Dans un essai grinçant, la linguiste Françoise Nore examine le « politiquement correct » et explique comment il débouche sur des formes de « police de la pensée ».

L’objectif du politiquement correct est de faire disparaître « des termes considérés comme offensants ou dévalorisants », pour leur substituer d’autres mots plus flatteurs. Différentes techniques sont utilisées :

  • remplacer un mot par un autre (« désinformation » pour « mensonge ») ;
  • utiliser un euphémisme (« conflit armé » au lieu de « guerre ») ;
  • produire une périphrase (« agent de sécurité » pour « vigile ») ;
  • utiliser des mots étrangers (« addiction » au lieu d’« accoutumance ») ;
  • substituer à des termes ordinaires des mots qui sont leur contraire (« plan social » pour « licenciement »)…

En cherchant à atténuer et adoucir la réalité, cette manière artificielle de parler conduit à faire un mauvais usage des mots au quotidien, voire à imposer une idéologie. Dans son dernier ouvrage Appelons un chat, un chat !, grinçant à souhait, la linguiste Françoise Nore revient sur les origines du politiquement correct, ses différentes constructions et son omniprésence dans la langue française. En s’interdisant de nommer les réalités telles qu’elles sont, la « police du langage » laisse alors place à la « police de la pensée ».

Dans cet entretien, Françoise Nore revient sur son approche et sur la mise en garde que la linguistique et la lexicologie peuvent adresser contre un tel usage de la langue.

 

Nonfiction : Qu’est-ce que la linguistique et quel est le rôle du linguiste aujourd’hui ?

Françoise Nore : La linguistique est une discipline, c’est la science du langage. Elle étudie tous les aspects des langues en général ou d’une langue en particulier. La linguistique est découpée en plusieurs sous-branches : histoire des langues, lexicologie, grammaire, sociolinguistique…

Le lexicologue est spécialisé en lexicologie. L’étude d’un phénomène comme le langage politiquement correct relève donc de son domaine d’étude. Pour autant, il est difficile d’étudier ce phénomène sans avoir une opinion personnelle à son sujet : on est pour ou contre.

Comment fonctionne le politiquement correct ?

Le politiquement correct est une manière de s’exprimer qui supprime des mots considérés comme dévalorisants pour les remplacer par d’autres mots ou expressions jugés plus positifs ou flatteurs. C’est une forme d’hypocrisie. En quoi le fait d’appeler une « cantine » un « restaurant d’entreprise » améliore-t-il la situation des gens qui y déjeunent ou la qualité de ce qui y est servi ?

Le politiquement correct peut également renforcer des termes pour leur donner plus de poids. Peut-être est-ce la peur de ne pas tenir des propos assez percutants ? On utilise souvent un adjectif pour renforcer le nom, par exemple une « malheureuse victime ». Cela peut aussi créer des pléonasmes dont on ne se rend parfois même plus compte, par exemple « tri sélectif ».

Le politiquement correct semble envahir notre quotidien, à tel point qu’on ne s’en rend parfois pas toujours compte. Que peut-on faire au niveau individuel pour y échapper ?

Certaines expressions « politiquement correctes » s’imposent dans le langage. Il est difficile, voire impossible de revenir en arrière. On peut lutter en employant les anciennes expressions qui ne sont pas encore jugées trop insultantes, par exemple continuer à dire « vendeur » au lieu de dire « conseiller clientèle ». Pourquoi l’instituteur est-il désormais appelé « professeur des écoles » ? Il n’y avait rien de dégradant dans l’emploi du terme « instituteur ».

En s’attardant sur certaines expressions comme « phase terminale », « nettoyage ethnique », « frappe chirurgicale », il apparaît que certaines de ces expressions « politiquement correctes » sont en fait assez violentes.

L’un des grands défauts du politiquement correct est de vouloir masquer des réalités qu’il juge dégradantes, choquantes, traumatisantes… en utilisant en réalité des expressions encore plus fortes et choquantes. Le politiquement correct « appuie » sur la réalité alors qu’il voudrait masquer, atténuer, adoucir…

Pensons aux expressions utilisées dans le monde du travail : « plan social », « plan de sauvegarde de l’emploi »... Ces expressions disent le contraire de la réalité.

Dans votre ouvrage, vous conseillez souvent de réemployer les « mots d’avant ». Pourquoi ?

Parce que certains mots anciens étaient plus simples, plus clairs, sans fioritures. Je suis pour une façon de parler simple et claire, accessible au plus grand nombre. Le « politiquement correct » encourage l’entre-soi et l’usage de codes lexicaux. Les gens finissent par ne plus se comprendre. Le « politiquement correct » masque la réalité et complique les choses.