Peu connu du grand public, le massacre de Wounded Knee aboutit à la mort de 300 Sioux. L'événement est ici retranscrit et éclairé grâce à un solide travail.

Le 29 décembre 1890, à Wounded Knee, dans le Dakota du Sud, 300 Lakota sont massacrés par l’armée américaine à coups de fusils et de canons Hotchkiss. Les trois quarts des victimes sont des femmes et des enfants. Cette opération militaire, qui doit permettre la déportation des Amérindiens vers le Nebraska, tourne au carnage. Au-delà des aspects militaires, Wounded Knee revêt une dimension politique, culturelle et mémorielle. L’archéologue Laurent Olivier propose une enquête précise et documentée sur le temps long pour éclairer cet événement tragique.

Ce massacre, peu connu, éclaire par bien des aspects la dimension politique de la guerre dans le cadre du Thème 2 d’HGGSP « Faire la guerre, faire la paix ». Il peut également faire l’objet d’un sujet pour le Grand Oral.

 

Nonfiction.fr : Comment avez-vous découvert le massacre de Wounded Knee et pourquoi avoir décidé de travailler sur cette page noire de l’histoire étatsunienne, peu évoquée ? À vous lire, nous avons le sentiment que ce massacre vous a « pris aux tripes ».

Laurent Olivier : Comme tout « non-Indien », j’ai découvert Wounded Knee par hasard. En tant qu’archéologue, je travaille sur la mémoire ; je veux dire ce qui reste, matériellement, des événements du passé. Allant aux États-Unis, j’étais parti pour observer cette relation particulière, manifestée par les Amérindiens avec leur propre passé, face aux bouleversements environnementaux provoqués chez eux par l’expansion actuelle de l’Anthropocène. C’est pourquoi j’avais décidé de me rendre auprès des Sioux lakota, qui s’étaient mobilisés pour s’opposer à la construction du Dakota Access Pipeline à travers leur territoire de la réserve de Standing Rock.  Je voulais comprendre ce que les Sioux – qui avaient été jadis à la tête d’un vaste « empire » s’étendant sur pas moins de sept États actuels – faisaient de leur passé et comment ils utilisaient la mémoire de leur ancienne culture pour combattre les atteintes à leur environnement.

Et comme je l’explique brièvement dans le livre, j’ai découvert que ce mouvement d’une ampleur sans précédent était en réalité issu d’un autre événement : l’insurrection de Wounded Knee, en 1973, lorsque les Sioux avaient demandé au gouvernement Nixon d’être rétablis dans leurs droits de nation souveraine, reconnus par le Traité de Fort Laramie de 1868. Comme une poupée russe, ce « second Wounded Knee » était lui-même la lointaine réplique, pour parler comme les sismologues, d’un drame initial : le massacre de Wounded Knee de 1890. Contrairement aux apparences, toute cette histoire était donc faite de strates, d’héritages et de remises en jeu : bref, le terrain même des archéologues – si ce n’est qu’on se trouvait dans une archéologie de l’histoire contemporaine des États-Unis et non plus dans l’histoire ancienne européenne.

Cette histoire « prend aux tripes », comme vous le dites, car elle provoque l’effarement. Est effarant, en effet, le débordement d’une violence militaire disproportionnée face à une population civile désarmée, que les soldats américains exterminent systématiquement, au fusil de guerre et au canon. Mais sont effarants, également, l’amnésie et le déni perpétués dans la population américaine – jusqu’aux années 1970, précisément, et à la publication du poignant Enterre mon cœur à Wounded Knee. Le livre de Dee Brown racontait pour la première fois cette « conquête de l’Ouest », traditionnellement présentée sous une forme héroïque, du point de vue de l’histoire amérindienne. C’est la face sombre, terrible, génocidaire par certains aspects, de l’histoire américaine. Mais ce qui m’a frappé, en l’occurrence, c’est son incessante actualité : il n’est pas possible d’accorder de réelles compensations aux Sioux pour ce massacre, car ils étaient alors sous statut de prisonniers de guerre ; c’est-à-dire d’ennemis du gouvernement américain. Ce que l’on ferait pour eux, ne faudrait-il donc pas le faire également pour les Japonais, les Allemands, les Coréens du Nord, les Vietnamiens, les Irakiens… bref, potentiellement toutes les victimes des guerres américaines ? Il est tout aussi improbable d’obtenir l’annulation des Médailles d’Honneur – la plus haute distinction militaire américaine – reçues par les soldats à l’issue du massacre, comme le demandent les descendants des victimes. Car ne faudrait-il pas, dans ce cas, réexaminer aussi celles attribuées durant la Guerre du Vietnam et potentiellement toutes les distinctions  américaines décernées pour faits d’armes ?

