L'adaptation lyrique du Soulier de satin, à l'origine une pièce de Paul Claudel.

Le livret de ce Soulier de satin est le produit de la collaboration entre la dramaturge Raphaèle Fleury et le compositeur Marc-André Dalbavie. Si la pièce de Claudel n’est pas loin de durer douze heures, l’opéra de Dalbavie, lui, ne dure « que » 4 h 40. Fleury et Dalbavie sont parvenus à resserrer considérablement le texte de Claudel tout en conservant le découpage originel en quatre journées. Sont narrées les amours impossibles entre Dona Prouhèze et Don Rodrigue qui, après de longues pérégrinations, finissent par se revoir sans toutefois s’unir. Un récit qui s’étire sur une trentaine d’années et date de l’époque des grandes découvertes, lorsque caravelles et conquistadores sillonnaient les mers. Une histoire qui est aussi le reflet du drame amoureux que Claudel lui-même vécut dans sa chair lors de sa relation impossible avec Rosalie Vetch, l’héroïne de Partage de midi.

Pour Dalbavie, écrire pour l’opéra est l’occasion de poursuivre la voie qu’il trace depuis plus de trente ans, avec un style très personnel qui emprunte à la modalité et au spectralisme et se déploie entre à-plats et reliefs, sonorités moelleuses et arêtes anguleuses. Rythme harmonique lent, notes tenues, pédales, dessins mélodiques s’inspirant parfois de schémas diatoniques, tout est fait pour assurer au discours instrumental et vocal sa lisibilité. Dalbavie a toujours manifesté une curiosité pour les instruments rares. De fait, l’orchestration laisse la part belle aux instruments à résonance prolongée et invite à voyager dans le temps et par-delà les mers grâce à la guitare baroque, aux bols chinois et au cymbalum. Quand on se confronte à la langue claudélienne qui se caractérise par son ampleur, par son souffle, le risque est grand d’une musique de la surcharge. Rien de tel chez Dalbavie qui parvient à maintenir un subtil dosage entre simplicité et élaboration. On peut d’ailleurs y déceler l’influence du théâtre Nô, dont le compositeur reconnaît qu’il l’a beaucoup marqué.

Décors somptueux, costumes splendides : même si le spectacle joue sur une certaine forme d’immobilité, le statisme ne plombe jamais l’ensemble. Et le metteur en scène Stanislas Nordey a parfaitement saisi la multiplicité des strates d’interprétations auxquelles se prête ce Soulier de satin : il en creuse les contrastes et propose une lecture historique, dramatique, mystique, mais aussi, par certains aspects, poétique ou comique, qui n’est pas étrangère aux fulgurances shakespeariennes de la farce… Entre nudité et sophistication, son choix est bien celui d’un geste épuré qui tend vers l’abstraction. Parmi les trouvailles les plus émouvantes de ce spectacle, on retiendra la scène de l'Ombre double où, sous le halo d'une Lune grise, la voix enregistrée de Fanny Ardant fait merveille.