Dans un roman plein d’anecdotes, de citations et d’extraits de chansons, Patrick Roegiers raconte avec humour et intelligence son travail d’écrivain.

Arrivé à Paris, la ville des écrivains, après avoir été chassé de Belgique, son pays natal, Patrick Roegiers y déambule comme dans un musée de la littérature. Chaque rue, chaque brasserie, chaque librairie est l’occasion d’une anecdote sur un écrivain, un cinéaste ou un artiste, dont il indique avec précision la taille, et dont il raconte les échos qu’il suscite dans son imaginaire d’impétrant écrivain. Toutes ces références savoureuses, entrecoupées d’extraits de chansons (référencés à la fin du livre, comme dans une playlist), font de ce roman une sorte d’encyclopédie dans le désordre, extrêmement jubilatoire et plaisante par sa dimension de surgissement infini et de volonté de partage, qui joue contre la dimension égotiste inévitable dans le récit d’une vie d’écrivain. Après la rue Doudeauville, l’auteur s’installe à Saint-Maur, « parce que Rabelais, esprit boulimique et encyclopédique, satiriste féroce et vocabuliste moderne, s’y établit lorsque le cardinal Jean du Bellay, évêque et diplomate, mécène et poète à ses heures, se retire en 1550 au château de Saint-Maur, inspiré du palais Farnèse à Rome. »

 

Une érudition bouillonnante et grisante

Le lecteur apprend énormément dans ce roman foisonnant et gai, où l’auteur revient avec humour sur la genèse de ses premiers livres, publiés par Denis Roche, à la mémoire duquel Ma vie d’écrivain est dédié : « Notre entente est parfaite, notre relation amicale, complice et chaleureuse, sans l’ombre d’un nuage. D.R. est heureux de s’évader de son travail d’éditeur qui est un peu fastidieux. Il a une masse de copie devant lui. Il ne le dit pas mais je sais comment se lit un bon manuscrit. Il se renifle dès la première ligne. On l’ouvre au hasard à trois endroits, quelques mots au milieu, un coup d’œil sur la dernière page. Et hop ! le tour est joué. » Le livre est dédié aussi « à mes voisins », ce que le lecteur comprend mieux quand il découvre des saynètes très drôles, des anecdotes douces-amères, ou des récits vraiment pathétiques dont ils sont les héros au fil des années.

 

Une verve communicative

Contrairement à Joyce, à qui il a consacré un roman, et dont l’errance à travers l’Europe fut incessante, Patrick Roegiers est un sédentaire : « [je] suis aussi statique qu’un mollusque, telle la patelle ou bernique, gastropode herbivore, qui, après une vie végétative, s’incruste au creux d’un rocher et n’en bouge plus d’un pouce. Ou alors un eumolpe, qui dévore les feuilles de la vigne en découpant les caractères, d’où son nom d’écrivain. » Le lecteur retrouve avec plaisir dans cette vie de l’écrivain par lui-même les qualités de ses romans : une immense curiosité, un vocabulaire très riche (c’est bien la moindre des choses pour qui habite avenue Littré…), une syntaxe ample et pleine de décrochages et de raccourcis, dans un art du contraste qui fait alterner longues propositions chantournées et phrases nominales ou très brèves, la rigueur de la construction n’empêchant pas le goût des folles digressions et des savants apartés, et le tout invitant le lecteur à s’immerger dans des vies oubliées auxquelles le livre confère la valeur d’un destin. Bref, un régal !

Ce roman se lit comme une déclaration d’amour à la littérature et à la culture, sans prétendre expliquer les mystères de la réussite d’un livre ni encore moins donner des recettes : « Qu’est-ce qui distingue un livre réussi d’un livre raté ? À quoi tient le succès ? Comment savoir ? Autant peler un abricot ou demander à un mille-pattes comment il marche. » Mille raisons en tout cas de sauter en l’air à chaque page dans ce livre plein de surprises et de savoureuses découvertes.