Un livre passionnant qui nous plonge dans l’univers mental d’un négrier du XVIIIe siècle. Indispensable pour mieux comprendre la traite négrière.

C’est un récit court et riche en événement que nous propose la collection "Témoins" de Gallimard. William Snelgrave, capitaine anglais de vaisseaux négriers, a tenu un journal au long de ses voyages. Ses "Relations", comme il aime à nommer son récit, sont ici rééditées après une première parution en France en 1735, un an après l’édition anglaise. Retrouvé dans la bibliothèque de Tocqueville, le récit, composé de trois livres, est aujourd’hui enrichi d’une longue et riche introduction de Pierre Gibert, un jésuite professeur à l’université catholique de Lyon, plus connu jusqu’alors pour son travail d’exégèse de l’Ancien Testament. Plus surprenant, un avant-propos vient justifier le choix de republier cet ouvrage, certainement pour se prémunir de possibles attaques judiciaires, comme cela a pu arriver à Olivier Pétré-Grenouilleau lors de la sortie de son ouvrage sur les traites négrières   .

Court, bien écrit et bien recontextualisé (de courtes notes de bas de page qui expliquent le vocabulaire et une très bonne carte de la côte ouest de l’Afrique), ce petit récit est un bon complément à la lecture de l’ouvrage universitaire de Pétré-Grenouilleau   et sa réédition témoigne de l’actuel engouement de l’édition pour cette thématique de la recherche historique. Ce mois de mai 2008 voit d’ailleurs la troisième commémoration officielle de l’abolition de l’esclavage et la parution du livre de Pap N’Diaye, militant pour la création de "black studies" à la française.

Devenu crime contre l’humanité depuis la loi Taubira   , l’esclavage, quoique encore pratiqué de façon plus secrète et déguisée, nous apparaît comme un des crimes les plus abominables. Mais la lecture du journal du Capitaine Snelgrave retourne le point de vue et nous intéresse sur trois points.

Tout d’abord, c’est avec la plus grande banalité et un sens du concret très affirmé que Snelgrave évoque l’esclavage et ses mécanismes. Il explique ainsi dans le livre II, sorte de traité des bonnes pratiques du négrier, que l’esclavage est un bienfait pour les populations africaines concernées. En effet, sont vendus comme esclaves les peuples faits prisonniers lors des guerres. Dès lors, la réduction en esclavage est un moindre mal pour ses hommes et femmes qui sinon auraient été tués. À cet égard, Snelgrave insiste d’ailleurs beaucoup au livre I sur les pratiques cannibales et barbares des peuples africains qu’il a côtoyés, pour mieux mettre en relief l’humanité du traitement fait aux Noirs par les négriers. Cependant ce tableau est loin d’être idyllique. Snelgrave relate ainsi les mutineries régulières qui se produisent à bord des bateaux, en les attribuant toutefois à l’incompétence de capitaines trop gentils ou d’esclaves top bêtes pour ne pas comprendre que leur intérêt est du côté des négriers. En creux, il fait aussi mention des voix s’élevant de plus en plus contre la traite et tente donc de se justifier en faisant la promotion des bienfaits de l’esclavage pour l’ensemble des partenaires concernés.

Ensuite, le livre du capitaine anglais est aussi riche d’enseignement sur l’Afrique du XVIIIe siècle. Snelgrave fait ici œuvre d’historien et montre la mondialisation à l’œuvre sur les côtes du Golfe de Guinée, devenues plus prospères depuis la fin de la guerre de la succession d’Espagne. À travers le regard ethnocentré d’un Européen pétri de culture chrétienne, on découvre tout de même l’importance et la complexité des contacts commerciaux et diplomatiques entre Africains et Européens pour parvenir à satisfaire les intérêts de chacun. Snelgrave, au livre I, se fait aussi l’observateur des conflits entre tribus africaines, dont il est très au fait. On découvre par là l’intensité de la circulation d’information, d’hommes, de biens entre ces deux aires culturelles dès le début du XVIIIe siècle, ce qui montre un processus de mondialisation déjà bien entamé même si encore cantonné avant tout aux élites, les esclaves subissant eux cette mondialisation.

Enfin, ce livre est aussi une mine d’informations pour tous les amoureux de la mer et l’histoire des aventures maritimes. Le livre III en particulier, consacré aux actes de piraterie dans le Golfe de Guinée, est une magnifique description de la vie des gens de la mer. Snelgrave fait sentir là tout son talent de conteur et brosse en quelques phrases des portraits de pirates assez pittoresques. On y apprend aussi tout l’art de la négociation entre marins, que ce soit entre pirates ou entre prisonnier et pirate. Bien entendu là encore, Snelgrave assène quelques jugements définitifs et ne se lasse pas d’apparaître en héros compréhensif, courageux et tolérant pour les pirates renégats.

Ce livre est donc à mettre rapidement entre toutes les mains, que ce soit celles d’historien ou de novices en la matière. En conjuguant des talents de conteur, de pamphlétaire, d’ethnologue, Snelgrave produit un récit très européocentriste et c’est justement là toute sa valeur et son intérêt pour le lecteur contemporain que nous sommes.


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Crédit photo : Time Tarts Historical Solutions / Flickr.com