Une synthèse bienvenue sur la diplomatie et la coopération internationale des villes.

La ville groupe aujourd’hui la moitié de l’humanité, et les trois quarts en 2050 : c’est par elle que se nouent des relations économiques globales, que circulent les flux d’informations et de marchandises, de capitaux et de personnes. A ce titre, se plonger comme le fait Lorenzo Kihlgren Grandi dans son ouvrage City diplomacy dans la diplomatie des villes est un travail utile sur un champ peu exploré en tant que tel. En effet, cet ouvrage, qui répond aussi bien aux besoins du praticien qu’aux chercheurs, montre l’ampleur des réseaux, des projets, des accords bilatéraux ou des événements concernés par cette problématique.

 

Une diplomatie à l'échelle des villes

De quoi s’agit-il précisément ? On pourrait définir cette diplomatie des villes comme un large ensemble d’interactions et d’initiatives tant bilatérales que multilatérales avec des acteurs étrangers (villes, réseaux de villes, organisations internationales), afin de faire avancer un agenda international fondé sur les valeurs et les intérêts locaux   . Dès lors, ce travail permet de distinguer trois échelles du politique différentes : une perspective internationale, se focalisant sur des enjeux mondiaux de gouvernance (paix, culture, environnement, etc.) ; une perspective nationale, prenant en considération les relations entre les diplomaties des villes et les nationales ; une perspective locale, enfin, se concentrant sur l’impact urbain des activités internationales.

Bien sûr, cette diplomatie des villes dépend de nombreuses conditions de départ : à titre d’exemples, la taille des villes concernées (plus une ville est grande, plus sa politique internationale sera dynamique), leur cadre légal (degré d’autonomie des pouvoirs locaux), leur géographie ou encore l’histoire. De fait, les villes du Nord ont une plus grande expérience que les villes du Sud de ce type de réseaux, et des ressources plus importantes pour mener ce type de politique. Enfin, ces réseaux sont plus ou moins implantés : la création de l’Union internationale des villes remonte à 1913, tandis qu’on a observé un essor des jumelages dans les années 1920, dans la foulée de la Première Guerre mondiale. Beaucoup de ces réseaux et de ces initiatives sont apparus toutefois plus récemment, suivant le progrès de l’interconnexion du monde, et ce bien avant l’apparition du monde. Cette innervation du monde ne suffit pas à elle seule à engendrer une coopération efficace : il convient de tenir compte d’un défi récurrent, celui de faire face à des différences sensibles entre les partenaires d’ordre culturel, institutionnel, politique ou socioéconomique. Comprendre cette diplomatie des villes implique de l’aborder à travers ses différents objets, des plus classiques aux plus actuels.

 

Quels enjeux ?

Certains enjeux sont classiques, et pour ainsi dire s’inscrivent dans la continuité directe des politiques locales. Parmi ceux-ci, le développement économique se donne pour objectif d’attirer investissements, entreprises, talents, touristes ou étudiants : c’est à ce titre que c’est le principal vecteur de diplomatie des villes. Cet intérêt s’est traduit par un nombre de coopérations et de projets joints, dans un contexte de compétition accru. L’accueil d’événements internationaux s’inscrit dans cette stratégie. Aussi, la culture trouve une place de choix : c’est autant pour satisfaire ses concitoyens, permettre aux dirigeants de laisser une trace que pour rehausser un prestige international que les villes s’engagent dans des investissements culturels. Une politique culturelle active permet aussi de renforcer une attractivité et de stimuler la créativité d’une ville. Elle offre la possibilité d’afficher un standing : ainsi, la ville de Reims, souhaitant mettre en valeur sa Cathédrale qui a vu défiler les rois de France, s’est associée à d’autres villes européennes avec des Cathédrales de renom. Au fond, cet attachement à la politique culturelle permet de renforcer un sentiment d’identité locale. Autre enjeu classique, notamment à la suite de la Seconde Guerre mondiale, celui de la défense de la Paix, qui passe aussi bien par la prévention des conflits que par la réconciliation post-conflit, impliquant une coopération avec d’autres acteurs, faute de forces de sécurité à même d’être présentes ou de possibilités de recueillir des informations sur les conflits concernés. En lien avec ces deux développements, la question de la migration : comment mettre en avant une diversité culturelle, prendre en compte les problématiques d’inclusion sociale et de lutte contre les pandémies, alors que les villes sont les principales destinations des migrants.

D’autres enjeux sont également importants pour les diplomaties des villes, concernant tant les technologies que l’environnement. Le volet technologique, autour de la « smart city », est fondamental : dans un horizon où les grandes entreprises règnent en maître (GAFAM), où la course à l’innovation est reine dans les transports, l’énergie, la santé, l’éducation et la gestion des déchets. Ces mêmes technologies ont d’ailleurs été mobilisées pour répondre à la Covid. Enfin, l’auteur ne fait pas l’économie de la question environnementale, qui est sur toutes les lèvres et pour laquelle l’échelle des grandes villes est pertinente. Même si aucune ville ne peut mener une politique de transition écologique de manière autonome, c’est à cette échelle que se trouveront les solutions durables pour demain, puisque ces 2 % de la superficie mondiale regroupent la moitié de l’humanité tout en générant 70 % des gaz à effet de serre.

 

En conclusion, l’ouvrage permet d’attirer l’attention sur ce phénomène des diplomaties des villes, objet souvent méconnu, et d’appuyer l’idée de leur pertinence à travers l’utilisation d’un grand nombre d’exemples. Plusieurs questions pourraient être envisagées en complément : si l’ouvrage couvre très bien le champ de la diplomatie des villes, on sait au fond peu de choses sur les diplomates des villes. Sont-ils des experts thématiques proches du pouvoir, mobilisant un réseau international ? Sont-ils des leaders politiques, qui cherchent à se donner une aura internationale comme source de légitimation en interne ? Sont-ils enfin des diplomates de carrière reconvertis ou des activistes de telle ou telle cause ? La réponse à ces questions n’est pas simple, car profondément liée aux villes elles-mêmes et à leur contexte. L’ouvrage pose en tout cas avec méthode et rigueur un objet d’étude ouvrant de multiples portes pour observer le changement social et politique, ainsi que les dynamiques de formation de coalition autour de causes.