Une plongée collective dans la riche culture populaire de l’Egypte, du folklore aux avant-gardes, qui permet de dépasser les clichés liés à son patrimoine antique.

Que connaît-on de l’Egypte, sinon les panoramas de cartes postales sur fond de monuments pharaoniques ? La révolution de janvier 2011 ? Les attentats du Noël copte, largement couverts par les médias internationaux ? Au-delà des portraits officiels de Nasser et des couvertures de disques d’Oum Kulthum, rares sont ceux qui ont entendu parler du prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz, ou qui soupçonnent que les émissions égyptiennes ont connu une quasi-hégémonie dans le monde arabe pendant près d’un siècle.

Le lecteur ou voyageur curieux qui souhaiterait se familiariser avec les questions de société de ce pays complexe, trop souvent réduit à son patrimoine antique, trouvera une vue d’ensemble des enjeux de la culture égyptienne au XXIe siècle dans les contributions rassemblées par Richard Jacquemond et Frédéric Lagrange. « Entre mainstream commercial et contestation », comme l’indique le sous-titre, ce panorama explore notamment le rapport entre médias et pouvoir dans un pays qui, après l’explosion libertaire de 2011, a réamorcé un tour de vis autoritaire avec l’éviction par l’armée des Frères Musulmans. Plus loin de l’actualité, c’est aussi la question des rapports entre les classes sociales qui se joue dans la culture populaire, où se mêlent les paramètres du niveau de vie, d’éducation et d’occidentalisation.

Comme le pose d’emblée la dense introduction de Frédéric Lagrange, l’ambition n’est pas seulement de couvrir un maximum de médias – des séries à la musique en passant par les mèmes et les légendes urbaines – mais également de mettre en perspective la notion de populaire. Ses acceptions sont disséquées à la fois en français et dans ses équivalents approximatifs en arabe. Parle-t-on donc du peuple-ethnos et de sa culture « folklorique » (baladî) ? S’agit-il de populaire comme dans pop art ou pop music, aux connotations commerciales ? ou bien du populaire opposé à la haute culture (sha‘bî, voire ‘ashwâ’î) ? et s’il s’agit du populaire du peuple-demos, où les couches défavorisées revendiquent leur légitimité politique, quand alors bascule-t-on dans le populiste ?

Les langues de l’Egypte : vers une provincialisation ?

En 1959, Charles Ferguson théorise que tout locuteur de l’arabe vit en situation de diglossie : d’un côté, le « dialecte » régional, de l’autre, l’« arabe littéraire » standardisé. Pour un Egyptien donc, l’arabe appris à l’école, lu dans les livres ou le Coran, entendu à la radio et au journal télévisé, avec ses déclinaisons et sa grammaire vue comme complexe, se distingue de la langue de tous les jours, également sur le plan du registre, le dialecte étant ressenti comme familier. Cela, c’est la théorie.

Mais ce que montre la contribution de Amr Kamal, c’est qu’on ne jongle jamais seulement entre deux variétés. C’était déjà le cas, depuis plusieurs siècles, pour les élites égyptiennes : les langages pratiqués en Egypte comptait encore avec les langues des colonisateurs, turc ou anglais, et aujourd’hui celles des écoles privées où les plus riches inscrivent leurs enfants. De plus, l’intégration de néologismes étrangers a toujours fait partie intégrante de la culture populaire égyptienne, notamment pour les termes désignant des réalités techniques exogènes au monde arabe. Le français aux XIXe et XXe siècles a ainsi livré l’asensîr ou le levier de « fités » quand l’anglais résonne derrière kompyûter, certes, mais aussi derrière shayyar, pour « partager sur Facebook » !

L’article n’évoque cependant que très peu la place des langues européennes, ce qui manque un peu dans cette perpective socio-linguistique, tout comme l’appréhension de l’argot égyptien, aussi mouvant qu’il est inventif. Dans le sketch que l’article prend pour point de départ, il y était fait allusion par l’intermédiaire de la mère de famille ; le « fuckinmother » qu’elle lance en paraphrasant sa série américaine préférée suscite une réaction choquée chez son fils, mais son incompréhension de la formule est telle que, pour elle, cette grossièreté n’équivaut qu’à un sobre « malheur à toi », expression figée, surannée et surtout politiquement correcte par laquelle la société de sous-titrage remplaçait toutes les insultes depuis les années 1940.

