Inspiré du voyage au Sénégal d’un botaniste français, ce roman historique et d’aventures dévoile les points aveugles des Lumières sur l’esclavage.
L’auteur, maître de conférences en littérature du XVIIIe siècle à l’université de Pau, a mis à profit les recherches d’un étudiant sénégalais pour son Doctorat, dans lesquelles il a découvert le botaniste français Michel Adanson (1727-1806), bien moins connu que Buffon ou Jussieu, mais qui avait, conformément à l’esprit des Lumières, le projet d’écrire une encyclopédie du vivant, son « Orbe universel ». Il en fait le héros de son roman et le suit dans le voyage qu’il fit au Sénégal entre 1750 et 1753, à la découverte de la flore locale.
Un roman d’aventures très romanesque
Apprenant l’histoire de Maram, une jeune Africaine promise à l’esclavage et qui aurait réussi à s’évader, Adanson part à sa recherche, sous le prétexte d’étudier « une nouvelle espèce d’indigo de très grande qualité poussant au Cap-Verd » et d’« observer sur place les procédés de teinture en usage chez les Nègres de cette région ». Estoupan de la Brüe, le directeur de la concession du Sénégal, veut en faire son informateur pour mieux connaître la politique des rois du Sénégal et devenir ainsi gouverneur général de la Compagnie des Indes. Ce voyage mène le botaniste, après bien des aventures avec Ndiak, fils du roi du Waalo, son « passeport au Sénégal », à l’île de Gorée, d’où sont partis des millions d’Africains au temps de la traite des Noirs, et dont le surnom, « la porte du voyage sans retour », donne son titre au roman et lui fournit une de ses scènes les plus pathétiques.
Un homme des Lumières pétri de leurs contradictions
« Je suis parti au Sénégal à la recherche des plantes, des fleurs, des coquillages et des arbres qu’aucun autre savant européen n’avait décrits jusqu’alors, et j’y ai rencontré des souffrances. Les habitants du Sénégal ne nous sont pas moins inconnus que la nature qui les environne. Pourtant nous croyons les connaître assez pour prétendre qu’ils nous sont naturellement inférieurs », note Adanson dans le cahier secret qu’il destine à sa fille Aglaé, et que le romancier a imaginé pour fournir le cœur de son roman, dans une longue analepse après la mort de Michel Adanson qui constitue l’ouverture du livre. Il apprend le wolof et s’élève contre des préjugés tellement tenaces qu’ils inspiraient encore le discours du président Sarkozy à Dakar le 26 juillet 2007, selon lequel « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ».
Pour le héros de David Diop, il faut cesser de ramener toujours l’inconnu au connu : « Les palais, les châteaux, les cathédrales dont nous nous glorifions en Europe sont le tribut payé aux riches par des centaines de générations de pauvres gens dont personne ne s’est soucié de conserver les masures. Les monuments historiques des Nègres du Sénégal se trouvent dans leurs récits, leurs bons mots, leurs contes, transmis d’une génération à l’autre par leurs historiens-chanteurs, les griots. Les paroles des griots, qui peuvent être aussi ciselées que les plus belles pierres de nos palais, sont leurs monuments d’éternité monarchique. » Cela ne l’empêchera pas, à son retour, de publier « une notice, destinée au Bureau des Colonies, sur les avantages du commerce des esclaves pour la Concession du Sénégal à Gorée ». Il sacrifie ainsi la mémoire de Maram et de la passion qu’il a éprouvée pour elle à son ambition de savant en quête de gloire et de reconnaissance.
Ce roman très informé et très documenté se lit avec beaucoup d’intérêt et fait naître bien des questions chez le lecteur sur les paradoxes des Lumières et les représentations de l’Afrique à cette époque où triomphe la raison. On peut regretter cependant une certaine platitude du style et une sorte d’académisme un peu terne, où toutes les voix semblent se confondre.