 

En tant qu’archéologue et historien, comment avez-vous mené votre enquête pour reconstituer les événements du 29 décembre 1890, dont vous donnez d’ailleurs un descriptif chronologique précis ?

J’ai réalisé un élémentaire travail d’enquête, m’étonnant d’ailleurs, en me lançant dans ce travail, que celui-ci n’ait jamais été entrepris auparavant. Comme dans toute enquête criminelle – car c’est bien d’un crime historique dont il s’agit – j’ai travaillé à reconstituer précisément la chronologie et l’enchaînement détaillés des faits, en passant au crible les témoignages et surtout en les confrontant les uns aux autres. Nous avons la chance de disposer ici d’une matière abondante : les officiers supérieurs ont été interrogés dans le cadre d’une enquête interne de l’armée ; des journalistes ont couvert l’événement ; des badauds et des voisins, accourus assister à la « reddition des Sioux », ont raconté par ailleurs leurs souvenirs ; enfin, des survivants sioux ont témoigné de ce qu’ils avaient vécu ce jour-là.

Il est très vite apparu des incohérences et des lacunes révélatrices dans la version de l’armée, qui avait été diffusée alors auprès du public par les journalistes « embedded », dirait-on aujourd’hui : c’est elle qui constitue, en quelque sorte, l’assise historique de la représentation de cet événement. Face aux enquêteurs de l’armée, envoyés pour faire la lumière sur cette énorme « bavure » qui avait coûté la vie d’une trentaine de soldats américains, les officiers qui ont ordonné le massacre ont présenté une version défensive des faits, qui exonérait leur responsabilité. Ils ont expliqué que, s’il y avait eu un nombre anormal de morts dans leurs rangs, c’est parce que les guerriers sioux – qu’ils avaient séparés des femmes et des enfants pour les désarmer – cachaient des fusils sous leurs vêtements ; sur un signe donné, ils avaient fait massivement feu sur eux. Leurs hommes n’avaient donc fait que se défendre et, en contre-attaquant les Indiens qui s’étaient repliés au travers de leur campement, ils avaient pu, disaient-ils, tuer effectivement quelques femmes indiennes car, de loin, il était difficile de faire la différence entre les uns et les autres…

Dans cette suite de témoignages unanimes, les enquêteurs entendent tout de même quelques voix discordantes, comme celle du médecin militaire adjoint, qui signale que la plupart des blessures qu’il a constatées provenaient de « tirs amis » ; c’est-à-dire que les soldats s’étaient tirés les uns sur les autres au moment où ils entouraient les guerriers, qu’ils avaient fait asseoir en cercle devant eux. Trop pressé de dire qu’il a donné l’ordre à ses hommes d’épargner les femmes et les enfants indiens, un capitaine laisse par ailleurs entendre qu’il a pourchassé, avec son escadron de cavalerie, les fugitifs qui tentaient de s’enfuir à pied du lieu du massacre. On retrouvera d’ailleurs quelques-unes de ses victimes, tels une jeune femme, son petit garçon de 10 ans et ses deux fillettes de 6 à 7 ans, abattus à bout touchant, à près de 5 kilomètres du site.

Et puis il y a un trou d’environ deux heures et demie dans l’emploi du temps de l’armée, que ne relèvent pas les enquêteurs : on ne sait pas ce qu’ont fait les troupes entre la fin des tirs et leur départ du site, pour rentrer à leur garnison. Ce sont les témoignages extérieurs à l’armée qui permettent de le déterminer. Les soldats ont achevé les blessés, puis ils ont pillé les corps à la recherche de « trophées » – tels que parures corporelles, vêtements traditionnels et berceaux de bébés… dont une partie est aujourd’hui dispersée dans les musées américains. Enfin, ils ont mis le feu au campement indien et rassemblé tous les restes épars au sol pour les brûler.