Toutes ces langues se mêlaient donc déjà dans un joyeux melting pot. Mais depuis les années 2000, l’Egypte est de plus entrée dans ce que Amr Kamal nomme un « panarabisme pluriglossique ». C’est là une nouveauté, non pas à l’échelle du monde arabe – le Maghreb consomme des films en dialecte égyptien depuis les années 1950 – mais bien pour l’Egypte même, plus habituée à être le centre de ce rayonnement qu’à se trouver du côté des récepteurs. Le sketch qui sert de point de départ à l’article met en scène ce dérèglement linguistique, chez un enfant qui s’exprime dans l’arabe littéraire levantin utilisé pour les anime japonais, ou chez un quinquagénaire féru de séries turques, qui en reproduit le doublage en dialecte syrien. C’est la même émergence d’un monde arabe polycentrique que souligne l’introduction, mettant l’Egypte en regard à la fois de sa « marginalité globale » (puisque le monde non-arabe ne s’intéresse guère à ses productions culturelles et que son influence géopolitique a chuté après Nasser) et de son ancienne « centralité arabe », dont elle reste le pays le plus peuplé mais où elle a en partie perdu son monopole culturel.

Y a-t-il encore du folk à l’ère de la mondialisation ?

Depuis les années 1990, l’« anthropologie de la mondialisation » s’est interrogée sur la persistance de particularismes culturels sous le vernis d’homogénéisation globale. Si les cultures nationales et locales restent vivaces, c’est à la fois parce qu’elles savent intégrer et donner un sens nouveau à des éléments étrangers, et parce qu’elles sont valorisées dans le cadre de sentiments identitaires allant de la préservation patrimoniale au chauvinisme. Un excellent exemple est celui de la musique : qu’il s’agisse des top hits ou des indies « alternatifs » et expérimentaux, comme l’explique Séverine Gabry-Thinepont, l’inspiration des chansons traditionnelles est très fréquente. Elle peut se traduire par un remix partiel de classiques (comme Kan Lak Ma’aya « feat. Umm Kulthum » du groupe Cairokee), par la citation de chants folkloriques, ou encore par l’usage du système musical modal, typiquement oriental. Parfois, un revirement intervient au cours d’une carrière, entre branding et questionnements identitaires : ainsi Cairokee, dont la popularité a explosé avec le titre révolutionnaire « Sot el-Horreya [la voix de la liberté] », chantait surtout en anglais avant 2011.

L’article de Nicolas Puig insiste aussi sur l’aspect spécifiquement égyptien du genre musical du mahragân. Emergé à la fin des années 2000, il est associé à l’esthétique et aux pratiques sociales (DJs de mariages et mouled – fêtes de saints musulmans) du sud et des banlieues pauvres, « qui combinent l’amplification du signal sonore jusqu’à saturation et l’usage des effets électro-acoustiques, notamment écho, réverb »   et auto-tune, sa marque de fabrique. Même s’ils s’inspirent du rap américain, les artistes s’enorgueillissent de l’origine locale du mahragân : « on mélange hip-hop et sha‘bî. Les gens ici ne comprendraient pas du hip-hop (…) on développe notre style », déclarait l’un d’eux dans une interview. Le reste de l’ouvrage demeure cependant un peu « cairocentré » : même si une grande partie de la culture de masse est produite dans les studios de la capitale, les dynamiques des zones rurales et des métropoles du Sud auraient pu être plus présentes, au vu de la ségrégation socio-spatiale marquée de certaines pratiques « branchées ».

La revendication d’une identité spécifiquement égyptienne acquiert par ailleurs souvent une valeur paradoxale. D’un côté, le sha‘bî (populaire comme dans « classes populaires ») et le baladî (populaire comme dans « folklorique ») sont valorisés, parce qu’ils appartiennent au patrimoine, à la culture authentique et aux valeurs traditionnelles – baladî désigne par exemple le pain « de campagne » ou le poulet « fermier ». Mais lorsqu’ils sont employés par les classes urbaines aisées, ils deviennent synonymes de « vulgaire » et de « paysan ».

