Dans ce premier roman polyphonique, l’auteure croise la littérature américaine et la tragédie antique, à la poursuite d’un enfant disparu en Alaska.

« Je l’ai perdu. J’ai lâché sa main pour refaire mes lacets et je l’ai perdu. » Tel est l’incipit de ce roman divisé en courts chapitres, à l’image de ses phrases, qui nous entraînent dans le flux de conscience de chacun des quatre personnages, dans un puzzle dont les pièces s’assemblent peu à peu. Le suspense est total, car le petit Thomas a peu de chances de survivre dans cette tempête de neige en Alaska, où il peut être victime du froid, des crevasses et même des ours. Bess, jeune femme paumée, est sortie avec l’enfant et part à sa recherche après l’avoir perdu, suivie de près par Bénédict, chez qui elle vit, et par Cole, un homme rustre et alcoolique. Freeman, vétéran du Vietnam, vieil Afro-américain, attend leur retour.

Secrets et mensonges

L’auteure explore subtilement le thème de la culpabilité inexpiable, et éclaire peu à peu les raisons de chacun d’habiter « cette terre de désolation qui suinte le malheur ». Au fil des chapitres, dans un suspense haletant, le lecteur découvre les failles et les secrets de chaque personnage, jusqu’à la révélation finale, qui fait la part belle aux traumatismes enfouis et aux absents.

L’écriture incisive de Marie Vingtras fouille l’esprit de chaque personnage et fouaille leurs âmes tourmentées par l’impossible rédemption. Le paysage joue un grand rôle dans ce roman qui se lit d’un trait, et qui a bien retenu la leçon des romans américains, sans rien perdre de sa singularité et sans donner dans le pastiche. Seul l’enfant semble avoir encore un peu de cette délicatesse qui pourrait sauver le monde : « C’est bien une idée de môme ça, s’inquiéter de briser le cœur de quelqu’un. »

Ce roman original sait mixer les sources et faire entendre la propre musique de l’auteure. C’est ce qu’on appelle le style et le lecteur savoure.