 

Loin d’une bataille, Wounded Knee est bien un massacre (vous employez d’ailleurs le terme de « carnage ») au cours duquel des femmes et des enfants sont tués par des fusillades et des tirs d’artillerie. Comment les soldats américains ont-ils pris cette décision ?

Plus que le résultat d’une décision, le massacre de Wounded Knee est le produit hasardeux d’une conjonction de facteurs. Prenons les plus immédiats : le comportement des troupes, en effet. Le commandement est composé de vieux routiers des guerres indiennes, qui ont reçu des ordres précis, concernant les Sioux : « s’ils résistent, détruisez-les ».  Ils ont instruction de capturer le groupe, de désarmer les guerriers, puis d’escorter toute la population – vieillards, femmes et enfants compris – jusqu’au train, qui, les emportera en déportation à plus de 600 kilomètres de là, dans un pénitencier militaire. En tout près de 400 personnes.

Quant aux hommes du rang, une bonne part d’entre eux sont des novices, qui n’ont jamais vu d’Indiens, ni participé encore à aucun engagement militaire. Beaucoup sont d’ailleurs des immigrés de fraîche date, dont l’anglais n’est pas la langue maternelle. À ces gens sans qualification particulière, l’armée procure un salaire, ainsi que le clos et le couvert. Ils sont inexpérimentés et encore peu rompus à la discipline militaire, comme le montre la longue et laborieuse mise en place des troupes sur le terrain, qui prend plus du double du temps normal. Ce sont eux qui tirent instinctivement au moment de la fusillade du conseil des guerriers, cachés les uns aux autres par un épais nuage de poudre noire dégagée par les fusils, et qui blessent ou tuent leurs propres camarades.

C’est à ce moment que l’encadrement aurait dû reprendre la main sur ses troupes en ordonnant l’arrêt du feu ; ce qu’il ne fait pas. Au contraire, face au mouvement de panique qui se déclenche dans le campement indien, il ordonne l’anéantissement des fugitifs. C’est à ce moment qu’entrent en scène les canons, qui tirent des obus explosifs à mitraille de billes de plomb, fauchant par dizaines les femmes et les enfants qui tentent de s’enfuir. Et c’est ce même commandement qui donne l’ordre à ses escadrons de cavalerie de poursuivre les fuyards qui sont parvenus à s’extraire de la scène du massacre, pour les abattre. Toute cette opération est militairement injustifiée, mais elle répond aux ordres reçus : anéantir l’ensemble du groupe s’il manifeste le moindre signe de résistance.

Mais comment peut-on en arriver là, et transformer ainsi d’ordinaires soldats, pour la plupart pères de famille, en tueurs de femmes et d’enfants ? Il faut comprendre que Wounded Knee intervient à l’issue d’un long processus de déshumanisation des Amérindiens. Dès les années 1830, ils sont désignés comme appartenant à des « nations intérieures dépendantes » ; c’est-à-dire qu’ils perdent toute autonomie, se trouvant placés, de fait, sous la tutelle des États-Unis. Puis, à mesure qu’ils sont expulsés de leurs territoires, ils sont privés du statut de « personnes juridiques », disposant de droits équivalents à ceux de tout autre être humain sur le sol américain. À la fin des années 1870, les guerres indiennes étant terminées, on leur retire leur statut de nation, pour ne plus les considérer que comme de simples agrégats d’individus sans terre. L’enfermement dans les réserves fait d’eux une sous-humanité, soumise aux lois des États-Unis, mais ne disposant pas réellement de droits. Ils sont considérés comme une population nuisible et inutile, car non réformable, vouée à la disparition. Dans de telles conditions, n’importe quel accident peut provoquer un massacre : ce ne sont pas réellement des êtres humains que l’on tue, mais des bucks, des squaws et des papooses

 

Malgré de rares soldats qui récupèrent les blessés lakota pour les soigner, la majorité de ces derniers sont achevés dans le ravin au cours de scènes terribles et les cadavres sont pillés. Comment les médias ont-ils présenté l’événement ?