Les frontières sont donc mouvantes, puisque les chansons sha‘bî sont tantôt perçues comme l’épitome de l’« égyptianité », tantôt taxées de « musique de microbus » ou « de toktok » par ceux qui se déplacent en voiture privée voire en Uber. La raison en est en partie générationnelle : certaines innovations, en vieillissant, finissent par atteindre un statut de nouveaux classiques, comme le pointe Frédéric Lagrange à propos des titres les plus récents d’Oum Koulthoum, aujourd’hui acclamés, mais décriés en leur temps. Chihab el-Khachab propose d’analyser ce phénomène au prisme de la notion d’« intimité culturelle » de l’anthropologue Michael Herzfeld : « une attitude négative envers certains traits jugés gênants au regard de l’étranger et en public, mais constituant une part importante et valorisée de la pratique locale et privée »   … Du reste, une part croissante de la jeunesse dorée égyptienne s’est convertie au mahragân, comme une contre-culture ou un retournement du stigmate qui, pour une fois, prend pour modèle les quartiers pauvres.

Consumérisme, culture de masse et créativité

Si Frédéric Lagrange suggère de redéfinir la pop culture comme « sous-catégorie de la ‘culture populaire’ susceptible de contester l’hégémonie de la ‘culture dominante’ »   , ce n’est pas toujours le cas dans les valeurs et la vision sociétale qu’elle véhicule, comme le dit le qualificatif mainstream. Dans cette acception, qui peut rapidement se faire élitiste, la culture populaire des masses est opposée à la fois à la haute culture bourgeoise et aux alternatives marginales. Ainsi, l’écrivain Ahmad Murâd, auteur de plusieurs best-sellers (un phénomène récent en Egypte), a souvent été méprisé par la critique littéraire. Richard Jacquemond lui-même reconnaît que parfois « l’écriture paraît bâclée, les ficelles de l’intrigue trop visibles »   . Mais Ahmad Murâd cultive cette image à rebours des codes et un « amateurisme » revendiqué. Il ne recherche la légitimation ni par une écriture sophistiquée ni via les prix littéraires et mène sa carrière moins comme un intellectuel que comme un marketeur, multipliant les séances de dédicace et soignant sa présence sur les réseaux sociaux.

L’éducation bourgeoise n’est pas seule à dédaigner les produits culturels vendus au plus grand nombre : l’Egypte aussi a ses bobos et ses hipsters, qui les méprisent comme uniformes et commerciaux. La scène musicale cairote étudiée par Séverine Gabry connaît de nombreux artistes en marge de la variété Arab pop majoritaire à la radio, qui décident de « signifier musicalement [leur] indépendance »   , en refusant d’être enfermés dans une catégorie, en investissant dans un matériel coûteux, en se finançant par crowdfunding pour se maintenir hors des labels… Souvent dits underground, le terme apparaît néanmoins dévoyé pour des groupes comme Cairokee, avec ses millions d’écoutes et ses concerts bondés. S’ils sont bien « alternatifs » tant dans leur forme (électique) que dans leur fond (contestataire), le qualificatif underground s’applique plutôt à des productions de niche, comme le heavy metal égyptien, taxé de sataniste et qui a même fait l’objet en 1997 d’incarcérations de masse.

La culture « mainstream » est aussi plus conservatrice. L’exemple de la série télévisée adaptée du roman satirique Les années de Zeth de Sonallah Ibrahim, étudié par Teresa Pepe, montre à quel point l’adaptation doit répondre à des impératifs de distribution spécifiques, liés au goût et aux attentes du public autant qu’au contrôle des médias d’Etat. Ainsi le port de mini-jupes, pourtant réaliste dans le Caire des années 1970, a-t-il donné lieu à des pressions, tandis que la vision très cynique et déshumanisée des rapports conjugaux dans le roman a été largement édulcorée. Ces injonctions apparaissent d’autant plus paradoxales pour un roman qui dénonce le consumérisme avec virulence et pour un auteur lui-même longtemps censuré.

De quel peuple parle-t-on ?

