Un parcours dans la vie et l’œuvre de Rimbaud par un écrivain adepte de la marche et qui le suit dans ses nombreuses fugues.

Ce livre est à l’origine une série d’émissions diffusées pendant l’été 2020 sur France Inter, auxquelles se sont ajoutés ensuite les souvenirs d’un voyage fait quelques mois plus tard dans les pas de l'homme aux semelles de vent. C’est le neuvième volume de la collection « Un été avec… », qui est si jolie dans une bibliothèque et où Sylvain Tesson avait déjà donné sa vision d’Homère en 2018.

Durant l’hiver 2021, alors que le coronavirus paralyse le monde, Sylvain Tesson décide de partir avec Olivier Frébourg « quatre jours répéter à pied la fugue d’Arthur Rimbaud d’octobre 1870 ». Ce parcours dans la vie et l’œuvre de Rimbaud est en effet un éloge de la marche, ce qui ne saurait surprendre sous la plume de l’écrivain voyageur qu’est Sylvain Tesson : « Le mouvement procure l’idée et pourvoit aux images. La fécondation de l’inspiration par le muscle est vieille comme la poésie chinoise déambulatrice ! Technique du Christ, certitude romantique, intuition rousseauiste, confirmation rimbaldienne, lieu commun d’aujourd’hui : la marche est la thermodynamique de la pensée. Un kilomètre égale un vers ! »

 

Un parcours en trois temps

Ce livre suit un plan en trois parties, ou plutôt trois « chants » : « le chant de l’aurore », où il est question de l’enfance et de l’adolescence de ce poète précoce et surdoué (avec la liste des premiers prix obtenus en classe de seconde : vers latins, version latine, version grecque, histoire et géographie, récitation, enseignement religieux) ; « le chant du verbe », où l’auteur étudie la volonté du poète de changer la vie par les mots en écrivant des poèmes comme des « bouquets de feu » qui nous atteignent encore cent-cinquante ans plus tard ; « le chant des pistes » enfin – car la carrière de Rimbaud ne dure que quatre ans : il a entre 15 et 19 ans quand il écrit ses poèmes, puis il part vendre des armes en Afrique, laissant son silence comme une énigme que les chercheurs et les lecteurs à venir ont cherché à éclaircir. Rappelant que Mallarmé appelait Rimbaud « le passant considérable », Sylvain Tesson insiste sur le « mystère de Rimbaud : postérité totale, minceur de la production. Dans le règne de la quantité, ce rapport disproportionné entre l’onde de choc et la taille de la source fonde une noble anomalie. Comment œuvre si maigre peut-elle avoir ouvert le cycle de l’avant-garde ? Comment une poignée de vers peut-elle ébranler le temple de la poésie ? Tout se pèse en volume dans notre siècle de boutiquiers. Le miracle de Rimbaud échappe aux calculs. »

 

Contre les recyclages idéologiques, la récupération politique et les discours universitaires

Sylvain Tesson ne recule devant aucun anachronisme quand il s’agit, à l’occasion de son récit de la vie d’un poète majeur du XIXe siècle, de critiquer notre monde contemporain hyper connecté et dominé par la course à la technologie : « Il n’a pas de GoPro, il a un propos. Il n’a pas de drone, il a un regard. Il n’a pas d’appareil, il a le verbe. » L’auteur tente de rendre Rimbaud à son œuvre et à son énigme, loin des « représentants de toutes les chapelles » qui ont cherché à le « dépecer ». Il prend aussi ses distances avec les universitaires, dont il se moque en ces termes : « Dans la cuisine moderne, on l’accommode à toute sauce. Chaque commentateur produira sur Rimbaud des sommes supérieures à sa propre production. Le malheur des poètes est d’être le miroir dans lequel chacun croit se reconnaître. »