La responsabilité de la presse, en l’occurrence, est écrasante. Ce sont les journaux qui ont monté, en effet, toute cette affaire en épingle, pris qu’ils étaient, les uns et les autres, dans une situation de concurrence pour produire les nouvelles les plus sensationnelles. Ils ont répandu un climat de psychose, parmi les Blancs, en convainquant leur lectorat que les Sioux, fanatisés par le mouvement messianique la Ghost Dance, s’apprêtaient à les massacrer tous pour reprendre les territoires dont les colons s’étaient emparés à leurs dépens. C’est la presse qui a convaincu les responsables politiques américains qu’une intervention militaire dans les réserves était nécessaire et urgente, pour écraser préventivement les « rebelles » et autres Indiens « hostiles » à la colonisation américaine.

Quant aux journalistes envoyés sur place, ils se sont rangés, de fait, du côté de l’armée américaine. Ils ont présenté la tuerie des Sioux non seulement comme un témoignage du comportement héroïque des hommes du 7e régiment de cavalerie, mais surtout comme la juste punition reçue par les Sioux pour avoir tenté de s’opposer aux ordres de l’armée, qui avait exigé d’eux qu’ils déposent toutes leurs armes. Ce sont les journaux qui propagent la thèse d’un coup monté, sournoisement ourdi par les Sioux, qui auraient prévu d’ouvrir le feu sur les soldats en faisant semblant de rendre pacifiquement leurs armes…

Toute la presse, néanmoins, n’affiche pas la même unanimité. Grâce au télégraphe et aux premières agences de presse, la nouvelle du massacre de Wounded Knee se répand en quelques jours dans tout le pays, comme à l’étranger. D’inspiration humaniste, la presse de la Côte Est dénonce un massacre d’innocents. En France, les journaux de Droite et de Gauche – du Figaro à La Lanterne – stigmatisent une tuerie sauvage, prétendument perpétrée au nom de la civilisation. L’affaire de Wounded Knee est en train de prendre un tour politique. Surtout, les rares journalistes qui se sont rendus à l’hôpital provisoire aménagé dans la chapelle du siège administratif de la réserve de Pine Ridge ont vu ce qu’ils n’auraient jamais dû voir : des femmes et des enfants affreusement mutilés, agonisant sur des couvertures souillées, étendues sur du foin répandu au sol.

 

L’émotion provoquée par les quelques récits qui se diffusent dans l’opinion publique transforme Wounded Knee en affaire politique. Une commission d’enquête est désignée pour lever le voile sur le déroulé des événements. Quelle est sa marge de manœuvre et à quelles conclusions aboutit-elle ?

C’est à reculons que le ministère de la Guerre accepte la mise en place d’une enquête interne, que réclame à grands cris celui-là même qui a ordonné l’intervention de l’armée dans les réserves des Sioux ; à savoir le général Miles – qui craint sans doute d’être éclaboussé par le scandale provoqué par le massacre de Wounded Knee. Comme je l’ai dit, l’enquête se focalise sur la détermination des causes expliquant le grand nombre de morts et de blessés dans les rangs américains, laissant au second plan la question du massacre de femmes et d’enfants indiens désarmés.

Il est manifeste que l’institution cherche d’abord à se protéger. Comme on l’a dit, les enquêteurs entendent les dépositions des officiers supérieurs, mais ils n’interrogent pas les contradictions, ou les incohérences, qui surgissent entre les témoignages. Il est très étonnant, par ailleurs, qu’ils ne demandent pas à entendre les hommes du rang, qui se sont trouvés directement confrontés aux Indiens, ni les officiers intermédiaires, qui leur ont transmis les ordres du commandement. Craignait-on alors que la parole se libère ?  Les courriers des soldats, envoyés à leurs familles, révèlent en effet que les hommes du rang étaient scandalisés par la conduite de leurs officiers supérieurs qui, en les déployant sur le terrain, les avaient placés dans une telle situation qu’ils ne pouvaient que se tirer les uns sur les autres.

L’enquête interne de l’armée n’ira donc pas très loin. On conclura que l’encadrement supérieur a été un peu imprévoyant en disposant les troupes au sol, mais on lui accordera des circonstances atténuantes : après tout, les officiers supérieurs pensaient qu’en raison d’un rapport de force écrasant en faveur de l’armée américaine, les Indiens ne tenteraient aucune action, qui équivaudrait, dans ce cas, à un suicide. Toute la responsabilité du massacre sera donc reportée sur les Indiens eux-mêmes : c’est parce qu’ils ont ouvert le feu sur l’armée américaine que celle-ci s’est trouvée dans l’obligation de répliquer, souligneront les conclusions de l’enquête. De même, c’est parce qu’ils ont utilisé leur propre population comme bouclier humain qu’ils ont provoqué la mort accidentelle de femmes et d’enfants, dira le rapport.