Un autre exemple de séries télévisées qui, tout en se conformant à un discours « bien-pensant » et mainstream, suscitent aussi une forme de débat public sur des questions de société, est l’échantillon étudié par Gaëtan du Roy. Celles-ci (qui mettent toutes deux en scène un quartier du Caire perçu comme authentique et connu pour abriter une importante communauté copte) ont en commun de traiter des relations interconfessionnelles. Le thème, récent au cinéma, provoque des crispations et controverses, qu’il s’agisse du sujet sensible du mariage mixte ou de la représentation des Coptes en général, sur laquelle l’Eglise entend avoir son mot à dire.

Dans Dawarân Shubrâ, diffusée par hasard un mois après les tragiques événements de Maspero   , c’est un parallélisme parfait qui est mis en scène. Les deux familles voisines sont présentées comme identiques, jusque sur certains éléments qui ne reflètent pas la réalité : l’expression musulmane « [je le jure] par le Prophète » y est décalquée par un inexistant « par la Vierge ». Cependant, malgré la tradition de mixité conviviale de certains quartiers dont celui de Shubra, le plus courant dans les cercles d’amis reste l’entre-soi, et l’omniprésence d’un discours stéréotypé sur l’amitié interconfessionnelle est doublée par l’existence d’un hidden transcript, expression par laquelle l’anthropologue James C. Scott désigne « les plaintes formulées dans la chaleur de l’entre-soi, et qui ne peuvent être exprimées » devant un membre de l’autre communauté ou un étranger   . Si la majorité des productions culturelles partagent le même public, la différenciation confessionnelle y affecte donc clairement les normes du dicible et du montrable.

De son côté, May Telmissany analyse la chanson engagée (re)née de l’explosion de la production et de la libération de la parole en 2011-2012. Cet angle socio-politique révèle les lignes de fracture au sein du peuple égyptien : si les élites sont souvent du côté du régime en tant que dominants économiques et politiques, les révolutions sont rarement propulsées par les prolétaires, mais par la classe moyenne, et l’Egypte n’échappe pas à la règle. Les références aux difficultés des ouvriers dans la chanson engagée traditionnelle (celle des poètes socialistes, emprisonnés et circulant sous le manteau, des années 1970) sont ainsi en décalage avec la réalité sociale d’une partie de ceux qui la reprennent en 2011. Les nouvelles productions, quant à elles, se partagent entre chants contestataires inspirés des slogans de manifestations (Esh, horreya, ‘adâla egtemâ‘eyya « Pain, Liberté, Justice sociale » de Râmi Isâm) et « hits nationalistes » commandités par l’Etat, comme le récent Teslam al-ayâdî (« bénies soient vos mains ») glorifiant l’armée, où se rejoignent les deux pôles opposés des ultra-riches et des très défavorisés.

Humour et autodérision : une spécificité égyptienne ?

Finalement, peut-on trouver une spécificité à la culture populaire égyptienne ? Certes, l’image de couverture, qui mêle dans un homme de Vitruve composite éléments pharaoniques et couleurs vives inspirées du pop art, invitait à une réflexion sur l’inspiration tirée du patrimoine antique, mais celle-ci n’est malheureusement créditée ou commentée nulle part. On peut à ce titre regretter que le street art, spécialiste de ce type de récupération ludique, ne soit pas représenté dans l’ouvrage (certes déjà conséquent), au premier chef les graffiti politiques de la rue Muhammad Mahmoud.

En revanche, s’il est une spécificité égyptienne – en tout cas dans leur représentation d’eux-mêmes et leur réputation dans le reste du monde arabe – c’est peut-être dans leur capacité à rire de tout qu’elle réside. Cet humour s’exprime particulièrement dans les productions considérées comme peu sérieuses et dont la raison d’être est parfois même directement de servir de véhicule à la blague, au premier chef les mèmes et les publicités. Chacun fait l’objet d’une contribution insistant sur leur potentiel comique, mais aussi, parfois, sur l’éventuel caractère de niche de cet humour et son revers quand il est taxé de mauvais goût ou enflamme un débat de société.

