Dans ces six essais écrits à New York pendant le confinement en avril 2020, la romancière britannique donne une leçon de résistance et d’altruisme.

Il est trop tôt pour parler de littérature de la pandémie ou du confinement, même si les éditeurs ont été submergés par les manuscrits écrits durant cette période inédite et sidérante. La romancière britannique Zadie Smith était à New York en avril 2020 et propose avec Indices six essais qui tiennent autant de la forme narrative que de la micro-autobiographie ou de la réflexion engagée sur des questions cruciales comme le racisme ou les inégalités. Cet engagement trouve son prolongement direct dans le choix de reverser tous les bénéfices du livre à des organismes de bienfaisance. Elle cite Marc Aurèle en exergue de ce recueil, pour faire sienne la démarche stoïcienne qui consiste à ne pas chercher à changer ce qui ne dépend pas de nous : « Avec quelle évidence se manifeste cette vérité. Que nulle situation n’est plus propice à l’exercice de la philosophie que celle où tu te trouves maintenant. »

 

La dame au petit chien

Avec une plume à la fois tendre et incisive, elle décrit des personnages de son entourage, comme la dame au petit chien de son immeuble ou un cul-de-jatte de Broadway, prêts à résister à la tentation générale de la fuite hors de la ville. « Depuis l’enfance, ma seule pensée ou vision de l’apocalypse, du désastre ou de la guerre, a toujours été que je ne suis personnellement dotée d’aucun “instinct de survie”, ni même d’aucun désir de survivre, surtout si ce qui se trouve à l’autre bout de la survie n’est que moi. Un livre comme La Route m’est aussi incompréhensible que le serait la lecture d’une série de mythes scandinaves en vieux norrois. » Par un effet littéraire assez virtuose, elle donne la parole à « un personnage en fauteuil roulant dans le vestibule », adepte des théories du complot, dont elle a fait le héros d’une de ses nouvelles (mais « le temps de nos jeux fictionnels semblent bien révolus ») : « Regarde-les qui se carapatent comme des rats sur un bateau qui prend l’eau… et qu’est-ce qu’ils fuient comme ça ? UN RHUME ? Ces gens sont fous. Bon sang mais lavez-vous les mains ! C’est pas compliqué. »

 

Une écrivaine au jour le jour

Zadie Smith refuse d’être assignée à son identité de genre ou de race, comme elle le rappelle dans le très beau premier texte intitulé « Pivoines », qui évoque de fait des tulipes « poussant dans un modeste jardin public, sur un triangle de terre à l’intersection de trois avenues ». Elle mène de front écriture, lecture, métier d’enseignante et vie de famille, ce qui suppose qu’aucun moment ne soit perdu, y compris dans un bar à ongles : « Je lis John Berger. Je corrige quelques travaux d’étudiants. Je relis un essai que je viens d’écrire. J’évalue combien de nouvelles de Tanizaki je peux caser en combien de périodes de vingt minutes, tout au long de la semaine. » Elle réfléchit au sens de son travail d’écrivain : « Écrire, c’est entièrement résister. » Elle pense à la solitude redoublée en temps de Covid et à la marchandisation du système de santé américain sous l’administration Trump. Son engagement contre le racisme est total. Mais la romancière, dont la mère est jamaïcaine, ne semble guère avoir d’espoir contre « le virus du mépris ».

 

Cette série d’essais courts et personnels constitue donc une lecture très stimulante, grâce à ses pensées affutées, à ses observations très justes et à son humour clairvoyant qui en font un bréviaire contre la bêtise et la haine.