Déjà l’objet d’une riche historiographie, l’attitude du PCF au cours des années 1938-1944 fait l’objet d’une nouvelle étude.

Louis Poulhès, déjà auteur d’un travail fouillé sur les Tourelles, un camp d’internement en plein Paris, publie aujourd’hui sa thèse sur la répression contre les communistes entre 1938 et 1944. L’ouvrage repose sur le dépouillement des archives nationales, de plusieurs archives départementales, de celles de la Préfecture de police de Paris et d’une partie des archives de la Commission centrale de contrôle du PCF. Il est enrichi de tableaux annexes comme les listes de fusillés, le nombre de détenus dans les prisons à différentes périodes ou la reconstitution de l’organisation interne du PCF en région parisienne.

 

Continuité et ruptures 1938-1940

On pourrait légitimement reprocher à l’auteur d’avoir établi une continuité entre la répression contre les communistes sous la Troisième République et celle sous le régime de Vichy. Il reprend en cela les arguments traditionnels de la propagande communiste qui a longtemps cherché à noyer son soutien au pacte germano-soviétique de 1939 dans une posture victimaire globalisante. Ce n’est pas parce que les deux régimes sont hostiles au communisme que leur nature est la même. Dans le premier cas, la République se défend contre ce qu’elle considère être un agent au service de l’étranger alors que, dans le second, le régime vichyste a étendu la répression à toutes les forces qui lui étaient hostiles. En deuxième lieu, la nature de la répression n’est pas la même, même si la première a facilité la seconde. 

Cette remarque effectuée, l’ouvrage est important pour son analyse des formes de la répression, du nombre de personnes réprimées et de la périodisation sous le régime de Vichy. Chaque chapitre est augmenté d’un tableau chronologique synoptique rappelant les événements intérieurs, extérieurs et ceux du PCF.

La première partie se concentre sur la politique anticommuniste de la Troisième République de 1938 à 1940. Elle porte sur la question de l’action du gouvernement contre les communistes. La grève du 30 novembre 1938 entraîne 1 731 poursuites judiciaires dont 806 condamnations à des peines de prison ferme, 103 étant supérieures à deux mois d’incarcération. Les administrations publiques frappent également leurs agents. Dans les deux cas, les communistes ne sont pas les seuls touchés puisque socialistes de gauche, anarchistes, syndicalistes révolutionnaires sont aussi touchés.

Mais c’est le pacte germano-soviétique qui amène à la dissolution du PCF et à une vague d’arrestations sans précédent. Les décrets de l’été 1939, puis la déclaration de guerre et ses conséquences facilitent la répression au motif juridique de l’intelligence avec l’ennemi. Le PCF répond, comme tous les PC, par des déclarations pacifistes et défaitistes révolutionnaires. L’ensemble des organisations contrôlées par le Parti sont suspendues. Dans les organisations non communistes comme la centrale syndicale, la CGT, ou sportive comme la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), les communistes sont également obligés de se démettre ou de se soumettre. Au total, près de 1 300 groupes locaux sont dissous. De même, les édiles sont déchus dans une proportion des trois quarts – ce qui affine les chiffres retenus par l’historiographie – un quart renonce alors au communisme. Enfin, plus de 3 000 militants sont internés, au moins temporairement.

L’invasion allemande modifie les choses, certains prisonniers s’évadent lors de l’arrivée des troupes, d’autres sont libérés par les Allemands lors de leur arrivée.

La phase qui s’écoule entre le 10 juin et le 14 juillet 1940 ouvre une période de flottement. Les autorités françaises veulent maintenir la répression anticommuniste alors que l’occupant souhaite au contraire associer le plus possible les communistes. Il faut la rupture des relations entre les représentants du PCF et la Kommandantur, le 13 juillet 1940, puis surtout le 5 août 1940 pour que les responsables politiques français reprennent une politique répressive avec, cette fois, l’accord des autorités allemandes. Elle consiste principalement en des internements dans des camps de prisonniers à la suite à d’actions publiques des militants.

L’invasion de l’URSS et le passage du PCF à la lutte armée entraînent la transformation de la répression.

 

La violence nazie

La deuxième partie porte sur le second semestre de l’année 1941 lorsque les autorités française et allemande se lancent dans une politique répressive qui va crescendo. Elle commence par des réponses graduées et ponctuelles aux différentes actions armées des résistants communistes comme l’exécution des deux militants Henri Gautherot et Samuel Tyszelman en réponse aux attentats du métro Barbès, le 21 août 1941. Elle passe à une nouvelle étape lors des attentats de Nantes et de Bordeaux les 21 et 22 octobre 1941. Le mois d’octobre marque un tournant, les exécutions d’otages deviennent alors massives. En effet, depuis la rupture du pacte germano-soviétique, le PCF s’est lancé difficilement, en raison du manque d’effectifs voire de volontaires – mais aussi et peut être surtout de matériel –, dans l’action armée. Cet aspect le plus spectaculaire est accompagné de la recrudescence d’actes de sabotage et plus encore de manifestations de rue. Ces différentes formes de résistance à l’occupation et à la collaboration donnent aux Allemands et à Vichy la possibilité de transformer l’arsenal répressif. À la demande du MBF – le commandement militaire allemand – les lois d’exception sont renforcées et des organismes ad hoc sont créés : des tribunaux d’exception, le 23 août 1941, et d’un corps police chargé de pourchasser les communistes le 1er septembre qui devient le 6 octobre le service de police anticommuniste.

Enfin, le troisième temps relève de la responsabilité des Allemands avec le code des otages et leurs exécutions massives à l’automne 1941. Son analyse de l’année 1942 montre la soumission des autorités de Vichy au diktat du commandement allemand. Elles livrent sans coup férir l’ensemble des otages réclamés qui ont été arrêtés, dans la majeure partie des cas, par la police française. Cette année marque elle aussi une évolution en trois phases : les exécutions sont importantes entre janvier et mai, puis suspendues jusqu’en juillet, avant de reprendre plus massivement encore jusqu’à la fin de l’année 1942. Les opérations répressives sont aussi rendues possibles par la difficulté qu’a le PCF et surtout ses militants à se fondre dans une parfaite clandestinité à se doter d’un appareil qui puisse mettre complètement les illégaux à l’abri, les exposant dans nombre de cas aux traques très efficaces des brigades spéciales. Les années 1943 et 1944 marquent un nouveau retournement, les exécutions ralentissent. Les déportations des politiques sont par contre massives. La mise en avant de la répression disparaît tant elle est impopulaire. Une nouvelle forme lui succède celle des opérations contre les maquis. L’Affiche rouge lors de l’arrestation et de l’exécution du  groupe Missak Manouchian en février 1944 marque la reprise des exécutions, même si l’opération de communication politique s’est retournée contre l’occupant.

 

Au total, Louis Poulhès offre une importante mise en perspective des formes de la répression, complétant en cela le renouvellement historiographique en cours.