Arthur Rimbaud en personne : un cœur entier, une créativité hors du commun, un programme poétique bouleversant. A voir au prochain festival d'Avignon.

La scène était séparée du lointain par un rideau transparent, qui déposait une trame sur ce que le public apercevait au-delà, à savoir une rangée de bougies sur le sol, couvrant toute la largeur. Un peu plus loin, pixélisé lui aussi par l’effet de ce rideau, un saxophoniste (Lionel Martin) apporta un soutien musical à cette performance.

C’était le 29 octobre 2020, en Avignon, au théâtre Artéphile, le jour même où il fut décidé qu’à nouveau, chacun rentrerait chez soi, et que les théâtres, derechef, cesseraient de jouer. Le metteur en scène, Laurent Fréchuret, donnait Le Pied de Rimbaud, un spectacle qu’il a écrit d’après des extraits d’Un Cœur sous une soutane, de la Lettre du Voyant  et des plus beaux poèmes de Rimbaud. Ce spectacle revient très heureusement cet été, au festival « off » d’Avignon. Il sera donné au théâtre des Halles.

Un jeune homme (Maxime Dambrin) entre, chemise blanche, pantalon sombre, il tient sa veste sur l’épaule, il arrive on ne sait d’où, il s’arrête, il s’adresse au public : « On se doit à la société. Je me dois à la société. Aujourd’hui, j’ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle. »

Ce très jeune homme, sur cette scène, est encore pensionnaire, séminariste. Il raconte une histoire de collégien malheureux : trahisons et brimades subies de la part des camarades, sanctions perverses reçues du père supérieur, ambiguïtés, à ses yeux inintelligibles, d’une jeune fille qui lui porte intérêt mais lui fait, volontairement ou non, un cadeau empoisonné.

Or, comprimant les époques, Laurent Fréchuret se saisit de ce potache et, en un raccourci saisissant, nous montre Arthur Rimbaud tout entier. Cet adolescent n’est pas comme les autres. Les poèmes qu’il écrit, que les autres séminaristes viennent chercher jusque dans ses poches pour le persécuter, sont simples et sublimes, comme nous le rappelle Maxime Dambrin lorsqu’il nous les dit et qu’il nous les fait épouser. Ces objets poétiques sont exceptionnels : ils appartiennent à toute une pensée créatrice très consciente, construite et articulée, programmatique non seulement pour Rimbaud lui-même, mais encore pour le siècle qui suivra, et aussi le nôtre.

Henri Fantin-Latour, Un Coin de table, 1872, détail.

De sorte que l’histoire la plus prosaïque qui soit, celle, pour ainsi dire, d’une humiliation par les chaussettes (qu'on ne dévoilera pas ici), se trouve traversée, et comme enflammée, par la simple présence du désir poétique chez un enfant artiste. Courageusement, celui-ci ne lâche rien de son programme de création de paroles, ni ne retranche rien de la cause poétique, tout embourbé qu’il est dans l’enfance, le collège, la solitude et l’ambiance petite-bourgeoise.

On ne s’étonne pas que Rimbaud ait nourri à la fois Paul Claudel et les Surréalistes, le premier sensible à la dimension christique du poète, les seconds à sa dimension révolutionnaire. Les deux positions semblent irréconciliables. Du reste, c’est à André Breton qu’on doit la publication, en 1924, d’Un cœur sous une soutane, dans le but déclaré de soustraire le poète aux efforts de récupération orchestrés par Paul Claudel. Et cependant, on ne peut guère disputer à ce dernier le souffle intense qui traverse Tête d’Or et Le Soulier de satin, pas plus que celui qui anime Aragon dans son œuvre poétique, pour peu qu’on veuille bien considérer, sans toutefois négliger les considérations idéologiques, que ce qui est là en jeu est la source même de la création artistique.

Quant à Maxime Dambrin, autant dire que chez lui il en est comme il en fut jadis de Django Reinhardt, qui jouait de sa guitare en maître avec une main meurtrie. Un mini-vertige physique affecte sa présence corporelle tout entière. Or, son geste intègre cette difficulté avec une maîtrise expressive hors du commun. L’émotion, l’idée, le récit, le dialogue, l’adresse au public, le bureau du supérieur du séminaire, la cuisine où se tient la jeune fille moqueuse, le salon hostile des bourgeois de province, les grands chemins et la fugue, les grands projets poétiques, semblent traverser ce corps et le contraindre à danser un pas de deux, un petit jeu de jambes sans lequel, peut-être, le monde s’effondrerait. Il règle avec ses pieds le mouvement de la Terre. Et parfois son corps tout entier semble fasseyer avec le vent. Le jeune poète, avec ses chaussettes de laine et ses gros souliers, les poings dans ses poches crevés, allant par la nature, le cœur noyé dans Charleville et barbouillé de bien-pensance catholique, enfant muni de toute la tendresse de cet âge et pourtant, déjà, bien averti des tortures du désir, des interdits et des transgressions, de la violence commune et du mépris général, ne peut pas mieux surgir sur le plateau qu’avec Maxime Dambrin.

On comprend l’intérêt de Laurent Fréchuret pour ce comédien, dont il recherche, à la manière d’un artiste peintre, à déployer, sur la toile, toutes les variations. La rencontre avait eu lieu lors de son En Attendant Godot, en 2015. Il y eut aussi, en 2018, Ervart, où Dambrin jouait un « psychanalyste citationniste ». Mais avec Le Pied de Rimbaud, on apprend que Maxime Dambrin, c’est aussi un regard, dont Fréchuret fait celui du Voyant et qu’il habille d’une superbe bouille rimbaldienne.

 

LE PIED DE RIMBAUD - Théâtre et musique d’après l’œuvre d’Arthur Rimbaud

Théâtre des Halles - La Chapelle

Du 7 au 30 juillet 21 à 16h30 (relâches les 13, 20 et 27)

 

A voir aussi, du même metteur en scène :

LES PRÉSIDENTES de Werner Schwab

Théâtre le 11.Avignon

Du 7 au 29 juillet 21 à 20h30 (relâches les 12, 19 et 26)