Guillaume Duval oppose, dans son dernier livre, à la politique d'Emmanuel Macron une vision de gauche progressiste.

L'ancien rédacteur en chef d'Alternatives économiques a accepté de répondre à quelques questions pour présenter son livre, L'impasse. Comment Macron nous mène dans le mur (LLL, 2021), qui fait parallèmement l'objet d'une recension sur Nonfiction.

 

Nonfiction : Vous venez de publier un petit livre très critique de la politique économique menée par Emmanuel Macron dont vous expliquez qu’elle repose largement sur des erreurs de diagnostic anciennes. Peut-être pourriez-vous dire lesquelles pour commencer ?

Guillaume Duval : Vous les résumez fort bien dans votre note de lecture. Il s’agit au fond de l’adhésion à retardement aux mantras classiques de ce qu’on a appelé le néolibéralisme alors qu’ils sont en voie d’abandon dans le reste du monde : baisse des dépenses publiques, allongement du temps de travail, recul de la redistribution par l’impôt… Mais, j’insisterai peut-être surtout sur le fondement sociologique qui exacerbe et radicalise ces erreurs avec l’arrivée aux affaires d’Emmanuel Macron : elles reflètent la vision du monde d’une élite de « premiers de la classe ». Ils ne peuvent absolument pas concevoir que les difficultés économiques que rencontre le pays puissent éventuellement provenir de leurs propres erreurs d’analyse et du caractère contre-productif des mesures qu’ils promeuvent. Seuls les pauvres, ceux qui ne sont rien ou pas grand-chose peuvent en être la cause du fait de leur paresse, des protections excessives que les systèmes sociaux leur accordent… Fondamentalement ces gens ne sont pas des démocrates, ils sont persuadés qu’ils ont une mission : faire le bien du pays sans et si besoin contre son peuple.  

Si l’on en prenait le contrepied comme vous le préconisez quelles seraient les principales mesures qui devraient alors être mises en œuvre selon vous ?

D’abord la démocratie. La démocratie politique bien sûr en mettant à bas les institutions monarchiques qui caractérisent la cinquième République. Contrairement à la légende elle ne favorise pas la stabilité politique mais l’instabilité en permettant à des dirigeants représentatifs d’un Français sur cinq de concentrer tous les pouvoirs pendant cinq ans. Sans surprise, du fait de leur faible assise, ils sont le plus souvent rejetés au bout de cette période et les suivants défont ce qui vient d’être fait. Créant ainsi une instabilité fondamentale des politiques publiques. Mais aussi plus largement en renforçant les corps intermédiaires au lieu de les mépriser. Il faut à coup sûr les pousser à se rénover et à coller davantage aux nouveaux mouvements sociaux mais le pouvoir jupitérien ne peut pas tout résoudre d’en haut. Il faut en particulier retirer le contrôle des comptes sociaux à Bercy. En faisant aussi rentrer enfin la démocratie dans l’entreprise et pas de manière homéopathique : en adoptant les mêmes règles qu’en Allemagne qui font que c’est le pays où les entreprises appartiennent le moins aux actionnaires. 

L’autre réforme essentielle c’est celle du rapport entre l’Etat, l’appareil d’Etat, et la société. L’Etat français a été conçu par des rois et par Bonaparte pour dominer et modeler la société, un travers accentué encore par Emmanuel Macron. C’est notamment pour ça que l’action publique est aussi inefficace en France parce que l’Etat ne tient aucun compte de l’avis, du ressenti, des critiques, des propositions des administrés dans la mise en œuvre des politiques publiques. C’est totalement inacceptable désormais avec des Français.es beaucoup plus éduqués que leurs ancêtres. Le problème de la France, ce n’est pas vraiment la taille de ses dépenses publiques, c’est surtout l’archaïsme de ce rapport entre Etat et société qui rend ces dépenses inefficaces pour corriger les inégalités et préparer effectivement l’avenir. 

Le problème de la Gauche si l’on vous suit ce serait un embourgeoisement qui l’a conduit à s’éloigner toujours davantage des attentes des classes populaires. Cette attitude n’est aujourd’hui plus tenable, expliquez-vous. Que conviendrait-il alors qu’elle fasse ?

La gauche française est pour l’essentiel l’héritière du mouvement ouvrier du XIXe et XXe siècle. Celui-ci s’est construit sur un mythe auquel toutes ses composantes ont adhéré : tous les salariés ont fondamentalement les mêmes intérêts face à ceux du capital. Mais dans des sociétés comme les nôtres qui sont quasiment salariées à 100 %, ce mythe ne tient plus : de réelles divergences d’intérêts traversent le salariat. Or les partis et les syndicats hérités du « mouvement ouvrier » représentent surtout ceux des salariés des très grandes entreprises et de la fonction publique. Les autres, et notamment les vrais prolétaires qui existent toujours, se sentent abandonnés par la gauche classique et vont voir ailleurs. Pour pouvoir les reconquérir, il ne suffit pas de leur rechanter la chanson du « tous les salariés ont les mêmes intérêts », il faut réellement prendre en compte leurs problèmes et leurs revendications spécifiques. Et cela implique bien souvent d’aller à l’encontre des intérêts de ce qu’est devenu la base sociale de la gauche classique : les cadres du privé et du public qui devront accepter de payer plus cher leur femme de ménage, leurs restaurants et avoir moins de pouvoir dans leurs entreprises et moins de places pour leurs enfants dans des filières scolaires d’élite… C’est ça ou il faudra se résoudre à voir l’extrême droite, ou la droite extrême, ce qui revient de plus en plus au même, prendre le pouvoir en France avec le soutien de ces prolétaires. Une tendance que renforce malheureusement, l’autoritarisme antisocial d’Emmanuel Macron.