Ainsi des publicités pour la bière sans alcool « Birell » analysées par Frédéric Lagrange et de son slogan « estargel » (« sois un vrai mec »), controversé et pourtant célèbre, puisque les spots sont précisément faits pour faire rire et réagir. Un créatif cairote déclare même cyniquement que, dans un monde de zapping, le seul espoir pour qu’une pub soit regardée est de se faire « soit très provocant, soit extrêmement drôle »   . La marque fait mine d’édicter une norme de comportement masculin volontairement ridicule – il ne faut pas pleurer à la naissance de son fils mais seulement devant un match de foot, il ne faut pas se promener au bras d’un ami au risque d’être pris pour homosexuel… Le ton se veut décalé, mais se dessinent malgré tout en filigrane les normes réelles de la société : dans la campagne 2013, quand l’homme fait preuve de machisme, il se voit récompensé par une moustache – moustache que gagne en retour la fille trop assertive, au détriment de son fiancé, dé-virilisé par une perruque à cheveux longs. Reste à déterminer si ces publicités rient « avec » ou « contre » : « s’agit-il d’amuser de jeunes hommes qui se confortent dans une définition traditionnelle de la virilité »   ou un public libéral familier des débats sur le genre – au risque qu’il ne dénonce le fond de vérité présent sous l’hyperbole ?

En réponse à cette controverse, les auteurs des publicités avancent qu’il s’agit avant tout d’autodérision, caractéristique aussi d’autres productions comiques, comme les mèmes, dont la vision au vitriol de l’Egypte est examinée par Chihab el-Khachab. L’actualité notamment, par exemple la vente très décriée de deux îles égyptiennes à l’Arabie saoudite, fait l’objet d’une immédiate « mise en mèmes » satirique. L’un d’eux reprend une scène d’un film des années 2000, où un personnage, affublé pour l’occasion d’un chèche saoudien, commande « Une île s’il vous plaît » (un verre, dans la scène originelle), ce à quoi son ami servile, ici remplacé par le président égyptien, surrenchérit : « Comment ça, une seule île ? Donne-lui en donc deux ! ».

 

Dans une autre scène du même film (devenu culte auprès de toute la génération des 20-30 ans), le même personnage prend la parole après deux collègues pour ne pas demeurer en reste, mais son intervention est en fait stérile et sans intérêt. Elle a donné naissance à une flopée de mèmes où il incarne l’Egypte, tentant de s’insérer dans le discours des nations vues comme développées, mais le vidant de sa substance en le remplaçant par les paroles de chansons sha‘bî. Par exemple, quand le Japon déclare « Non à l’ignorance » et les Etats-Unis « Non au chômage », l’Egypte s’égosille « Noooon pas comme ça ya Abdo ». L’autodérision est symptomatique de cette « génération sacrifiée », durement touchée par les conditions politico-économiques (chômage fort, flambée des prix, faillite des institutions publiques, Etat policier) et qui voit l’Egypte comme irrécupérable

Un peuple de consommateurs ?

Un tour d’horizon de la culture égyptienne en 400 pages ne pouvait nécessairement pas être exhaustif. Si l’inclusion de la publicité, des mèmes et des séries télévisées, longtemps peu étudiées, rend l’ouvrage très complet, on pourrait regretter l’absence d’autres éléments cruciaux – street art, youtubeurs, talk-shows satiriques ou jeu vidéo. Certains studios égyptiens indie développent des jeux emplis de clins d’oeil pour le public local, comme « Coinscape », où le joueur contrôle une pièce de 50 piastres refusant d’être dépensée. Les pratiques de consommation de jeux vidéos étrangers auraient aussi un intérêt sociologique ; de fait, à part l’article de Gaëtan Duroy couplé à une enquête ethnographique, et celui d’Elena Chiti traitant de la mémoire d’un fait divers, l’ouvrage se concentre plus sur le contenu des médias que sur leur réception. Seules des remarques ponctuelles exploitent la mine d’or des commentaires sur réseaux sociaux, comme Teresa Pepe qui relève un débat autour de l’excision déclenché, sur Youtube, par sa mention dans la série Dhât. C’est cette étude conjointe des deux volets du contenu et de l’usage qui contribue à briser l’idée reçue d’une passivité totale du public face aux médias audiovisuels.