivent absorber une grande partie de son temps. Il lui en a fallu beaucoup pour écrire cette somme savante mais jamais docte, qu’on lit comme si elle était légère, comme si on tournait les pages parce qu’on voudrait connaître la fin d’une aventure, en réalité sans fin.

Une question cependant : on se permettra de demander à l’auteur pourquoi les passages parisiens, apparus au XIXe siècle, et chers à Walter Benjamin, ne sont pas évoqués parmi ses promenades. Point de passage des Panoramas, Jouffroy, Verdeau, du Grand Cerf, Verot-Dodat, pas de Galerie Vivienne non plus, auxquels Benjamin consacra une enquête : Le Livre des Passages. Paris capitale de la modernité, fréquentant lui aussi la salle de lecture de la Bibliothèque nationale. Benjamin voyait dans ces beaux passages une évolution captivante de la modernité. Siksou aurait-il évité le Passage Choiseul afin de n’y point rencontrer le fantôme de Louis Ferdinand Céline, qui y passa son enfance « sous la cloche », dans l’odeur des 250 becs de gaz, et le haïssait ?