Ainsi, l’enquête de l’armée parviendra-t-elle à un résultat inverse à celui escompté par Miles – lequel espérait que l’instruction démontre que le commandement des troupes n’avait pas respecté ses ordres. Les enquêteurs concluront qu’aucune faute réelle n’a été commise par l’encadrement et que le comportement des hommes a été exemplaire de bout en bout. Ils recevront d’ailleurs pas moins de 20 Médailles d’Honneur pour ce très haut fait d’armes : par comparaison, les 59000 soldats américains engagés dans le débarquement de Normandie de 1944 n’en obtiendront que quatre…

 

Quel est le rapport des États-Unis au massacre de Wounded Knee aujourd’hui ? Est-il enseigné ? Le site est-il devenu un lieu mémoriel ?

La réception de l’événement a évolué, tout au long des 130 dernières années écoulées depuis ce jour de décembre 1890. Sur la foi des témoignages de l’armée, l’événement a longtemps été présenté comme une « bataille » livrée par les troupes américaines contre des rebelles sioux, qui les avaient attaquées traitreusement. C’est la version qui domine jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À la suite de la publication des témoignages des survivants sioux, la situation change néanmoins au début des années 1960, avec la parution du livre de Robert Utley, The Last Days of the Sioux Nation : on parle désormais d’une « tragédie » que personne n’aurait voulue.

Pour les raisons juridiques qu’on a dites, le gouvernement américain n’a jamais accepté de reconnaître sa responsabilité dans ce massacre de population amérindienne. Il a formulé des « regrets », mais n’a jamais présenté aucune demande d’excuses. Les autorités américaines ont voulu faire du centenaire de Wounded Knee une « année de la réconciliation » avec la « grande nation sioux » : on a prévu des « foires artistiques », des « jeux de ballons », des « pow-wows », mais aucune forme de réparation ; alors que le niveau de vie des Sioux des réserves est le plus bas des États-Unis et second, au niveau mondial, après celui d’Haïti. Le taux de suicide des jeunes y atteint des records absolus.

Le refoulement de cette histoire est entretenu par l’ignorance. L’histoire indienne de l’Amérique ne fait pas partie des programmes scolaires et la plupart des non-indiens n’ont jamais entendu parler de Wounded Knee autrement que par ouï-dire. Plus insidieusement, le racisme anti-indien persiste largement dans la population américaine : devant les Noirs, les Amérindiens sont les premières victimes de violences policières et de crimes classés sans suite, ou attribués à des homicides involontaires. La révolte de 1973 a été suivie d’une quarantaine d’assassinats ciblés dont la plupart des auteurs n’ont été ni identifiés ni poursuivis. Jusque dans les années 1970, on a stérilisé clandestinement les femmes amérindiennes et on a enlevé leurs enfants pour les faire élever dans des familles non-indiennes. La liste des préjudices infligés aux populations autochtones d’Amérique est interminable.

Wounded Knee est à proprement parler un lieu de mémoire. Situé en territoire tribal, il a échappé jusqu’ici aux diverses tentatives de récupération mémorielle, qui ambitionnaient d’en faire un site touristique, au voisinage du passage de l’autoroute intercontinentale reliant Chicago aux Black Hills, les anciennes montagnes sacrées des Sioux, qui leur ont été retirées en 1876. Pour les Sioux, c’est un lieu de recueillement, où, chaque année, la « Chevauchée de Big Foot » reprend la route qui les avaient conduits jusqu’à Wounded Knee, où plus de 150 d’entre eux sont entassés dans une fosse commune. Wounded Knee est surtout une scène de crime, où les indices criminels du massacre sont toujours en place dans le sol, sous la forme de milliers de balles et de billes d’obus tirées par l’armée américaine : ils sont les preuves matérielles de ce qui s’est vraiment passé ce 29 décembre 1890. Ils attendent encore qu’on les trouve.

 

* L’interviewé : Laurent Olivier est conservateur en chef des collections d’Archéologie celtique et gauloise au Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.